Orchestre et chœur de la Scala de Milan – Théâtre des Champs-Elysées – Riccardo Chailly – Alberto Malazzi

Joyeuse ouverture de saison au Théâtre des Champs-Elysées !

12 septembre 2023. La salle est comble pour l’ouverture de saison du Théâtre des Champs-Elysées. Cela sent encore le retour de vacances. Y a de la joie dans le hall et les escaliers. L’impatience de retrouver la programmation classique du Théâtre des Champs–Elysées. Le programme est alléchant pour une ouverture de saison : l’Orchestre et le chœur de la Scala de Milan pour faire résonner les plus beaux succès de Verdi dirigés par Alberto Malazzi et Riccardo Chailly, l’homme aux multiples décorations : Grand Officier de la République d’Italie et membre de la Royal Academy of Music de Londres, Grand Croix de la République d’Italie, Chevalier de l’Ordre du Lion des Pays-Bas, Officier des Arts et Lettres en France, mais aussi un chef d'orchestre invité dans les plus grandes formations et les plus grands opéras.

Le programme est en deux parties de 40 minutes. Du bref pour de l’intense.

  • Sinfonia, « Gli arredi festivi », « Va, pensiero, sull’ali dorate », extraits de Nabucco ;
  • « Gerusalem », « Signore, dal tetto natìo », extraits de I Lombardi alla prima Crociata
  • Prélude ; « Si ridesti il Leon di Castiglia », extraits d’Ernani
  • Ballet final (acte III, tableau 2), « Spuntato ecco il dì d’esultanza », extraits de Don Carlo ;

 Entracte

  • Prélude, « Che faceste? Dite su! », Chœur des Sorcières « S’allontanarono! », « Patria oppressa! Il dolce nome », extraits de Macbeth
  • Prélude, « Vedi le fosche notturne spoglie », extraits d’Il Trovatore
  • Sinfonia, Tarentelle « Nella guerra è la follia », extraits de La Forza del destino
  • « Gloria all’Egitto, ad Iside », extrait d’Aida

On s’interroge. Serons-nous encore surpris et touchés par des airs que nous avons entendus et réentendus ? Échapperons-nous à la citation fatale de Verdi lui-même : « le public admet tout au théâtre sauf l’ennui » ?

Force est de constater que rapidement après quelques portées, la force de la musique verdienne associée au chœur de la Scala atteint son objectif. On se retrouve progressivement emporté par l’ensemble qui s’amuse d’un répertoire mené à la baguette et avec expression par un Riccardo Chailly qui théâtralise l’œuvre verdienne avec des variations prononcées comme pour mieux s’échapper d’une autoroute musicale composée d’airs connus. Si durant la première partie l’orchestre semble s’ajuster à la salle et au plateau - avec des cuivres un brin trop présents - la deuxième partie est totalement réussie, grâce à un chœur harmonieux, puissant, et quelques musiciens de l’orchestre qui finissent par se détacher visuellement et musicalement de l’ensemble.

On finit par adhérer à la démarche d’un Chailly expressif et par rejoindre un Verdi force de vie. Émouvant Patria oppressa! il dolce nome, puissant Vedi le fosche notturne spoglie, spectaculaire Tarentelle « Nella guerra è la follia », défendue par un premier violon exceptionnel, bondissant sur sa chaise. On finit séduit par la cohérence et l’unité de l’ensemble devant un répertoire pourtant très éclectique digne d’un best of. L’exercice est toujours périlleux.

L’orchestre à l’unisson, le chœur dirigé par Alberto Malazzi, font sonner comme jamais l’œuvre de Verdi, provoquant le « Viva Verdi » d'un spectateur italien débordant de joie dans la salle. Riccardo Chailly dans sa légère queue de pie de velours se retourne, s’en amuse et sourit. Il règne une forme de généreuse fraternité dans la salle. Les succès de Verdi rassemblent. Les spectateurs sourient de plaisir devant un concert qui a atteint son objectif : mettre tout le monde en joie avec des airs populaires portés aux nues. Les applaudissements sont là. La saison est ouverte !

Le programme de la soirée : https://www.calameo.com/read/0030455153fd45da7ac5d

Retrouvez la programmation du Théâtre des Champs-Elysées : Saison 2023 - 2024 (theatrechampselysees.fr)

Jesmyn Ward, Les moissons funèbres, 10/18

"La plupart des hommes que je connais pensent que leur vie, qu'ils soient dealers ou rangé des voitures, vaut la peine d'être couchée par écrit. A l'époque, je me contente de rire. Aujourd'hui, en écrivant ce livre, je vois bien qu'il y avait quelque chose de vrai dans cette assertion." (page 86)

Jesmyn Ward se livre à un récit autobiographique plein de langueur et de nostalgie. Elle raconte son enfance dans le Mississippi des années 90 (elle est née en 1977) et l'on pourrait avoir la fausse impression qu'il ne se passe pas grand chose dans ce livre aux chapitres écrits comme des nouvelles.

Pourtant, à travers sa propre histoire et celles de cinq de ses proches morts en à peine quatre ans, l'autrice décrit "la dure réalité qui attend les jeunes Noirs dans le Sud - chômage endémique, pauvreté et drogues diverses pour faire passer le tout." (page196).

Avec son écriture humble et claire, Jesmyn Ward aborde des thèmes lourds et fondamentaux. Elle parle de racisme endémique, de pauvreté, de violence, de l'emprise de la drogue, du traumatisme de l'esclavage (dont les répercussions sont toujours visibles sur les familles) ou encore de l'inégalité entre les hommes et les femmes.

Les jeunes s'ennuient, il glandent et s'évadent comme ils peuvent grâce à l'alcool et la drogue. Mais c'est bien plus qu'une langueur adolescente. On est frappé par l'absence totale de perspective de ces jeunes dont on peine à croire qu'ils vivent dans la première économie mondiale.

"Toute la communauté souffre d'un déficit de confiance: nous ne pensons pas la société capable de nous offrir un minimum d'éducation, de sécurité, d'emplois décents et de justice. Et ce manque de confiance en la société qui nous entoure, en la culture dans laquelle nous baignons et qui nous rappelle sans cesse notre infériorité, nous amène à nous méfier de tout le monde." (page 193)

Un petit livre profond.

Parution en poche le 07 février 2019
chez 10/18 collection Littérature étrangère
Éditions Globe
288 pages | 8,30€
Traduction (anglais USA): Frédérique Pressmann

Le moche et la musique : Jonathan Wilson – eat the worm | The Lemon Twigs – Everything Harmony | Laufey – Bewitched

Le gouvernement s’attaque à la France Moche. Il débloque 25 millions pour que les zones d’activités ne soient plus de sordides lieux de passages. Il veut mettre de la vie et de la couleur dans des zones commerciales grises et décharnées coupées par de longues voies ennuyeuses. Les hommes là-bas y sont des zombies comprimés par la société de consommation. Ce sont des zones de non-vie.

Les musiques d’ascenseur essaient d’aspirer la sourde dépression qui règne dans ces étranges lieux faits d’absurdité et de mocheté. Bref, le monde est laid et le gouvernement français veut le fleurir, le rendre plus beau, tout comme un musicien qui se mettrait à la recherche du Beau.

Jonathan Wilson est un petit génie de la musique. Le beau, il nous la présentait sous la forme d’un rock progressif mais très facétieux. On n’est pas dans la science fiction musicale mais nous sommes dans la réorchestration de genres musicaux avec une virtuosité qui épate. Il a secondé longtemps Roger Waters sur ses tournées.

Il rend beau la country ou le psychédélisme. Cette fois, avec Eat the storm, il orne l’alternatif d’une puissance mélodique totalement déraisonnable. Jonathan Wilson aurait pété les plombs? En tout cas, après des albums travaillés et abordables, il nous plonge dans son imagination débordante.

Tout se chevauche, des élans jazzy et des refrains pop. C’est un opus très bizarre mais qui offre le talent de l’artiste dans un état quasi brut. Et cela est très beau à écouter. Les hésitations deviennent des inspirations et les rugissements glissent vers des moments tendres et inspirants.

Lemon Twigs, duo de frangins restés dans les années 60 et 70, sont de leur coté à la recherche du bonheur : la chanson pop parfaite. Alors sur ce nouvel album, Everything Harmony, ils tentent de trouver l’accord parfait.

Et le duo réalise un disque quasi parfait. On les savait talentueux mais dans leur obsession, ils offrent à chaque album, un esprit différent et un style élégant. De leurs influences évidentes, ils parviennent encore à sortir un opus qui effectivement met en avant le sens de l’harmonie.

La plupart des chansons sont irrésistibles et ne sont jamais anecdotiques. Ils font fleurir des sons caressants et leur jeu de voix est ludique à souhait. On craque aisément dès les premières minutes. Et le temps joue pour eux. Chaque chanson a le charme suranné d’une vieux hit des Bee Gees ou une incroyable dextérité qui rappelle Crosby Stills Nash & Young. Les deux gringalets tiennent la comparaison. Promenez vous dans un endroit très moche en écoutant cela et vous vous trouverez dans un décor de comédie sentimentale.

Lemon Twig a laissé de côté sa flamboyance pour une mélancolie qui fera plaisir à Brian Wilson, roi de la ritournelle douce amer et habile. Un magnifique moment !

Le monde est plus beau aussi avec le second album de l’islandaise Laufey. Avec sa pochette paillette, on pouvait s’attendre à une nouvelle starlette de la pop mondiale. Hé bien non ! Moderne, la jeune femme chante un jazz féminin et tendre.

On se fait surprendre puis on est totalement séduit par la voix et l’orchestration qui pourraient nous transporter dans un salon lounge en train d’écouter le regretté Burt Bacharach. Les chansons sont douces mais ne manquent pas d’étonner car l’Islandaise sait mettre ce qu’il faut d'agilité dans le champ très balisé du jazz féminin. Les textes sont très contemporains et le traitement plus vintage que prévu.

Le jazz et les atermoiements font bon ménage dans Bewitched. Un disque subjuguant. Avec quelques euros, achetez un de ses disques et allez l’écouter dans l’endroit le plus craignos de la terre. Vous verrez comme ça peut devenir beau avec quelques notes, quelques paroles dessinées avec douceur, arrangements et talents. La musique peut creuser le ciel selon Baudelaire, elle peut aussi bien débuter les travaux pharaoniques pour tenter de rendre le monde un peu plus agréable…

Jonathan Wilson - eat the worm
The Lemon Twigs - Everything Harmony
Laufey - Bewitched

IF Illustration festival (par Kiblind) – les SUBS – ENSBA Lyon

C’est à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon (ENSBA) que l’IF (Illustration Festival) sera accueilli les 7 et 8 octobre 2023. Il sera gratuit et libre d’accès.

Le festival désire créer une illustration vivante, tout en se voulant la continuité du magazine d’illustration Kiblind,. Une certaine dynamique sera ainsi présente dès le premier jour, où des créations en live auront lieu. Cet évènement live permettra au public de voir la naissance d’une illustration, les techniques utilisées par les artistes, leur démarche. Les illustrations produites seront exposées le second jour.

Il est également important de noter que l’IF est un festival international ! Plus de 80 artistes seront invité.e.s, dont plus d’une trentaine internationaux.

Cela promet donc une large illustration par de nombreux regards des thèmes abordés, qui relèvent pour la plupart de la vie courante (musique, sexualité, ville, le vivant). Toujours dans une optique dynamique, des talks seront organisés lors du festival, permettant au public d’interagir avec des artistes et des spécialistes. Seront également proposés des ateliers abordant tous la question de la place donnée à l’illustration dans la vie de chacun, avec notamment un atelier de tatouage ou encore « Pimp my body ».

Il n’est pas question ici de faire une liste exhaustive de l’ensemble de ce que proposera le festival. Mais comment ne pas mentionner la projection de nombreux courts-métrages animés (dont les séances seront elles-aussi gratuites), dont certains pour jeune public ? Le festival collabore en effet avec de nombreux festivals de court-métrages, tel que le festival du court métrage de Clermont-Ferrand, ou encore KABOOM festival ; promettant ainsi une sacrée programmation !

IF, comme un arbre dans la ville, semble donc promettre une opportunité de découverte et une bouffée d’air offerte à tous. Le festival sera en effet gratuit, et accessible pour tous, à tous les âges.

PROGRAMME DÉTAILLÉ ICI : illustration-festival.com
COMPTE INSTAGRAM : @if_illustrationfestival
SUBS -  8 bis Quai Saint-Vincent, 69001 Lyon

Trois albums pour la rentrée : Tapioca, Queen Omega, Kanazoe Orkestra

Eh, salut ! Comment se passe la rentrée ? Ce n’est pas trop dur ? Bienvenue sur notre site. On va essayer de vous offrir de bons moments avec des choix musicaux hédonistes et savoureux et de la musique qui vous permet d’échapper à une vie trop stressante.

On sait que ce n’est pas facile de retourner dans le quotidien. La musique devrait vous arracher à votre quotidien imposé et pas toujours drôle. On va vous offrir des petites pépites qui vous arrache à tout cela, de la cantine institutionnelle à la réunion avec le boss hystérique.

Si vous êtes courageux, proposez lui l’écoute de Samba em Kigali, l’album frais et exotique de Tapioca. Là nous rentrons dans le salon lounge avec de la musique chaloupée qui veut vous donner l’envie de préparer un délicieux cocktail.

Tapioca est un duo. Un Brésilien et un Belge. Ensemble ils nous emmènent vers cet ailleurs où les soucis deviennent flous, où l’amour vient se frotter à un bar vintage de sons élégants qui font bouger gentiment le bassin.

Guitares wah wah, synthés retro, voix élégiaques, flutes qui s’envolent… on a droit à tout. Le curseur de la world pop est poussé au maximum. Et cela fonctionne assez bien. Le disque chaise longue par excellence.

D’ailleurs on va poser une chaise longue à Trinidad et Tobago pour écouter la voix puissante de Queen Omega. Là, on ne bouge pas des clichés exotiques : c’est du bon gros reggae qui fait du bien à notre manque de sens dans la vie ou autre problème existentiel !

Et c’est vrai que la voix de Queen Omega ne vous laissera pas indifférente. Elle est imposante et vient vous chercher. On croise Soom T et Julian Marley mais on entend surtout une lionne rugir avec une intelligence rare et un vrai sens de la modernité.

Le moderne et l’ancien cohabitent très bien autour de cette lady du reggae. Les textes sont loin d’être idiots et ne se résument à des punchlines simplissimes. Non, la chanteuse montre un sacré caractère et ce disque est une belle découverte qui change des habitudes bien plan plan du reggae actuel.

Folikadi. Cela veut dire la musique qui fait du bien. Donc entre les bouchons ou les incivilités qui vous écorchent à vif, mettez vous vite à écouter les 28 minutes ce disque du Kanazoe Orkestra. Une pure pépite de joie.

Cette chronique fait peut être un peu TV5 Monde mais cet album qui met à l’honneur le balafon ne peut que vous illuminer. Écrit pendant la pandémie, c’est un vrai rayon de soleil où tous les participants sont en osmose.

Mené par le musicien Seydou Diabate, le groupe encadre parfaitement des chanteurs lumineux. Le balafon devient une lampe torche qui éclaire le blues et des rythmes ultra chaleureux. Là encore, on est au milieu d’un mélange de genres absolument envoutant. Musiques africaines et éléments jazzy ou pop se conjuguent dans un pluriel limité à quelques titres qui nous font réellement du bien. Un petit chef d’œuvre d’enthousiasme.

Donc avant de vous lancer vous condamner à être au bout du rouleau… tentez ces trois albums plein de bonnes ondes et de joie. Folikadi, on vous dit ! Sinon vous pouvez toujours dire merde à votre boss hystérique !

Tapioca - Samba em Kigali
Queen Omega - Freedom Legacy
Kanazoe Orkestra - Folikadi

Anatomie d’une chute, Justine Triet, Le Pacte

A voir l’affiche et la bande-annonce, je m’attendais à un Faites entrer l’accusé au pays des bobos. Pas très motivant…
Heureusement, mon épouse m’a convaincu de voir ce film qui mérite de figurer sur votre liste de rentrée !

Un couple, Sandra et et leur fils, Daniel, vivent dans un chalet de montagne dans les Alpes. Elle est une écrivaine allemande et tente de mener un entretien avec une étudiante. A l’étage, son mari pousse la musique tellement fort que les deux femmes doivent renoncer à l’interview. L’ambiance est délétère…
La jeune femme préfère s’en aller, tandis que le petit garçon du couple sort faire un tour dehors avec son chien (il est malvoyant). A son retour, l’enfant trouve le corps de son père, mort, sur le perron de la maison. Les secours sont prévenus et, assez rapidement, la mère est soupçonnée d’avoir jeté son mari par la fenêtre et se retrouve face à ses juges.

C’est bien plus qu’un simple film à suspens.

Justine Triet aurait pu faire de l’intrigue l’élément principal de l’histoire. Alors, le film aurait été tout autre mais, à mon avis, nettement moins intéressant !

Savoir si elle a tué son mari ou pas n’est pas vraiment la question. L’enjeu est ailleurs : il s’agit de parler du couple et, plus généralement, des relations interpersonnelles, de la façon dont elles peuvent se détériorer, se déliter avec le temps. Dans la vie, il peut être tentant de faire peser ses propres échecs sur quelqu’un d’autre. Blâmer son partenaire plutôt que soi-même est une solution facile. Mais c’est à ce prix qu’on pourrit une relation.

Je loue Justine Triet de parvenir à déboucler son histoire sans verser dans le travers qui consiste – comme dans beaucoup de films - à délier des situations inextricables par une franche discussion qui sert de point d’orgue émotionnel à l’intrigue. Ici, ce n’est pas en discutant que mère et fils règleront leur problème !

Ce n’est pas qu’un film de procès

C’est toujours difficile de faire un film sur un procès, cela peut vite être barbant et irréaliste. Ici au contraire, Justine Triet et Arthur Harari (son mari et coscénariste) utilisent les audiences à la Cour d’assises de façon très habile pour dévoiler l'intime.

Bien sûr, il y a quelques petites choses qui manquent de crédibilité : le public de la Cour d’assises, la rapidité avec laquelle l’accusée se met à parler français parfaitement… Mais ces détails ne font pas le poids face aux nombreuses qualités du film.

Lors du procès, il y a quelques débats d’experts pour tenter de déterminer techniquement si le défunt s’est jeté par la fenêtre ou s’il a été poussé par sa femme, mais le plus intéressant n’est pas là. L’important, c’est que les différents témoignages nous éclairent sur la relation de couple et sur le drame. Par exemple, le témoignage du psy montre comme le mari et la femme voient leur vie différemment et comme l’amour et la bienveillance du début ont pu laisser place à la jalousie et à la rancœur. Ainsi, un même événement est vu et vécu de façons diamétralement opposées. C’est fascinant.

Une grande maîtrise formelle

J’ai relevé le soin particulier apporté par la réalisatrice au cadrage et au hors champ. Par exemple, Julie Triet ne montre jamais les jurés. Il lui arrive aussi de placer la caméra derrière un spectateur, comme si nous étions dans la salle. Parfois, un truc passe dans le champ, un bras ou autre, renforçant notre sentiment d’être une petite souris assistant au théâtre judiciaire. La façon de filmer est à la fois d’une grande technicité et d’une grande sobriété. La réalisatrice résiste à la tentation de faire de belles images avec les paysages de montages.

Au-delà de l’image, les bruits et les sons jouent un rôle crucial dans ce film. Un comble au cinéma ! Il est d’ailleurs frappant qu’un des personnages principaux (le fils) soit malvoyant. Les choses ne sont claires pour personne !

Il n'y a, pour ainsi dire, pas de musique (on n’est pas chez Clint Eastwood avec ses musiques qui soulignent lourdement les émotions !), mais Julie Triet peaufine la place des sons. Ainsi, la musique assourdissante qui passe en boucle au début du film crée une ambiance qui nous met mal à l’aise alors que Sandra, elle, ne semble pas gênée plus que ça par ce déchaînement de décibels. C’est aussi par le son que l’on découvre au cours du procès des facettes du couple, de son intimité.

Des comédiens exceptionnels

Scénario, son, image, le film recèle de grandes qualités, on l'a dit. Mais la grande qualité du film réside dans la direction d’acteurs et dans la qualité exceptionnelle des interprètes. Même les personnages secondaires sont soignés. Les petits rôles ne sont pas négligés. Et que dire des rôles principaux ?

Sandra Hüller est, pour moi, une révélation. Cette allemande qui joue dans une autre langue que la sienne est épatante. Son personnage ambivalent lui permet de déployer subtilement une palette d’émotions.

Swann Arlaud joue un avocat aussi réservé que séduisant. Le duo qu’il forme avec Sandra Hüller fonctionne très bien. J'ai beaucoup aimé cette scène où ils sont dans un restaurant, il s'en dégage un trouble indicible.

Même le chien est phénoménal ! D’ailleurs, il a reçu pour sa prestation la Palm Dog (ce n’est pas une blague !)

J’ai entendu un critique (sur France Culture) dire que le personnage de Daniel n’était pas crédible car bien trop mûr pour son âge. C’est avec ce genre de raisonnement (les enfants ne volent pas bien haut), que le cinéma nous sert régulièrement des personnages d’enfants au ras des pâquerettes. Ici, au contraire, l’enfant n’est pas infantilisé mais bien traité comme un personnage, une personne, à part entière. Et c’est tant mieux car ce rôle complexe est servi par un acteur incroyable. Milo Machado Graner a une qualité de jeu folle et il dégage une émotion qui vous tirera des larmes. Je ne crois pas avoir vu d'acteur garçon (il a 15 ans) aussi bon depuis les débuts de Benoît Magimel, et encore Milo est-il un cran au-dessus de Benoît. (Je le mets au même niveau que Céleste Brunnquell, vue dans En thérapie, qui dégage la même force mais qui est un peu plus âgée, 23 ans.). Il est bouleversant.

Seul Antoine Reinartz ne m’a pas convaincu. Du moins au départ. Ce comédien incarne l’Avocat général, c’est-à-dire le magistrat qui, dans un procès pénal, représente la Société. Il ne juge pas l’accusé.e mais, en notre nom à tou.te.s, réclame aux juges une peine au titre du mal que l’accusé.e nous a fait, à nous tous. En principe, cette fonction suppose mesure et impartialité. Il est arrivé même qu’un Avocat général requière un acquittement.

C’est pourquoi, à première vue, je n’ai pas trouvé ce personnage très crédible. Mais, à bien y réfléchir, c’est justement parce qu’il se livre à un réquisitoire totalement à charge, parce qu’il ne parvient à cacher ni son agacement ni son impatience, qu’il permet aux autres personnages de se révéler. C’est vraiment lui l’intégrateur négatif de l’histoire (en management, l’intégrateur négatif, c’est la tête de con qui soude le reste de l’équipe.) Et c’est la preuve que ce film transforme même ses apparentes faiblesses en qualités.

Car l’on sent que ce magistrat – et à travers lui la Société - est horripilé par cette femme forte dont il cherche à tout prix à démontrer la culpabilité. Une femme libre n’est-elle pas, en effet, forcément coupable ?

Au cinéma le 21 mai 2023
150 minutes
Les films Pelléas | Les films de Pierre

Prenons des forces pour la rentrée, avec Laura Groves, Neil Young et Liam Gallagher

Bon allez, ça y est, on va basculer dans la rentrée. Il va falloir penser aux titres de transports, aux factures accumulées et aux patrons qui pètent les plombs. Heureusement la musique est là pour calmer tout cela.

Il y a des artistes qui pourront vous laisser quelques minutes de repos et de joie. Comme Laura Groves. Elle pourrait prolonger un petit plaisir d’été. C’est l’idée de cette chronique : doucement les gars, on reprend la vie active en toute tranquillité.

Laura Groves joue normalement du clavier pour le groupe Bat for Lashes. Toute seule, elle se débrouille aussi très bien. La demoiselle aime la white soul tranquille. On pourrait l’imaginer comme la petite nièce de Billy Joel.

Rien d’exceptionnel mais une fille qui offre de jolies chansons où les refrains viennent vous caresser dans le bon sens, et qui vous propose un petit havre de paix. Son second album cherche à vous faire plaisir avec un rythme low tempo très apaisé.

La voix est claire et les arrangements sont vintage. Laura Groves regarde vers le passé mais en tire le meilleur avec des ballades délicates tout en synthétiseurs totalement eighties. Ça pourrait être léger mais les émotions de la chanteuse transpercent bien les effets et elle nous aide à appréhender le monde “réel”.

Comme d’habitude dans la chronique musique de ce site, nous allons maintenant rentrer dans l’actu “Neil Young” (on parle de lui tous les trois mois environ) avec un nouvel album qui n’en est pas un parce que finalement il n’avait pas voulu le sortir à l’époque mais maintenant ça le fait rigoler.

Donc Chrome Dreams, effort de 1977, sort enfin en 2023. Le Loner a depuis mis ses chansons dans d’autres albums mais effectivement, le style et l’ambiance sont totalement différents. C’est un album très agréable pour reprendre contact avec le quotidien.

Les chansons sont finalement connues mais dans des versions originales. On découvre les œuvres primaires, les premières inspirations. Comme d’habitude, il y a de la country folk qui nous donne l’envie d’aller dormir sous la tente et des guitares qui viennent percuter notre plaisir rock.

Une fois de plus, on a l’impression d’ouvrir un coffre dans le grenier dans nos grands parents et c’est rassurant. Quand c’est la reprise, c’est une vraie joie.

Après il faut se donner de l’entrain pour revenir dans la partie. Alors suivons l’exemple de Liam Gallagher, le frangin taré d’Oasis mais véritable Rock’n’roll Star, chanté assez rapidement sur cet album live à Knebworth, temple de la brit pop. Si tu arrives à remplir ce parc, tu es tout simplement un mythe.

Oasis a réussi cet exploit en 1996. Liam, hurleur du groupe avec sa verve rien qu’à lui, y arrive seul ! Son frère, Noel, reste notre préféré mais le chanteur d’Oasis a une gouaille incroyable et veut toujours être le meilleur. Après tant d’années d’errance, il donne du sens à la plus stupide des chansons. C’est une tête de nœud légendaire mais il sait interpréter des chansons.
Allégrement il reprend les hymnes du groupe qui a fait la légende et entretemps il passe quelques unes de ses chansons qui ne sont pas si mal et plaisent au public. Ça fonctionne. Le tempérament lads y est !

Le garçon a conservé l’urgence de la brit pop, chansons populaires à chanter dans sa bagnole ou dans les transports en commun. Ou dans un stade. Mais c’est  un moment de liberté à s’offrir quand on est contraint à redevenir des working class heros ! Bon courage pour le retour aux affaires.

La nostalgie des blattes – Pierre Notte – Marilyn Pape – Manufacture des Abbesses

Quand la nostalgie devient source de joie et de tendresse.

Tout commence en musique, sous les airs de la Sonate au Clair de Lune de Beethoven. Elle est déjà en scène, assise centre scène sur une chaise noire, sur une plateforme étroite, noire, ne pouvant contenir que deux chaises côté à côte. Marilyn Pape, dans une espèce de corset gainant couleur chair attend et regarde le temps passer. Côté jardin, entre Eulalie Delpierre. Elle s’apprête à monter sur la 2e chaise. Se dévêtit, range sa robe dans un tiroir de la chaise, et endosse une nouvelle peau en corset couleur chair. Elle monte sur la plateforme et prend place.

C’est alors que débutent les échanges entre les deux septuagénaires, la nouvelle venue et celle qui a déjà vu passer une précédente compagne. Le lieu est mystérieux. Au mileu de nulle part, assises comme sur un ilôt perdu dans l’espace temps, exposées comme dans un musées, les deux femmes agées font connaissance et s’apprivoisent, le regard face public en quête de vie et de vie passée.

Avec une grande sincérité, les deux femmes jouent une vieillesse d’une belle humanité. Elles égrainent le temps et son impact sur le corps. Sans rancœur, avec du piquant parfois, elles rappellent combien les souvenirs sont aussi des sources de jeu et d’existence. Le souvenir d’une cigarette suffit à raviver la tentation d’en griller une.  L’une a été danseuse quand l’autre a été chanteuse et comédienne. Le texte de Pierre Notte projette ainsi le texte et les personnages dans des mises en abymes laissant ainsi l’occasion à Marilyn Pape de raviver Le Lac des cygnes et à Eulalie Delpierre une chanson mémorable de Dalida, avec beaucoup de tendresse et d’humour. On rit, on sourit et on se laisse aisément guider par les cabotineries de ces deux vieilles qui évoquent tous les sujets avec dignité.

Face public, l’effet de miroir et d’identification fonctionne parfaitement. En parlant de vieillissement, chacun y trouvera source de questionnement sur la fin de vie. Les deux septuagénaires nous rappellent la préciosité du temps qui passe et qui ne se rattrape jamais. La nostalgie des blattes mise en scène par Marilyn Pape se termine sur la chanson de Serge Reggiani Le temps qui reste. Main dans la main, les deux personnages quittent le plateau, puis la salle. Une fin et une ode au temps émouvantes qui nous invitent plus que jamais à s’en saisir et à agir.

Manufacture des Abbesses – Théatre à Paris

Représentations du 23 août 2023 au 14 octobre 2023 / mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 19h
La Manufacture des Abbesses - 7 rue Véron - 75018 Paris - Métro : Abbesses ou Blanche
Tournée 2023-2024 en cours : La Chapelle Naude (10/11/23), Morteau (1/02/24), Cluny (30/04/24),
Lure (28/06/24).

Le poids du mensonge, Mitch Hooper, Manufacture des Abbesses

Lorsque Marc arrive chez Jean au petit matin, il ne sait pas que son ami vient de tuer femme et enfant. Les deux hommes discutent dans le jardin. L'atmosphère est tendue, les silences s'installent et la rancœur affleure. Manifestement, les deux amis de longue date ont des vieux comptes à régler.

"J't'en veux pas de toute manière.
- Alors pourquoi tu m'en parles sans cesse?"

Les deux hommes remontent ensemble le fil de leur relation amicale, une histoire qui mène au drame. En filigrane, Jean se dévoile. Au détour de phrases à double sens il confie son crime et les raisons qui l'ont poussé à assassiner les siens. Car - comme Jean-Claude Romand (dont le personnage est inspiré) - Jean a menti à tout le monde. Depuis toujours. Lui qui n'a ni diplôme ni emploi escroque ses proches pour vivre. Mais au moment où d'être découvert, il a préféré faire du passé table rase, effacer son passé. Jean est glaçant. Lorsqu’il n'élude les questions, il y réponds de façon à laisser planer le doute.

"T'es le roi du monde, comment t'as fait ?
- J'ai menti."

Par un flashback habile, nous revivons la veille du drame, quand les deux amis et leurs femmes ont dîné ensemble. Là aussi, la jalousie pointe. Chacun.e fantasme la vie de l'autre et lui envie la réussite qu'il lui prête. Mais les apparences sont trompeuses et la dissimulation est reine. On sourit parfois devant l'énormité des mensonges.

"Ça fait des années que je porte ce poids et là, soudainement, je suis en apesanteur.
- Quel poids ?
- Le poids du mensonge."

Jean est un personnage complexe que Julien Muller incarne posément et avec justesse. Le comédien joue tout en retenue et donne au rôle une belle profondeur. Mâchoires serrés et diction lente. il est froid et distant. Il transpire la colère rentrée et le cynisme. On va jusqu'à rire de l'aplomb de Jean qui semble assez content de lui, malgré tout.

"Tout le monde a voulu me croire. Il a fallu continuer. Ils m'ont obligé à mentir."

La mise en scène est à l'épure, du mobilier de jardin, quelques déplacements et c'est tout. Tout repose sur le jeu au cordeau des acteurs qui maîtrisent l'art complexe du silence au théâtre comme celui des longs dialogues.

Julien Muller est bien dans le rôle de Jean, on l'a dit, mais ses partenaires de jeu ne sont pas en reste. Anatole de Bodinat a le charme qu'il faut pour jouer Marc, le beau mec prometteur un peu looser, et c'est un plaisir d'assister à son face-à-face avec Julien Muller. Anne Coutureau restitue bien l'état d'esprit de la femme de Jean ; Carole est manipulée, larguée et résignée. Sophie Vonlanthen, enfin, sait nous montrer combien Laurence - la femme de Marc - est, sous ses airs candides, un personnage froid et pragmatique.

La tonalité de la pièce reste grave, sans verser dans la pesanteur. L'auteur et metteur en scène, Mitch Hooper, réinvente et transcende le théâtre de Boulevard. Sauf qu'ici ce ne sont pas les portes mais les coups de feu qui claquent !

Une pièce sobre, dense et efficace qui mérite d'être vue.

Jusqu'au 15 octobre 2023
Manufacture des Abbesses, Paris XVIII

de 10€ à 26€

Jacques et Chirac, Régis Vlachos, Marc Pistolesi, Contrescarpe

Après la pièce Chirac en 2019, le Théâtre de la Contrescarpe propose de nouveau un spectacle dont l'ancien Président de la République est le (anti) héros. Cette fois, c'est férocement drôle !

En ce 24 août 2023, septième jour de représentation de "Jacques et Chirac", la petite salle du Théâtre de la Contrescarpe est comble, preuve que le bouche à oreille fonctionne déjà bien. Dans le public, il ne semble pas y avoir d'admirateurs invétérés de Chirac... Sinon ils auraient jeté des tomates à la fin !

Rassurez-vous, ce n'est pas un spectacle politico-chiant, pas plus qu'une hagiographie ni un brulot anti-Chirac ; ce sont tous les Présidents de la Cinquième République qui en prennent pour leur grade !

Cette pièce, c'est de la dynamite ! Et plutôt deux fois qu'une.

D'abord, cette pièce, c'est de la dynamite au niveau de la mise en scène et de l'interprétation.

Ils sont trois sur scène. Régis Vlachos (qui signe également le texte) joue le rôle Chirac, tandis que Charlotte Zotto et Marc Pistolesi (aussi metteur en scène) incarnent à eux deux toute la galaxie des personnages gravitants autour de Chirac. Et en cinquante ans de politique, ça fait du monde !

Par un habile jeu de costumes et d'accessoires, les comédiens virevoltent et changent de personnages à toute allure. Pour un peu on se croirait dans un spectacle d'Arturo Brachetti (le transformiste italien) !

Les décors (signés Jean-Marie Azeau) regorgent de surprises. Chaque objet a un double usage : un bureau se transforme en canapé, un abat-jour en couronne... Et cela n'arrête pas pendant tout le spectacle. J'ai bien aimé aussi l'usage fait de la vidéo qui, bien plus qu'un simple élément de décor, agit comme un lien hypertexte, en parfaite synchronisation avec les comédiens.

Ensuite, cette pièce est explosive par son contenu. C'est aussi drôle que Douce France de Stéphane Olivié, mais plus féroce. Il y a un vrai décalage entre le ton survolté et comique de la pièce (Chirac en slip, une petite fille du public, qui n'avait pas les références historiques, était morte de rire) et le fond du texte.

Le texte, bien documenté, raconte comment Marcel Dassault, industriel et ami du père Chirac, a propulsé le jeune Jacques dans la politique. Au départ, le jeune parisien de bonne famille, légèrement paresseux et un brin rebelle, rechigne un peu. Mais lorsqu'il goute au frisson de la campagne électorale, c'est la révélation. Lorsqu'il entre dans l'arène politique, celui fut vendeur de l'Humanité (le journal du Parti Communiste Français!), qui se rêvât cowboy et qui se serait bien contenté d'une carrière peinarde de haut fonctionnaire se transforme en Bulldozer (comme le surnommait Pompidou).

Trouvant appui sur le cas Chirac (un sacré personnage, il faut bien le reconnaitre), la pièce dresse un portrait acide de la Cinquième République, rappelant des vérités historiques - "de massacres en génocides" - dont il n'y a pas de quoi être fiers. "Le réel, c'est pas croyable", c'est malheureusement parfaitement vrai.

C'est vif, c'est drôle, c'est instructif, c'est à voir.

Jusqu'au 05 novembre 2023
Théâtre de la Contrescarpe
de 11€ à 34€

Auteur : Régis Vlachos
Adaptation : Charlotte Zotto
Comédien·nes : Marc Pistolesi, Régis Vlachos, Charlotte Zotto
Mise en scène : Marc Pistolesi
Décor : Jean-Marie Azeau
Lumières : Thomas Rizzotti
Costumes :  Coline Faucon, Louis Antoine Hernandez
Chorégraphie : Mathilde Ramade
Création son et vidéo : Cédric Cartaut
Illustration et graphisme : Emmanuelle Broquin, Cédric Cartaut

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