Journal d’un vide, Emi Yagi, 10/18

Comment échapper au travail lorsqu'on s'y ennuie terriblement et qu'on a l'impression d'y gâcher les premières années de sa vie d'adulte ? Mme Shibata, trentenaire japonaise, trouve une solution en simulant une grossesse.

A travers cette chronique d'une grossesse imaginaire, ce Journal d'un vide, l'autrice Emi Yagi décrit de façon implacable l'ennui au travail.
"Tous les employés restaient de longues heures au bureau. Chaque réunion était le prétexte à rassembler l'ensemble du personnel dans une salle pour y écouter les supérieurs répéter inlassablement les mêmes discours, idées et griefs, plusieurs fois par jour ; la moindre dépense devait être justifiée en détail auprès du chef de section, puis reformulée à l'intention du directeur de département, avant d'être finalement présentée sous la forme d'une épaisse liasse qu'il fallait distribuer, Dieu sait pourquoi, à chaque membre de l'équipe. Nous n'avions ni le temps ni l'énergie de réfléchir au sens de nos actions, encore moins de poser des questions." (page 58)

Emi Yagi adopte un ton clinique, détaché et assez plat (lorsqu'il n'est pas indigeste !). Cette voix monocorde sert un propos consistant à démontrer la monotonie et l'ineptie du travail de bureau, surtout lorsqu'en tant que femme, on se voit confier l'intégralité des tâches ingrates ou peu valorisées (préparer le café, vider les corbeilles...).

Cette dénonciation du machisme au travail (qui n'est certes pas l'apanage des japonais...) est agrémentée de considérations assez convenues sur la vie, le couple, l'amitié.
"Je me sens seule. (...) Peut-être est-ce bizarre, car c'est notre lot à tous depuis notre naissance, mais je n'y suis toujours pas habituée. Je n'arrive pas à me faire à l'idée que, dans la vie, c'est chacun pour soi." (page 191)

Il m'a semblé que l'intérêt de ce livre (vite lu) ne dépassait pas vraiment l'idée de départ. Journal d'un bide, en ce qui me concerne.

Paru en poche le 1er février 2024
chez 10/18 Littérature étrangère

traduit par Mathilde Tamae-Bouhon (japonais)
216 pages | 8,60€

Émerveillez-vous ! Caleb Arredondo, Vincent Segall & Ballaké Sissoko, Aziza Brahim

Il semblerait que la sinistrose nous guette. Plus rien ne fonctionne en ce bas Monde. Le mauvais temps nous ronge les sentiments et les nerfs (hé, il ne fait plus nuit le matin quand on emmène les enfants à l'école et quand on vient les rechercher). Les soucis se renversent sur les tracas. Les emmerdes sont plus boueux que jamais. On rivalise de pessimisme pour ne pas dire que demain ça sera mieux !

Bienvenue au mois de mars ! Ce moment aussi où on a le droit, mais on l'a oublié, de s'émerveiller. La morte saison va laisser sa place à quelques bourgeons d'espoir, des rires imprévisibles et du courage insoupçonnable.

Il faut s'émerveiller. Partir d'un petit rien qui révèle une beauté cachée. La musique est un puissant marqueur de beauté et d'espérance. Ça m'est arrivé hier soir. Pour m'endormir, j'essaie le dernier disque de Caleb Arredondo. Un type et son saxophone.

Un homme qui a confiance en son instrument et son art. Car il va nous faire naviguer dans les tourments des nuances. Et on ne va pas s'ennuyer car le musicien fascine et nous fait rentrer dans nos propres zones troubles. Avec une bienveillance infinie. Les notes roulent sur elles-mêmes et finissent par nous enrouler. D'une chaleur surprenante. Qui console et nous éloigne de tout, sauf de nous-mêmes. Les échos du saxophone sont du cœur et de la raison. Une belle expérience.

Et la musique doit nous aider à nous émerveiller. Prendre les choses simplement pour y trouver de la confiance. Le duo violoncelle kora nous faisait déjà planer très haut dans la plénitude, mais le duo devient un quatuor roublard quand ils nomment leur œuvre : Les Égarés

Vincent Segall et Ballaké Sissoko invitent donc un accordéoniste et un saxophoniste à leur table. Les mets sont succulents et raffinés. Une fois de plus, ce sont les valeurs du duo qui ouvrent les portes à de belles improvisations. Ils se perdent mais nous renforcent dans cette idée d'un disque généreux qui se monte au fil des expériences partagées. Les petites mélodies deviennent de beaux trips musicaux. Ils ont confiance en eux et rapidement on les écoute les yeux fermés. Sûr d'être face à un éclat précieux du jazz d'aujourd'hui. 

Et puis la musique peut nous amener de l'intensité aussi. C'est pas mal au mois de mars de trouver de l'ampleur et du courage pour être ce que l'on veut être. C'est ce qui se trouve exactement dans Mawja, le dernier disque de la chanteuse Aziza Brahim

La vie de cette chanteuse est un roman fait d'exil et de douleur. Il en sort un nouveau disque lumineux, d'une force qui ne demande qu'à être transmise à l'auditeur. Les mélodies sont glissantes et servent une voix magnifique. 

Le style de la chanteuse s'arme d'origines dans le Nord de l'Afrique et d'une existence espagnole. Les musiques nous bercent sans nous endormir : on découvre du blues africain, donc fait de combats, de rudesse mais aussi d'amour. Elle semble nous dire de vivre intensément. On veut bien la croire. Et en finir avec la giboulée de sinistrose qui veut toujours nous arroser ! 

Echo sax - Caleb Arredondo
Les Egarés - Sissoka Segall Parisien et Peirani
Aziza Brahim - Mawja

Carnaval en tenue 70’s ! Dirty Honey, Dirty Sound Magnet, Kula Shaker

C’était mardi gras il y a peu et débute maintenant la saison des carnavals ! On a l’occasion de se déguiser, et beaucoup de musiciens ressortent les vieilles fringues, les grosses perruques et les guitares rutilantes. En 2024, la mode serait aux pattes d’eph' et aux cris féroces en guise de refrain.

On avait déjà remarqué que c’était le style de Dirty Honey, quatuor musclé de Los Angeles. Les jeunes admirent leurs aînés de Guns'n Roses et avouent tout faire comme eux. En attendant le botox et les engueulades, Mark LaBelle et John Notto retrouvent toute l’efficacité des compositions bien heavy.

Et rapidement on entend aussi la large et imposante influence de Led Zeppelin. Les ambitions sont sacrément hautes et cela fonctionne plus que bien. On est clairement dans les compositions épiques. Dirty Honey essaient d’être des sales gosses du rock’n’roll mais finalement leur écriture est assez fine… en matière de hard rock. Les chansons sont souvent ramassées mais elles sont amples.

Dans le monde des ersatz de Led Zep ou Black Sabbath, Dirty Honey fait clairement la différence. Ils ont tout ce qu’il faut pour ferrailler avec d’autres groupes chevelus, adeptes de la guitare hurlante et du chant intense !

Le son de Dirty Sound Magnet est beaucoup moins percutant. Néanmoins, il nous emmène lui aussi sur les terres éthérées d’un rock très électrique et chevaleresque. La première chanson de leur nouvel album est une petite pépite qui cache bien son jeu : c’est calme et pourtant, c’est d’un lyrisme impressionnant.

Les Suisses triturent leurs envies de rock avec des effets rétro, des échos et des pédales que ne pourrait pas renier le Grateful Dead. Ce qui est franchement sympa avec ce groupe, c’est la simplicité d’exécution. Une volonté de dépouiller le rock psychédélique, c’est ce que l’on entend. Cela donne une vraie originalité à leur style.

Eux, n’ont pas changé de style du tout. Kula Shaker, dinosaure de la Britpop continue de marcher avec sa bonhomie légendaire. Héros d’une époque révolue, le groupe anglais continue de croire en ses valeurs. Et ca fonctionne.

De mieux en mieux. Sans mélancolie, l’écriture de Kula Shaker ressemble à un chemin oscillant entre rock, pop, world music et beaucoup de musique indienne. Plus que les autres efforts du groupe, celui ci semble provenir de Goa au milieu des années 70. C’est très réjouissant.

Car le farfelu chanteur (et aussi réalisateur) Crispian Mills s’autorise à raconter l’époque actuelle avec une vitalité folle. Le précédent disque était pétaradant de culot et d’enthousiasme. Ici, on reste sur un style plus standard (13 chansons bien découpées, avec quelques balades) mais le quatuor semble être dans une symbiose renversante. On redécouvre le goût pour le psychédélisme mâtiné de sons indiens. La guitare est incroyablement ciselée. Et la voix de Mills prend de l’ampleur avec le temps. Cela donne un disque bouillant et remuant. Parfait en période de Carnaval!

Dirty Honey - Can’t find the brakes
Dirty Sound Magnet - Dreamin’ in distopya
Kula Shaker - Natural High

L’affaire Emmett Till, Jean-Marie Pottier, 10/18 Society

A la fin de l'été 1955 est retrouvé dans la Tallahatchie River le corps d'un gamin de 14 ans, un jeune noir de Chicago qui passait ses vacances "dans cette région d'un Mississippi qui reste, un siècle après l'abolition de l'esclavage, l’État le plus ségrégationniste des États-Unis" (page 19).

Le jeune homme a été enlevé puis assassiné par des blancs pour avoir osé siffler une femme blanche.

Sa mère l'avait pourtant prévenu. " (La) ségrégation, Mamie veut que son fils en respecte les règles pour ne pas se mettre en danger, surtout dans ses interactions avec les femmes blanches. Si Emmett en voit une, conjure-t-elle, qu'il baisse la tête pour éviter de croiser son regard, ou qu'il change de trottoir. Il ne doit pas parler aux blancs, sauf s'il y est invité " (page 32)

Certes, il y aura un et même plusieurs procès, mais que peuvent espérer des noirs d'une justice blanche ? "L'affaire était perdue dès le départ. Un jury aurait rendu sa liberté à n'importe quel homme qui aurait tué un noir pour avoir insulté une femme blanche." (page 111)

Mais c'est sans compter sur la mère d'Emmett, qui va s'opposer de toutes ses forces à la volonté des autorités d'enterrer précipitamment son fils en même temps que l'affaire. Elle fera rapatrier la dépouille d'Emmett à Chicago où elle présentera son visage martyrisé au public, donnant à cette mort injuste un écho qui résonnera pendant plusieurs décennies et qui marquera la lutte pour les droits civiques.

"Elle disait toujours que c'était son destin, qu'il devait mourir pour que le monde puisse saisir les injustices et les lynchages qui se déroulaient depuis des générations." (page 205)

Comme c'est toujours le cas avec l'excellente collection True crime de 10/18 Society, Jean-Marie Pottier signe une enquête fouillée et documentée qui se lit aussi facilement qu'un roman. J'ai juste un peu regretté que le récit ne parvienne pas vraiment à restituer le souffle que cette affaire a donné à la lutte pour les droits civiques.

Paru le 1er février 2024
10/18 Society True Crime
240 pages | 8€

CANDELA – Keroué / (RPM productions 2023)

KEROUÉ aka K.E.R, notre cher rappeur qui nous vient tout droit de Quimper - ancien membre du groupe Fixpen Sill, 5 Majeur et Fixpen singe -  sort un nouvel EP, CANDELA, le 10 mars 2023, après un retour en solo avec l’EP ECKMÜHL, sorti en juillet 2022. 

KEROUÉ décide de suivre son instinct et ses envies artistiques, de partager son univers unique et personnel en solitaire. Ces deux derniers projets sont le reflet de son âme et nous prouvent l'étendue de ses talents d'écrivain, de rappeur et même de graphiste : il a réalisé les covers ! 

CANDELA, qui (nous) vient du latin (qui) et signifie “Chandelle”, est un 8 titres à la fois lumineux par ses rimes riches et techniques mais aussi plus obscur avec son écriture profonde. Niveau featurings on lésine pas sur le talent, on retrouve NeS et Limsa d’Aulnay. Niveau producteurs on retrouve ce bon Vidji fidèle au poste, Dehlo, Lil Chick et notre cher Jeanjass. Un casting de qualité pour un EP au top.

Dans ce projet Keroué est fidèle à lui-même, croyez-moi sur parole : sa plume est bien aiguisée; il est d’une technicité hors pair et sait jouer entre mélancolie, ego trip et tourments intimes. On ressent le jeu entre lumière et obscurité, la lutte contre cette noirceur en lui et la flamme qu'il maintient pour éclairer son âme; le morceau “Cette Shit” offre un combat entre tristesse et joie qui le représente particulièrement. Concernant l’ego trip, le titre “Lumen”, qui signifie lumière en latin, met justement en lumière son talent : flow précis et concis, texte incisif. Pas de refrain ici,  Keroué crache le feu tout du long  “des étincelles quand j’tousse” ; il nous prouve qu’il est en place “ enfin fini de jouer la comédie”. C’est un concurrent sérieux à ne pas de mettre de côté.

Comment ne pas parler des featurings ? Keroué a un oeil sur la “Next Gen” et propose le titre “OSEF” avec NeS ; l’alchimie est très bonne, ce titre est un subtil mélange entre de l'ego trip avec des punchs lines provocatrices telles que  “Plus personne te respecte comme une fliquette” et un goût de revanche contre la négligence subie : “J'ai bien vu dans leurs yeux qu’ils me voyaient comme un zéro” .

N'oublions pas notre chère Limsa d’Aulnay, LOGIQUE, sur le titre “Taxi 2”. Nos deux rappeurs performent ensemble sur deux prods de JeanJass, un switch d’instru qu’il maîtrise parfaitement, ce qui donne encore plus de matière au morceau en mettant en valeur l’aisance de Limsa et Keroué. On sent une réelle proximité entre les deux rappeurs, ils nous montrent ici l'étendue de leur talent certain pendant l'intégralité du morceau. Les couplets sont complémentaires, on sent ici qu’ils maîtrisent leur art. Keroué entre sur le son avec la punch “J'ai même pas besoin de dire que j't'aime pas, C'est écrit sur mon visage”, et nous donne clairement la couleur : il est meilleur, tout simplement . Quant à lui, Limsa envoie comme à son habitude des phases de qualité :

 “Pour eux, j'suis qu'un sale rebeu, si tu t'agites, tu parles au phone
Tu périras par le feu, Et gros sac, c'est pour ça qu'on parle peu !”

Taxi 2 c’est 3 min 24 de rap comme on l’aime tant, on se fait happer par les rimes de  Limsa et Keroué, et chaque nouvelle écoute nous surprend par la pertinence du texte. Un des meilleurs sons de L’EP. 

Derrière chaque flamme d’une chandelle, se cache l’obscurité. Dans les morceaux “J’y vais tout seul”,  “Rien de grave”  et “Gymnopédies” : “C’est très difficile de revenir à l’innocence Je pense que l’innocence une fois qu’elle est brisée elle est brisée…” -  on touche du doigt les pensées tourmentées de Keroué. Ici il se met à nu, il danse sur la prod, on sent un besoin viscéral de renouveau; la fatigue et l'épuisement mental le poussent à tout changer et à voyager vers un autre hémisphère,  le forcent à aller plus loin, seul s'il le faut. Rien de grave, y arriver à son rythme. En rythme...

Note perso de XiaaoX : 
"Je me suis mangé Keroué fort depuis son retour en solo, j’ai été un grand fan de 5 Majeur et Fixpen Sill , ses différentes apparitions dans les GRUNTS, tout le parcours de cet homme a permis d’accumuler énormément d’expériences pour pouvoir nous pondre des EP de qualité comme Candela, qui nous raconte le chemin parcouru, les haut et les bas. Keroué n’a pas encore le succès qu’il mérite, son talent n’est que trop peu reconnu par les “grands média rap”  mais sa base d’auditeurs fans ne cesse d’augmenter. On attend un album prochainement.  Hâte de voir la suite de ses projets. J’ai eu la chance de le voir au FGO Barbara performer. C'était magique. Une prestance sur scène. Ca kick fort et en rythme. Toute la salle qui se brise la nuque sur ses phases, qui rappe avec lui. Un vrai régal pour les oreilles. Hâte d’une nouvelle date.*

Sourions avec Radiohead

La presse aime Radiohead. On aime tous Radiohead. On adore le parcours de ce groupe de Brit pop qui a glissé vers une musique beaucoup plus baroque. L’expérimental est devenu la norme pour ce groupe toujours en mutation… de plus en plus abstraite. Jusqu'à l'implosion en plein succès !

Thom Yorke est devenu un étrange chanteur capable de tout, échappant toujours aux conventions. On l’a redécouvert, il y a trois ans, plus abordable avec The Smile, trio formé avec le guitariste de Radiohead, Jonny Greenwood et le batteur de jazz, Tom Skinner.

Le premier album était prometteur et rapidement le trio revient avec ce Wall of Eyes qui rend la presse hystérique. Parce que l’on entend Yorke jouer avec différents registres, s’essayant même au jazz.

La musique est encore en mode “tête chercheuse” versant dans la même chansons sur des styles différents… et déroutants. Finalement c’est encore un peu la même chose et c’est un peu la déception. On sait à quoi s’attendre même si ça peut être du n’importe quoi progressif. Les genres sont mis à mal mais les musiciens sont coutumiers du fait donc on s’ennuie poliment malgré de très beaux passages et des arrangements effectivement complexes.

Un peu de simplicité ne ferait pas de mal. D’ailleurs, profitons de la sortie de ce nouveau projet pour parler ce disque de reggae qui reprend l’intégralité du plus gros succès du groupe, OK Computer.

En 2006, les chansons sont donc reprises par des stars du reggae et cela donne un album aussi envoûtant que l'œuvre initiale. C’est assez rare pour le remarquer mais le reggae conserve toute l’intensité quasi dramatique de l’original. On n’est pas dans le folklore arriviste.

La structure est conservée et la richesse du reggae profite aussi des chansons denses de cet album assez dantesque. Radiodread propose un monde alternatif où le plaisir du reggae se confondent avec l’exigence d’une musique electro bidouillée d’une exigence discrète. La chaleur qui se dégage de l’album est peut-être ce qui manquait à OK Computer.

D’ailleurs si Radiohead reste un groupe majeur, on a presque oublié qu’il s’agissait au début d’un groupe de rock aux guitares agressives. C’est ce que l’on entend sur le second effort, The Bends de 1995 , œuvre mal aimée par ses auteurs et les fans. Pourtant, c’est un excellent disque qui débroussaille le rock à la même époque que Nirvana ou Pearl Jam.

Effectivement le ton est incisif. Remis du succès du tube Creep, le groupe veut échapper à la redite et cherche le dépouillement malgré la présence de claviers et de discrètes expérimentations. C’est pourquoi le disque semble à vif et extrêmement vivant. On devine que les tripes sont sorties et les mélodies sont primordiales pour tenir une succession de morceaux radicaux et peut-être plus impressionnants encore que tous les bidouillages sonores qui feront la renommée du groupe. Alors on ne va pas vous dire que “c’était mieux avant” mais profitez du bruit de la presse pour réécouter les œuvres différentes inspirées par un groupe qui reste influent.

4211km, Aïla Navidi, Studio Marigny

L'exil en héritage. Ce portrait de famille touche à l'universalité et parvient à nous faire ressentir des émotions fortes tout en réveillant nos consciences.

Comment réagir aux folies du Monde? Mina et Feyredoun ont cru que la démocratie allait enfin s'installer en Iran. Ils se sont trompés et doivent fuir leur pays pour la France. C'est là que va naître Yalda. Cet enfant sera aimé par ses parents qui pourtant auront bien du mal à la préserver de leur enfer intime et des horreurs de la dictature islamique.

Comment réagir face à l'ignominie? L'exil est une solution avec laquelle il faut ensuite vivre. Le couple partait pour quelques semaines. Ils feront leur vie dans un petit appartement parisien. 

Ils y accueilleront d'autres exilés. Des membres de leur famille. Des réfugiés politiques. Leur quotidien est fait de joyeuses retrouvailles et tristes nouvelles par téléphone. Les convictions, elles, subsistent et deviennent de l'espoir. Cette chronique familiale décortique la résilience et la résistance des êtres face la violence et l'injustice.

Comment réagir au passé douloureux ? En exorcisant cela par une pièce qui passe avec aisance du rire aux larmes. Aïla Navidi se raconte dans un beau récit chaleureux où les hommes et les femmes se refusent à être des pantins de l'histoire.

Loin de la victimisation, la vie de ces Iraniens montre que la résistance et la bravoure sont bien des signes d'humanité. Pleine de souffle, l'artiste profite de son aventure personnelle pour nous rappeler ce que peuvent désigner les mots Liberté Égalité et Fraternité. Un magnifique pied de nez au cynisme rampant !

Comment combattre l'horreur ? En la dénonçant avec intelligence. Parfaitement incarnés par des comédiens investis, les personnages ont quelque chose d'épique et le discours devient universel. Aïli Navidi rappelle que rien n'est fini. Les combats contre la barbarie ne peuvent cesser. En Iran, des gens meurent encore tous les jours. Nous sommes à 4211 km de Téhéran mais sur une scène de théâtre, on sent si proches de ces fugitifs et leurs proches.

Comment réagir à la funeste réalité ? Cette pièce est nécessaire, belle et touchante. De l'exil on finit sur un cri d'alarme. Face au bruit et la vacuité des médias, cette œuvre remet l'art à sa place.

Du 10 janvier au 14 avril 2024
Au Studio Marigny, Paris VIIIème

Prey, Dan Trachtenberg, 20th Century Fox 

Comme son copain de l'espace Alien, le rasta prédateur n'est pas à la hauteur de sa réputation depuis quelques films. Apparu sur Disney +, ce Pocahontas guerrier sort en DVD et remet un peu la franchise sur les rails...

Rappelons-nous ! Predator est un chef d'œuvre. L'acte de naissance de plusieurs monstres sacrés du cinéma américain. Le mastodonte Schwarzie. L'impitoyable cinéaste John Mc Tiernan. Et le chasseur intergalactique. Predator: une pierre angulaire du film d'action.

Predator 2 est aussi un chef d'œuvre. A sa manière. Incapable de rivaliser avec Mc Tiernan, le sympathique Stephen Hopkins transforme le Predator en Charles Bronson : un justicier dans la ville ! Armé de solides personnages et de répliques tranchés, le film peut se voir comme un sommet de série B totalement assumé.

20 ans plus tard c'est le très inégal Robert Rodriguez qui écrit et produit Predators. On est dans le grand n'importe quoi qui n'ose jamais faire mieux que ses deux aînés.

Plus tard encore, le scénariste du premier volet, le torturé Shane Black décide de détruire la franchise avec The Predator, œuvre malade à l'ironie mordante mais totalement incompréhensible par ses choix totalement suicidaires.

Et on ne parlera pas du duo hilarant Alien vs Predator. Sort du bois en DVD, ces jours-ci, Prey de Dan Trachtenberg. Une bonne surprise pour ceux qui ont grandi avec cette créature fascinante malgré les mauvais traitements cinématographiques. 

De nouveau, le monstre redevient un objet de cinéma et suggère autre chose que de la grosse baston sans cerveau. Comme Mc Tiernan dans les années 80, c'est un retour à l'état de nature violent qui est proposé.

Prey se passe dans les grandes plaines américaines. Les Indiens ne sont pas encore en voie de disparition mais vont faire face à toute la technicité d'un Predator.

Les auteurs ont la bonne idée de jouer le dépouillement et on remercie le réalisateur de ne jamais faire dans la surenchère. Le film va très souvent à l'essentiel : interroger sur nos pulsions de mort et la bestialité si humaine.

Bien produit et plutôt efficace, la série B aurait largement eue droit à une sortie au cinéma. Le vrai. Le grand écran. Le cinéaste a le goût de l'iconisation et respecte constamment le produit d'origine.

Loin des productions boursouflées des plates-formes, Prey a quelques défauts (euh la musique insupportable par exemple) mais semble comprendre la complexité du monstre et ce qu'il nous renvoie. De la à dire qu'il s'agit d'une œuvre philosophique... 

2022 - 20th Century Fox 

Passeport, Alexis Michalik, Théâtre de la Renaissance

Passeport retrace le récit d’Issa, Érythréen, migrant vers l’Angleterre. Il atterrit dans la jungle de Calais et y perd la mémoire suite à un violent affrontement.

Il ne lui reste que son passeport avec son nom et le conseil d'une bénévole : créer des liens pour ne pas rester seul. Il fait donc connaissance avec Arun, indien au sourire contagieux et Ali, syrien, à l'âme poète.  Avec ses compagnons d'aventure, comme un air de Rasta Rocket avec leurs bonnets sur la tête, ils vont affronter le froid, les imbroglios jargonesques de l'administration et croiser l'histoire de Lucas, jeune homme adopté des Comores par un couple de Calaisiens.

Une pièce accessible à tous. Même et surtout ceux pour qui théâtre rime avec élite. Avec Michalik, on est assuré du rythme, de l'enquête, des punchline (palme à Kévin Razy), des valeurs humanistes. Mais on aurait bien fait l'impasse sur les odeurs de fumées de cigarette, de l'histoire un peu trop romancée et les raccourcis du récit bon enfant dont les enjeux politiques ne peuvent être éludés.

Ceci écrit, avec Passeport, Alexis Michalik a le mérite de mettre en avant toutes ces mains tendues qui permettent de faire société. Son imagination, la finesse de jeu de ses comédiens permet d'approcher ces réalités migratoires si complexes et pétries de dureté. Récit initiatique, Passeport est aussi une méditation sur la famille humaine, et sur la relation à l'autre par delà les frontières.

Hymne à la solidarité, à ce qui rassemble et non divise, elle invite à réfléchir à notre sens de l'accueil. Elle questionne chacun des spectateurs sur son identité, sur ce qui est subi, ce qui est choisi, ce qui rend libre et ce qui asservit. On sort surtout de la pièce avec une admiration pour le courage et la ténacité de toutes celles et ceux qui migrent vers une autre destinée. On se sent encouragé à devenir les visages de l'hospitalité et de la multiculturalité.

Jusqu'au 30 juin 2024
Théâtre de la Renaissance, Paris Xème
de 12€ à 60€

Contes et Légendes, Joël Pommerat, Porte Saint-Martin

©Elisabeth Carecchio

La dernière création de Joël Pommerat brouille les pistes pour parler adolescence et créature artificielle. Avec justesse et acidité, il brosse un portrait sans concession de notre société moderne.

Contes et légendes est une succession de brefs récits sur l’adolescence où les humains et les robots sociaux cohabitent. Joël Pommerat utilise comme toile de fond une société futuriste dans laquelle des robots seraient intégrés à notre quotidien. On y aborde plusieurs thèmes : la construction identitaire à l’adolescence, la fluidité des identités et les créatures artificielles.

Il ne s’agit pas ici de questionner les dérives de l’intelligence artificielle mais de questionner la coexistence d’une humanité dite naturelle et autre plus artificielle. Joël Pommerat imagine quel serait l’apport de créatures artificielles au moment de toutes les mutations vers l’âge adulte. Revenu à l’un de ses thèmes de prédilection, il aborde sans concession de nombreux sujets clés propres à cette période : les premiers
émois, le désir d’indépendance, la violence, la crise identitaire…

D’un point de vue scénographique, les comédiens évoluent dans un univers plastique et cinématographique. Chaque récit est l’occasion d’effacer les frontières du genre pour mieux saisir les inquiétudes de l’époque. Qu’est ce qui fait de nous un être humain ? Qu’est ce qui fait de nous un homme ?

Afin de continuer à brouiller les pistes, cette pièce est jouée avec brio par une troupe presque exclusivement féminine, où les actrices, âgées de 26 à 32 ans, en paraissent 14 tout au plus. Elles sont époustouflantes et participent à cette démonstration magistrale de la maitrise totale du subterfuge théâtral.

Du 10 janvier au 31 mars 2024
Une création théâtrale de Joël Pommerat
Porte Saint-Martin

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