L’espoir fait vivre, Sam Fender, Manic Street Preachers


Les vieux croutons réactionnaires sont de retour et veulent nous faire croire que les jeunes sont un danger. Pourtant, certains profitent de l’expérience des aînés pour sortir de beaux disques avec de l’entrain et de la volonté qui forcent le respect. En musique, les jeunes sont capables de digérer et d'améliorer le son de leurs ancêtres.
C’est particulièrement vrai de l’autre côté de la Manche, véritable mouvement incessant de rock, de pop et de traditions. Depuis les Beatles, les groupes et les styles s’enchaînent dans une effervescence impressionnante et on a tout à fait raison de jalouser nos amis britanniques.
On aimerait nous aussi avoir un artiste comme Sam Fender. En deux albums, le jeune chanteur a su apporter une humanité qui nous rappelle étrangement Bruce Springsteen. Il est une version timorée du boss mais il a bien compris comment composer une mélodie autour d’une parole chaleureuse et déterminante. Son troisième opus est tout aussi convaincant.
People Watching est donc une belle description de la vie contemporaine. C’est un rock simple et efficace. Ce que l’on y entend ce sont les working class heroes et la simplicité d’une émotion. Sam Fender continue de dépouiller un rock direct et délicieux car il ne prend pas de pincette pour raconter un quotidien, un destin ou un récit. C’est d’une sincérité rare dans les productions actuelles.
Le musicien travaille l’authenticité et cela se fait rare ces derniers temps. Les tournures musicales nous amènent à la vulnérabilité et la bienveillance d’un artiste jeune et lucide. Ce n’est pas d’une subtilité incroyable mais Sam Fender confirme bien qu’il est un chanteur à part, essentiel dans sa perception du Monde. Atypique et hors des normes actuelles.

Du coté du Pays de Galles, il y a un groupe qui ne semble pas vieillir et continue de cracher sa colère et ses inquiétudes sur des titres imparables tout en conservant une certaine juvénilité. Révélé par un hit imparable dans les années 90 (Design for life) et un fait divers toujours mystérieux (un des musiciens a totalement disparu), les Manic Street Preachers continuent de bastonner leurs convictions sur un rock de combat, d’une férocité qui ne perd jamais en intensité.
Comme Fender, il y a un engagement qui gomme tous les défauts. Le groupe en est à son quinzième effort mais le trio fonce comme à ses débuts. Visiblement les musiciens n’aiment pas trop visiter les autres pays du Monde mais leur musique a tout pour faire vibrer les stades. Après tant d’années, c’est encore surprenant.
On peut baver sur la reformation commerciale de Oasis, mais célébrons ici la solidité des Manic Street Preachers. Les Gallois n’en finissent pas de défendre leurs positions politiques et d’offrir des mélodies qui se collent obligatoirement au fin fond de votre cerveau. Ils ont un vrai socle qui apporte à chaque album, une imposante fraîcheur.
On va se donner désormais des allures de tournoi des 6 Nations avec un autre groupe, cette fois ci irlandais qui nous donne aussi un sentiment de vivacité et de quasi innocence. Inhaler est le groupe du fiston de Bono et cela s’entend aisément avec des chansons troussées pour la radio et le succès.

Avec ce troisième album, Open Wide, Inhaler confirme donc un groupe qui capture l’essence même de la pop. Le fils de Bono ne cache pas sa parenté mais surtout tente de jolis coups de force avec des refrains solides et des touches eighties qui n’auraient pas déplu à U2.
Il s’agit bien du genre de groupe qui va en agacer plus d’un mais il faut reconnaître que Open Wide n’est pas un caprice de gosse de riche. C’est de la pop qui respire de bonnes intentions. Avec son comparse du lycée, Elijah Hewson ont bien saisi les schémas du genre. Ils les bidouillent sans tenter la révolution. C’est une certaine forme d’humilité. Ils aspirent peut-être à devenir gros comme U2 ou Coldplay mais pour l’instant, c’est extrêmement plaisant et cela dépasse les préjugés.
Avec ces trois disques, la jeunesse ce n’est pas l’âge ou l’expérience, c’est l’alliage fragile d’une sensibilité, d’un courage et d’une vision. Le secret de la jeunesse, c’est donc cette volonté… que l’on aime tellement découvrir en chansons!
Captain America Brave new world, Marvel


Alors après un an d'absence, comment se porte Marvel et ses super-héros épris de justice? Bon bah ce n'est pas le top mais ça a l'air d'aller un tout petit peu mieux.
En terme de cinéma, on est toujours très loin des débuts joyeux et régressifs des premiers films Marvel, où cela tâtonnait pour faire rentrer les codes du comics dans un nouveau média : le cinéma.
Depuis, tout a été formaté. Le super héros est devenu une norme et Marvel s'est pris les pieds dans le plat pensant que le public allait suivre ses priorités et sa vision simpliste du blockbuster.
La laideur a fini par piquer les yeux. Les histoires se sont répétées. Le cynisme s'est imposé. En 2024 seul Deadpool a eu le droit de faire des blagues salaces sur grand écran. Mais Marvel tente cette année un come back avec trois films qui devraient être glorieux pour cette industrie.
On avoue tout de suite, ce nouveau Captain America n'est pas une réussite. Le réalisateur ne nous passionne pas une seconde : scènes d action peu surprenantes, scénario qui ne fait que des redites et acteurs qui semblent s'ennuyer. Le désormais héros de la franchise était un second couteau des débuts et il semble le savoir constamment. Sam Wilson passe son temps à porter le souvenir de Steve Rogers, le premier Avenger.
Heureusement les auteurs se sont dits qu'ils allaient trouver un super méchant qui finalement est aussi charismatique qu'un extincteur. Harrison Ford doit payer ses impôts et se moque bien de gérer sa fin de carrière. Alors ça ne le dérange pas de jouer un vilain qui passe son temps à s'excuser d'être vilain. Il est tout mou et son Hulk rouge fait peine à voir. Tout comme le méchant - encore plus méchant - qui se cache derrière tout ça avec son physique de brocoli humain. Il prête à rire constamment.
Lorsque vous avez raté la personnalisation des badguys, vous êtes mal barrés et c'est ce qu'il se passe dans Brave New World. Le spectateur ne ressent aucune empathie pour aucun des personnages du récit. D'ailleurs on peut s'interroger sur l'âge moyen des méchants dans cet opus : ils devraient tous être à la retraite.
Mais quand on doit se rappeler des dernières catastrophes industriels (Ant Man 3 et The Marvels), ce nouveau Captain America apporte quelques réjouissances avec cette volonté d'illustrer un rêve américain qui se cogne à des réalités qui le dépassent où une Amérique se perd dans des convictions guerrières complètement arriérés. Là dessus, le film aurait presque un propos de beatnik. Mais on ne s'enflamme pas. Le film donne l'impression d'être un coup dans l'eau, une petite remise en forme avant que les affaires reprennent.
Dans quelques semaines, nous retrouverons la sœur et le père de Black Widow dans the Thunderbolts (désolé pour ceux qui n'y connaissent rien) et dans quelques mois, les 4 Fantastiques devraient sauver le Monde une fois de plus. Et ensuite les Avengers sont de nouveau attendus... Finalement ce pauvre film est noyé dans un univers qui a de plus en plus de mal à cacher son unique valeur mercantile. Il y a sûrement de très bonnes intentions de cet épisode mais en toute honnêteté... bah on se sent un peu comme les vieux badguys : on se dit que c'était mieux avant.
Au cinéma le 12 février 2025
Avec Anthony Mackie, Harrison Ford, Danny Ramirez et Giancarlo Esposito
1h55 - Marvel
Monsieur Henri raconte, Lucas Gonzalez, François Piel-Flamme, Funambule Théâtre Montmartre


On s'installe tranquillement dans la salle du Funambule Théâtre, quand soudain un grand bonhomme dégingandé déboule sur scène.
Son nom: Monsieur Henri.
Sa mission : les lundis, déboulonner les statues des grandes figures de gauche , et les mardis, celles de droite !
François Piel-Flamme se donne à fond dans le rôle de Monsieur Henri et assure avec brio ce seul en scène atterrant et désopilant. Il crie, nous invective, nous pose des colles et s'énerve tout seul. (Rassurez-vous, c'est très drôle !). Il tourne furieusement les pages de son paper board pour dévoiler son plan ou illustrer son propos. Pour qu'on comprenne bien, Monsieur Henri multiplie les comparaisons anachroniques qui nous permettent de mieux cerner les personnages historiques qui émaillent son récit. Souvent, il se jette sur son petit bureau, s'empare d'une feuille qu'il retourne dans tous les sens et s'écrie : CITATION !
"Croire en l'Histoire officielle, c'est croire des criminels sur parole" (Simone Weil)
Il y en a pour tout le monde. Attention ça pique !
- Jésus Christ, "le paléo Tche Guevara de Judée »,
- Charlemagne, "surnommé le boucher par les saxons" et qualifié de "grand et pacifique empereur" par le Pape,
- la Révolution Française, "une rixe de nantis, donc tout ça ON S'EN FOUT !",
- Napoléon,"lui, c'est le super chimpanzé"...
Construit sur une même trame, les deux volets valent vraiment le coup. Une même drôlerie caustique qui permet d’avaler l’affliction que génèrent les hommes politiques. Lundi, centre gauche au menu, ce qui se résume ainsi « on va parler essentiellement lâcheté et trahison ». Mardi, voici le tour de la droite « Donc ça va être nettement moins exigeant intellectuellement parlant » !
Passionnant autant que passionné, drôle autant qu'érudit, Monsieur Henri mériterait de remplir la salle. Alors allez-y !
Jusqu'au 29 avril 2025
Le Funambule théâtre Montmartre, Paris XVIIIème
JeanLuc Bertrand, Stand up Magic, Le Contrescarpe


En ce mercredi soir de vacances scolaires, la salle du Contrescarpe est comble. Avec l'aide d'un comparse, JeanLuc Bertrand réinvente la sempiternelle annonce nous enjoignant à couper nos portables, ce qui a pour effet de mettre immédiatement une bonne ambiance. C'est très fort.
Mais pas aussi fort que la suite du spectacle. Pendant une grosse heure, JeanLuc Bertrand hypnotise quelques membres du public et bluffe les autres.
C'est toujours étonnant de voir des personnes sur qui l'hypnose fonctionne à ce point. Ils font tout ce qu'il veut, mais surtout ce qu'ils veulent bien faire. Ce soir là, il dit à Amandine qu'elle s'endormira dès qu'elle dira son prénom. Il la réveille et lui demande son nom. Là, elle répond: "Je sais ce que tu m'as fait. Je m'appelle Amandine. Zzzz, Zzzz, Zzzz !"
Il y a aussi du mentalisme et de la magie (notamment une boulette de papier qui recèle des surprises merveilleuses).
JeanLuc Bertrand ne révolutionne pas le genre. Techniquement, certains de ses numéros m'ont fait penser à ce que j'ai pu voir ailleurs (chez Messmer ou chez Viktor Vincent, par exemple), mais c'est humainement que cela se passe. J'ai aimé sa désinvolture (feinte bien sûr, car le monsieur est un grand professionnel). Surtout, j'ai été séduit par sa chaleur et son par son ton familier voire amical. Il tutoie tout le monde, nous chambre gentiment et, à la fin du spectacle, sort sur le trottoir pour discuter et recueillir nos impressions.
Un spectacle très sympa qu'on peut voir en famille !
Jusqu'au 12 mars 2025
Le Contrescarpe, Paris Vème
01h15 | de 11€ à 21€
Yongoyely, Compagnie Circus Baobab, Yann Ecauvre, La Scala


Yongoyely à la Scala, ou comment je me suis retrouvé à parler d'excision à ma fille en sortant d'un spectacle de cirque !
Des bruits de circulation et de coups de klaxon servent de fond sonore à la grande salle rectangulaire parée de bleu de la Scala. Le bruit devient assourdissant puis le silence se fait en même temps que la lumière. Ils sont neuf, cinq femmes et quatre hommes assis sur des parpaings. Lentement, très lentement, ils se redressent, chacun.e en équilibre sur son parpaing avant de tomber, comme mort.e.
Une femme reste dressée, stoïque, belle et digne. L'un de ses partenaires monte sur sa tête (son cou est soutenu par deux porteurs). C'est intense, presque violent. Cette entrée en matière me fait alors penser que ce spectacle de cirque acrobatique ne sera pas banal. On sent immédiatement qu'il y a quelque chose de grave dans l'air, qu'on n'est pas là (que) pour rigoler. Pendant une heure, il sera question de la condition des femmes, écrasées sous leur fardeau. (Tandis qu'elles dansent avec un parpaing sur la tête, les hommes rient bruyamment et font un peu les coqs.)
En allant voir ce spectacle de cirque à la Scala de Paris, je m'attendais à voir de joyeuses cabrioles et j'ai été servi ! Les numéros d'équilibre avec des parpaings, des poutres, un fouet, et même des flammes sont saisissants. Mais Yongoyely offre bien plus que de "simples" numéros de cirque. Le spectacle nous invite à une réflexion sur le poids des traditions en Guinée Conakry, qui frappent les petites filles dans leur chair.
Des voix enregistrées résonnent. Des témoignages documentaires qui nous bousculent et nous émeuvent :
"quand j'avais six ans" (...) "tu es supposée apprendre à être une femme" (...) "on t'emmène au Bois sacré" (...) "On te dit qu'une femme, c'est la souffrance".
Les femmes sur le plateau ne font que tomber et se relever, toujours plus fortes et plus impressionnantes. Elles font d'incroyables acrobaties ponctuées de chants africains avec leurs voix à la limite du cri et pourtant justes et émouvantes. Leurs corps sont des machines de guerre.
Le public est estomaqué. Par les performances et par l'intensité du propos qui nous laissent sans voix et sans applaudissement pendant une demi-heure. Le silence est dense, presque religieux. J'aurais voulu applaudir à chacun des exploits physiques mais restais totalement concentré.
Et puis, petit à petit, on ne peut plus résister à l'envie de battre des mains pour saluer les exploits physiques des performeuses et performeurs. On se lâche, on se détend, on salue la puissance (la résilience, pour utiliser un mot galvaudé) de ces femmes et des hommes qui les accompagnent. Alors, comme pour se rattraper de n'avoir pas applaudi plus tôt, on finit tous debout pour les saluer.
Bravo !
Jusqu'au 02 mars 2025
La Scala, Paris Xème
1H00 | de 14€ à 38€
Direction artistique Kerfalla Camara
Mise en Cirque et Scénographie Yann Ecauvre
Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré
Intervenants cirque Julie Delaire & Mehdi Azéma
Création musicale Yann Ecauvre et Mehdi Azéma
Chorégraphie collective Yann Ecauvre, Mehdi Azéma, Julie Delaire, Mouna Nemri & les artistes
Création de costumes Solenne Capmas
Lumières et son Jean-Marie Prouvèze
Producteur délégué Richard Djoudi
Compagnie Circus Baobab
Moman – Pourquoi les méchants sont méchants ?, Jean-Claude Grumberg, Noémie Pierre, Piccola Scala


Ici, on partage des moments de vie très simples d'une mère et de son fils. La pièce évoque des sujets sensibles dont l'absence du père (mais pas que). C’est une ode à la figure maternelle, au courage et à la patience des mères, notamment lorsqu'elles doivent répondre à la question "Pourquoi ?" et que, bien entendu, la seule réponse cohérente reste "Pa'ceq". On doute encore de l'efficacité de cette réponse.
Beaucoup de rires, et des pleurs parfois. Le décor minimaliste est très bien pensé et convient parfaitement aux instants bruts, mais souvent tendres. J'ai "très beaucoup" aimé, sincèrement. A la fin d'une représentation, j'adore avoir l'oreille qui traîne et capter les réactions de mes voisins. J'entends "formidable", "magique", "c'est comme de la musique", "pas un boulevard"...
Ce n'est vraiment pas pour rien que le comédien Hervé Pierre a été récompensé du Prix du meilleur comédien 2024 par le Syndicat de la critique dramatique. On applaudit également Clothilde Mollet. Je ne connaissais pas le livre de Jean-Claude Grumberg et n'avais volontairement pas lu les critiques (même si elles étaient "bonnes" selon ma voisine de gauche qui apparemment avait envie de papoter) donc c'était une belle surprise. Quel régal de jeu et de mise en scène, vraiment.
Même si "le rouge chasse le noir", je n'ai pas "la blues" ce soir, je m'en vais mettre mon "pychmassa", attendrie et sourire aux lèvres. "Point final, terminus, tout le monde descend : c'est le bout de la ligne".
Jusqu'au 29 juin 2025
les samedis et dimanches
Piccola Scala, Paris Xème
de 15€ à 28€
De Jean-Claude Grumberg
Mise en scène Noémie Pierre
Avec Clotilde Mollet et Hervé Pierre
Lumières Nieves Salzmann
Costumes Siegrid Petit-Imbert
Décors Noémie Pierre
Musique Hugo Vercken
Vers l’infini et l’au delà, avec Mustafa, Cynefin, et Bill Orcutt


Lorsque vous vous sentez seul, des disques peuvent devenir votre meilleur ami, avec ses conseils, sa poésie et son expérience. La musique est un filtre à nos tourments et cela s’entend par exemple dans l'œuvre très sensible de Mustafa.
Ce Canadien réalise un pur disque de folk où il fouille les entrailles de sa religion, de son existence et de son monde qui ne semble pas totalement lui convenir. Pourtant sa musique est d’une douceur hypnotisante.
Descendant moderne de Cat Stevens, Mustafa réserve son lot de surprises avec une orchestration très ouverte et chaleureuse. Les chansons célèbrent un humanisme pas du tout serein mais épris d’une vraie curiosité, loin des convictions et des certitudes. Dunya donne à voir le meilleur d’un artiste convaincu mais se fait aussi le reflet de nos questionnements. Et au delà de tout cela, c’est un excellent disque, doux, attentif et amical.

Il serait de bon ton aussi de sympathiser avec Cynefin, artiste cent pour cent gallois, qui lui aussi nous invite à fuir le monde moderne et se recentrer sur un rythme, simple et vivant. Shimli est donc un album totalement rural où un artiste du coin, Owen Shiers, sifflote les mémoires du Pays de Galles et ses habitants qui ont leur avis sur l’existence.
Chercheur et chanteur, Owen Shiers rapporte donc l’âme de son pays. On y sent une connivence et une sincérité que transpirent les musiciens et les instruments. La complexité montre que l’on ne laboure pas le bon sens rural ou les clichés sur les petites gens. C’est un acte politique mais diablement bien illustré par des chansons accessibles et qui ne veulent pas synthétiser le projet initial. Non, là aussi c’est un disque doux, attentif et amical.

Ce qui n’est pas tout à fait le cas du dernier ouvrage du guitariste aventurier, Bill Orcutt. A coté de lui, Neil Young et ses nombreuses expérimentations avec une six cordes, c’est Dora l’Exploratrice. Bill Orcutt aurait lui aussi toute sa place dans une bande son d’un film de Jim Jarmusch, tellement l’homme se promène loin des sentiers battus, des conventions et des modes.
Son dernier disque, How to Rescue Things, est un vrai challenge pour tout auditeur. Le type va chercher des harpes, des chœurs, des cloches et de jolies choses pour poser dessus sa guitare extravagante, qui n’a pas peur de la dissonance. L’artiste montre ainsi de jolies discordes musicales qui nous rappellent nos contradictions et même nos nuances.
C’est la force de Bill Orcutt. Son son est totalement à part mais il nous retranche dans des émotions et des ressentis qui sont universels. Il s’amuse à faire de l’easy listening à sa manière et tente de nous faire rire et réfléchir face à des facéties mélodiques qui surprennent.
Ces trois disques sont des échappatoires, des moments qui nous élèvent et nous plongent dans un univers totalement à part, qui n’existe pas et est pourtant essentiel à notre survie.
Bob Roberts, Tim Robbins


C’est l’histoire d’un type qui s’est imposé dans l’entertainment américain. Il est populaire comme chanteur de country et apprécié par les médias. Donc il s’imagine être la voix du peuple et veut devenir sénateur. Arriviste, réactionnaire, capitaliste aux dents trop blanches, pathétique, il fera tout pour arriver au sommet du pouvoir. Cela vous rappelle quelqu’un ?
Bob Roberts est pourtant un personnage de fiction imaginé par l’acteur Tim Robbins. En 1992, le comédien profite du succès de L’échelle de Jacob, sombre et trouble évocation de la guerre et film culte depuis. Il vient de tourner dans le dernier long métrage de Robert Altman, consacré au cinéma, l’incroyable The Player qui lui vaudra le prix d’interprétation à Cannes. Il trouve alors les moyens de monter un petit film sur l’Amérique actuelle, obsédée par le capitalisme, le libéralisme et d’autres ismes qui nous font frémir de terreur.
Fan du faux documentaire Spinal Tap, de Bob Dylan et citoyen engagé, il imagine donc un reportage sur un chanteur de folk américain qui se vautre dans les archétypes du Républicain droit dans ses bottes et sûr que le monde va s’écrouler s’il ne prend pas le contrôle du pouvoir.
C'est filmé comme un documentaire et Tim Robbins parodie à cette époque l'avènement de George W. Bush et tous ces conservateurs aux idées bien bas du front. En 2018, il avouera que son premier film annonçait le règne surmédiatisé de Trump. Il y a peu, il sera obligé de s’expliquer sur la fameuse scène du faux attentat contre Roberts, qui ressemble bien évidemment à ce qu’il s’est passé l’été dernier durant la seconde campagne présidentielle de Donald Trump.
Mais le plus intéressant dans ce film qui a pourtant un certain âge, c’est l’obsession de la recherche de la réalité et de la vérité. Le film a bien des défauts et un certain manichéisme politique. Bob Roberts a un côté démonstratif. Tim Robbins enfonçait des portes ouvertes mais il le faisait avec un sens de l’humour qui perdure encore et une intelligence dans sa mise en scène, qui annonçait ses prochaines œuvres, La Dernière Marche et Broadway 39e Rue. On découvrait un artiste impliqué.
Nous expliquer que la politique américaine est devenue un grand cirque peuplé de clowns sans valeur est une chose assez basique. Et justifié par ce que l’on a vu depuis 30 ans chez les Républicains.
Ce qui fait de son film, une œuvre nécessaire, c'est le jeu de pingpong avec un journaliste qui, lui, essaie de chercher la vérité. C’est une attitude très américaine d’opposer politique et journalisme (Les Hommes du Président, Jeux de Pouvoir etc.). C’est d’ailleurs un combat qui devient de plus en plus flou de nos jours mais le film fait de cette démarche, le fonctionnement même du film. L’investigation est le vrai enjeu et le sujet que veut défendre le comédien des Evadés.
On voit un homme et ses rêves de grandeur s’établir sur les pires sentiments populistes et on entend constamment l’opposition fragile mais investie d'une voix dissonante mais qui semble être elle aussi une forme du fameux rêve américain.
Aidé par toute une bande de copains (Susan Sarandon, John Cusack, Alan Rickman, James Spader, Helen Hunt, le vétéran Gore Vidal ou le débutant Jack Black), Tim Robbins grossit la satire mais maîtrise son propos. Bob Roberts est un vrai divertissement. Les chansons honteuses du personnage principal auraient toute leur place dans un meeting de Trump. Les témoignages de ses fans ressemblent à un reportage d’actualité d’aujourd’hui. Les médias sont déjà dans un marasme idéologique qui annonce nos chaînes fières de défendre la liberté d’expressions. Les choses n’ont pas changé. Elles ont juste empiré.
Fini le January dry ! (Lions In the Street, Lendemain de veille, Lambrini Girls)

Alors que faire dans ces cas là ? Écouter de la musique. Pour oublier que l’on n’a pas besoin de boire un petit verre pour oublier la tristesse de janvier, en découvrant de nouveaux titres, des groupes qui naissent et des histoires abracadabrantes qui font tout le sel du rock, de la pop ou autre !
Pour lutter contre la cuite généreuse entre amis, voici trois petits conseils musicaux qui ne vous feront pas mal à la tête mais vous donneront le tournis. Ce sont les Canadiens qui visiblement ont le plus grand sens de la fête sonore. Chez nous le mauvais temps use notre moral ; là-bas ils affrontent le blizzard et Donald Trump. Nous sommes des petits joueurs à côté d’eux. Et pourtant, ils ne baissent jamais les bras.

Donc pour s’enivrer sans tomber dans un verre, voici les Lions In the Street et leur premier album, Moving Along. Le quatuor canadien a simplement pris le meilleur des Stones dans quelques chansons et réalisait un pur disque de soiffards !
Il y a de la guitare qui suinte du bourbon, de l’harmonica qui titube, un chanteur qui s’égosille comme un bluesman céleste et, heureusement, il y a de la batterie qui ne perd pas le rythme. Des tonnes d’effets nous rappellent les meilleures orgies de Jagger et Richards.
Bourlingueurs et galériens apprécieront ce gros rock qui tape du pied et joue habilement avec tous les excès du genre. Comme les Black Crowes, il y a deux frangins (anciens éboueurs) dans le groupe et leur rock a quelque chose de mythique et à la fois populaire. Doué pour faire revivre les grandes heures du rock écorché et nocif, les Canadiens offrent de jolies chansons pleines de fureur, de plaisir et de grosses gouttes de sueur !

Ils sont en cas plus nuancés que les gaillards de Lendemain de Veille (qui veut dire gueule de bois à Montréal), grosse blague musicale qui sent la vinasse et la poutine de Québec. Attention, si vous avez cessé l’alcool durant le mois de janvier, leur disque va être un pousse au crime inavouable !
On s’en vient ! est une célébration des plaisirs simples de la vie : la nature, les potes, la famille, le 4X4, la casquette militaire et des milliers de bières à picoler ! On pourrait taxer rapidement le groupe de gros beaufs arriérés mais ce sont de sacrés bons musiciens qui se prennent pour des stars du rock.
Et ils ont raison : ils sont assez irrésistibles ces homo-sapiens déchainés ! Leurs chansons sont tout à fait abordables et leur humour de fêteux a un certain charme. Si vous ajoutez l’accent canadien, difficile de leur en vouloir. Le disque nous fait doucement régresser, comme si on sentait les effets de l’alcool monter au fil des minutes.

Celles qui biberonnent certainement beaucoup, ce sont les héroïques musiciennes de Lambrini Girls. Là, nous venons de traverser l’Atlantique pour atterrir à Brighton, en Angleterre. Là-bas, la bière est une religion et l’abstinence, une hérésie. La musique en état d’ivresse ce n’est pas une faute de goût : c’est du punk nerveux, politique et artisanal !
Phoebe Lunny et Lily Maciera Bosgelmez sont donc tombées dedans quand elles étaient petites. Pour elles, le rock est simplement une grosse décharge électrique, un exutoire exubérant à toutes les injustices du monde. Elles crachent dessus avec une élégance particulière sur 11 titres particulièrement énervés. Ils font palpiter et chavirer. Ça déroule des compositions à cent à l’heure et la chanteuse disserte avec un aplomb que l’on admire vite. Sleaford Mods se sont trouvés des petites sœurs.
Ce n’est plus de la musique, c’est un acte de révolte ! Et c’est tant mieux ! D’ailleurs, on ne suit pas trop les modes sur ce site donc pour tout vous dire, le January Dry on s’en fout complètement. On lève nos verres et ses trois disques à votre santé et vous souhaitant de joyeuses soirées qui réchauffent et qui font chanter très fort !
Cosi fan tutte, Mozart, da Ponte, Opéra Éclaté Montansier Versailles


Cosi fan tutte, que je traduirais par "toutes les mêmes" est un drôle d'opéra de Mozart, sur un livret de Da Ponte. Une rocambolesque histoire pré meeto. Don Alfonso (Jean Gabriel Saint Martin) explique à deux amis qu'ils sont bien naïfs de croire en l'amour et aux serments de fidélité de leurs fiancées.
"Vous prétendez avoir trouvé des femmes fidèles ? J'admire cette naïveté !"
Et c'est ainsi que Ferrando (Blaise Rantoanina) et Guglielmo (Mikhael Piccone) font semblant de partir à la guerre et se déguisent ensuite en Albanais pour séduire leurs fiancées et mettre à l'épreuve leur fidélité.
A force de tentations et d'insistance de la part de Don Alfonso et de la servante Despina, cela prend moins d'une journée pour que les deux soeurs, Dorabella et Fiordiligi, trahissent leur amoureux.
"Crois-moi ma sœur, il vaut mieux céder."
La joie exagérée et exubérante de la musique de Mozart est fascinante, elle me fut d'un grand réconfort en cet hiver glacial qui n'en finit pas de geler.
Même si j'ai préféré la voix chaude d'Ania Wozniak (Dorabella), Chloé Jacob (Fiordiligi) impressionne par sa technique vocale qui lui permet de passer aisément d'une voix de tête à une voix de ventre dans la même phrase. Marielou Jacquard (Despina) impressionne également par son énergie et sa présence.
J'ai été moins convaincu par les hommes, que ce soit vocalement ou dans leur jeu d'acteur, à la notable exception de Jean-Gabriel Saint-Martin. Avec sa moustache et ses beaux yeux, il est charmant dans le rôle de Don Alfonso. Sa voix est belle, claire, grave, puissante, parfaitement intelligible, un vrai plaisir à écouter.
Pris séparément, les chanteurs et chanteuses ne déméritent pas du tout. C'est plutôt sur les ensembles que cela se complique, comme si leurs voix s'accordaient mal ou comme s'ils n'avaient pas suffisamment répété ensemble (le spectacle tourne avec une distribution qui peut évoluer, ceci pouvant expliquer cela). Il faut dire aussi que chanteurs et chanteuses ne sont pas aidés par un orchestre qui manque de précision (aie, les attaques ratées du corniste !).
Si vous voulez voir un opéra avec des grands décors, des chanteurs virtuoses et un orchestre carré, le Théâtre Montansier n'est peut-être pas l'endroit idéal. Mais si vous avez quelque indulgence, vous passerez une soirée délicieuse qui vous donnera envie d'aller à l'Opéra !
Et en plus, à l'entracte, on peut se régaler de gâteaux et de champagne à prix raisonnable, ce qui ne gâche rien.
les 28 & 29 janvier 2025
Théâtre Montansier, Versailles
de Mozart et Da Ponte,
direction musicale Gaspard Brécourt,
mise en scène Éric Perez assisté de Yassine Benameur,
lumières Joël Fabing,
décors Patrice Gouron,
costumes Stella Croce,
avec Chloé Jacob, Ania Wozniak, Marielou Jacquard, Blaise Rantoanina, Mikhael Piccone, Jean Gabriel Saint Martin
orchestre Opéra Éclaté, orchestration Jonathan Lyness
production Opéra Éclaté, coproduction Clermont Auvergne Opéra, Opéra de Massy