Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, Musset, Eric Vigner, Montansier
Thibault de Montalembert arrive par la salle, une bougie à la main. Ce clair obscur est assez joli. Il prend la parole et ce qu'il dit est assez obscur, aussi. Il parle de l'amour, de la passion, comme un poète, c'est-à-dire comme un mec qui aime aimer plus que l'être aimé.
Son costume est épouvantable, comme sa coupe de cheveux digne des années 90. Le comédien fut jadis Sociétaire de la Comédie Française, et cela s'entend. Il articule et surjoue la diction ampoulée du théââââtre classique.
Puis entre en scène sa partenaire, Christèle Tual. Tout deux, ils prennent des poses improbables, elle garde un bras grand levé pendant de longues minutes (mais pourquoi ? Un plaisir sadique de metteur en scène ? L'ambition de nous faire rire?). Montalembert se lance soudain dans une marche saugrenue. On se croirait alors dans le sketch "Ministry of silly walks" des Monty Python, sauf qu'ici le public n'est pas mort de rire.
A la quinzième minutes quelques spectateurs quittent la salle. Ma voisine ne peut réprimer un "j'ai envie de faire pareil !", mais je lui bouche le passage. Les lycéens au fond de la salle attendent sagement que cela se passe. Le public semble plongé dans une douce léthargie. Pour ma part, j'avais envie de rire très fort, mais j'étais au Montansier à Versailles, pas au théâtre de la Ville de Paris.
Et puis, vers la moitié du spectacle, je suis comme bercé par le texte d'Alfred de Musset qui se révèle intéressant. Le Comte déclare sa flamme à la Marquise et elle lui répond "Mon Dieu que vous m'ennuyez" ! L'auteur moque les hommes qui se ressemblent tous quand ils font la cour, qui mentent, qui enjolivent et prennent leur proie pour une gentille imbécile.
"C’est donc parce que je me suis trouvée seule que vous vous croyez tout à coup obligé, oui, obligé, pour votre honneur, de me faire cette même cour, cette éternelle, insupportable cour, qui est une chose si inutile, si ridicule, si rebattue. Mais qu’est-ce que je vous ai donc fait ?"
Il m'a semblé qu'Eric Vigner n'avait pas trop su comment monter ce texte spirituel (dans le sens d'à la fois intelligent et amusant). Je regrette que le metteur en scène n'ait pas davantage fait confiance à ce texte, et qu'il se fut senti obligé de demander à ses comédiens de jouer "comique".
Sincèrement, je ne vois pas trop comment on aurait pu monter cette pièce, et je me dis qu'au moins Eric Vigner s'y est colleté. J'ai donc fini par apprécier ce spectacle assez déroutant, à l'image du texte. Manifestement, je n'étais pas le seul car, à la fin de la représentation, les applaudissements étaient nourris,
Jusqu'au 05 octobre 2024
Théâtre Montansier Versailles
1h15 | de 15€ à 32€
Léonarde, La barbe du Houéran, Anne-Catherine Ott, Isabelle Bauthian, Drakoo
Léonarde est amie avec une princesse qu'elle emmène dans la forêt pour étudier les bêtes. Le roi n'est pas content, mais il lui fait grâce car elle est la fille du maître d'armes. Un jour, Léonarde se transforme en « Goupile » grâce à une formule magique volée au prince et elle part dans la forêt pour faire en sorte que les humains, les renards et les loups fassent la paix.
Une histoire d'humaine qui se transforme en renard, moi je pensais que cela allait être une super BD ! Mais j'ai été déçue. L'histoire est ennuyeuse, tout le monde se fait la guerre. Les Renards et les Loups ne parlent pas la même langue et, franchement, je n'ai pas tout compris.
En plus, les dessins faits à l'ordinateur, ce n'est pas trop mon truc. Et j'ai trouvé les couleurs un peu trop criardes.
Norma (10 ans)
Paru le 10 janvier 2024
Drakoo Éditions
80 pages | 16,90€
La quête, la Dame du lac perdu, Mannaert et Maupomé, Le Lombard
Le scénario est bien inventé : un jeune garçon se retrouve dans une quête datant d’il y a 1 000 ans. La BD mélange passé et présent (par exemple à un moment, un chevalier apparait alors qu’on est à notre époque).
C’est une histoire avec plein de suspense, mais le tome 1 ne sert pas à grand-chose sans les autres tomes. La quête commence à peine et c’est déjà la fin !
Je la conseillerais aux passionnés de chevaliers, car elle ne parle que de ça. Mais pour moi, dans l’ensemble, cette BD n’est pas incroyable. Et les dessins ne sont pas très jolis !
Norma (10 ans)
paru le 02 février 2024
Éditions le Lombard
120 pages | 14,50€
Le ciel en sa fureur, Adeline Fleury, Éditions de l’Observatoire
Bien que n'étant pas amateur de récits fantastiques, j'ai pris plaisir à lire ce roman bien écrit où les phénomènes surnaturels sont légions. Adeline Fleury, l'autrice, nous emmène dans une Normandie pleine de croyances, de goubelins, d'enfants-fées et de pluie de crapauds.
"Cette terre normande est parcourue d'ondes étranges, d'énergies contradictoires qui fragilisent les nouveaux arrivants, les secouent, font vaciller leur rationalité. Depuis leur arrivée au village, les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être aussi attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture." (page 139-140)
Pour enrober le tout, l'écrivaine met en place une histoire d'enfant caché et de vengeance, une intrigue assez convenue, mais qui a l'intérêt de faciliter la lecture. Et puis, on n'est pas chez Agatha Christie donc l'enquête n'est pas le sujet.
Ce qui compte, c'est l'indéniable talent d'Adeline Fleury pour décrire des paysages et des ambiances. Elle nous embarque avec finesse dans un Contentin de légende qui ne vous laissera pas indifférent.e.
Paru le 02 janvier 2024
Éditions de l'Observatoire
202 pages | 20€
Au chant des grenouilles, Urania, la sorcière, tome 1
Le titre est Urania la sorcière, mais tu ne dois pas croire que cette histoire est maléfique ou effrayante; c'est juste qu'il y a une grand-mère un peu médecin. Les héros de cette BD sont en grande partie des enfants animaux (lapins, renard, chouette...) qui forment un groupe d'amis et qui vivent ensemble des petites aventures dans la forêt. Les personnages sont très mignons et attachants. Il y a quelques passages humoristiques.
Au début du livre, il y a une double planche avec le nom des personnages et leur portrait en médaillon. Je trouve que c'est assez pratique pour se repérer. Il y a aussi trois fiches documentaires sur la nature. C'est bien parce qu'elles ne sont pas trop longues (une page), mais ça t'apprend quand-même des choses.
Les dessins de Florent Sacré sont magnifiques, il y a des détails incroyables et très joliment faits. Bravo aussi à Barbara Canepa pour le mélange des couleurs qui est parfait ; il y a des dégradés de couleurs (sur l'eau, dans les feuillages...). Ce n'est ni trop clair ni trop sinistre.
Le livre en lui-même est beau ; même la couverture est réussie, avec son titre en lettres dorées qui cachent plein de secrets ! La série Au chant des grenouilles fait partie de la collection Métamorphose (Oxymore Éditions) dont j'ai déjà lu les Carnets de Cerise, Lulu et Nelson (etc.) qui m'avaient beaucoup plu aussi.
Ce premier tome se finit avec beaucoup de suspense et ça me donne envie de lire les prochains épisodes.
J'ai beaucoup aimé ce livre.
Norma (10 ans)
paru le 29 mai 2024
Oxymore Éditions
48 pages | 14,85€
Barbara Canepa | Anaïs Halard | Florent Sacré
Balle au Pied – Remise en jeu, Lylian, Lesdeuxpareilles, Glénat
Après un accident, une fille passionnée de foot doit se faire amputer d’une jambe. Au début, elle est désespérée mais elle reprend espoir et intègre un nouveau club. Grâce à la rééducation, elle arrive à rejouer. Le scénario prouve que - même en étant handicapé - grâce au courage et à la solidarité on peut réussir un sport. Cette BD n’est pas triste, elle nous apprend que le collectif et l’entraide nous aident à surmonter les épreuves difficiles.
L’histoire m’a plutôt plu, mais pas la BD dans son ensemble. Je n’ai pas trop aimé les dessins. Parfois il y a des belles planches, mais on dirait que personnages surjouent : leurs mimiques sont vraiment trop marquées. Et il y a des passages où les couleurs sont vraiment horribles.
Je ne dépenserai pas mon argent de poche pour acheter le prochain tome de la série !
Norma (10 ans)
Glénat, collection Tchô !
12,50€
Lylian (scénario) | Lesdeuxpareilles (dessins)
Lisou, quand la nuit tombe, Marion Achard, Toni Galmès, Delcourt
L'autrice a recueilli le témoignage de sa grand-tante et en a fait qui BD qui raconte les péripéties que Lisou et sa famille vécurent pendant la guerre. C'est une personne devenue âgée qui raconte son enfance, donc cette histoire peut intéresser les enfants comme les adultes. C'est une BD tout public, même ma tante l'a appréciée, alors qu'elle ne lit pas trop de bandes-dessinées.
Les dessins style aquarelle sont très jolis. J'ai beaucoup aimé ce livre qui est l'un des meilleurs de la sélection du Prix des lecteurs du Journal de Mickey. Je suis impatiente de lire le deuxième tome, qui raconte l'histoire de Mylène (la grande-sœur de Lisou).
Norma (10 ans)
Paru le 28 février 2024
Éditions Delcourt
128 pages | 20,50€
Anna Karénine, Léon Tolstoï, 10/18
Quand j'étais petit, ma Maman m'a totalement divulgaché la fin de Anna Karénine. Je me suis donc longtemps dispensé de la lecture d'un livre de près de mille pages dont je connaissais déjà la fin ! (Combien vous dois-je pour la séance, Docteur.e ?!).
La réédition récente de chef d’œuvre de la littérature russe du XIXème siècle par la maison 10/18 m'a convaincu de me lancer dans la lecture de cette longue histoire d'amour contrariée. Je pensais qu'une nouvelle traduction justifiait la ressortie du livre, mais en fait non, il s'agit d'une traduction, anonyme, parue en 1886.
Heureusement, la traduction n'a pas du tout vieilli et j'ai été surpris de constater combien ce livre se lisait facilement. De façon habile et agréable, le traducteur (ou était-ce une traductrice?) conserve certains mots en langue originale et les traduit en bas de page. J'aime ce procédé qui permet de se projeter plus facilement en Russie. De la même façon, les références ou les mots compliqués (marmoréen, coterie...) sont expliquées afin de vous dispenser de sortir votre dictionnaire. Tout cela rend la lecture très fluide et c'est tant mieux car le livre est long.
Dans certains livres russes, on se perd dans la multitude de personnages et la multiplicité de leurs pseudonymes. Ici au contraire, le nombre de protagonistes est relativement limité et l'on identifie toujours facilement de qui on parle.
Il y a Lévine, l'idéaliste intransigeant, amoureux éconduit. Kitty, la jeune et belle trahie. Wronsky le bellâtre. Anna la mère de famille terriblement séduisante, Oblonsky le charmeur infidèle et Dolly sa femme blessée.
Pendant près de mille pages, tout ce petit monde de la grande bourgeoisie russe se séduit, se dédit, se trahit. Levine et Anna ont du mal à se satisfaire de leur condition de mortels et cherchent l'Absolu, tandis qu'Oblonsky et Wronsky se contenteraient bien d'une vie de plaisirs. Mais la chair est triste, hélas.
Un vrai feuilleton qui en vaut bien d'autres !
Paru le 20 juin 2024 (réédition)
10/18 Littérature étrangère
984 pages | 10,90€
L’Avare, Molière, Clément Poirée, Théâtre de la Tempête
Arrivée avec sous le bras des béquilles multicolores, un parapluie, deux livres, une paire de lunettes de soleil et un mixeur, je me demandais bien comment les comédiens allaient pouvoir jouer de ces objets anachroniques dans l’Avare de Molière. Oui, la consigne donnée aux spectateurs de la pièce de rentrée de la Tempête était claire : sortez de vos placards des objets aussi loufoques qu’inutiles, apportez un encombrant ou un vêtement, cela servira de costumes aux comédiens et de décor bric à brac au plateau. A l’heure de gloire de la récup', rien ne se perd, rien ne se crée, tout peut servir.
Dans son Avare, Clément Poirée tire le trait de la tyrannie du radin. Avec un plaisir sournois, il se joue de notre obsession de la possession. La tristesse solitaire d’Harpagon accrochée à sa caissette ne fait que réveiller notre soif de générosité. Les stratagèmes à rebondissements de l’intrigue se mêlent habilement avec des scènes jubilatoires d’interaction improvisée avec le public complice qui rit beaucoup.
Comme j’étais heureuse ce soir-là pour tous les jeunes présents à La Tempête. Ceux qui, suivant la proposition de leur classe, poussaient pour la première fois la porte d’un théâtre. Les yeux écarquillés, les oreilles grandes ouvertes à la si belle langue de Molière, ils virent que le théâtre vaut 1001 expériences virtuelles. Sans écran, il permet de traverser les époques, de vibrer d’amour et pose question sur la valeur des choses au cœur de notre société de consommation. Aux faux lanceurs d’alerte sur l’ennui au théâtre, montez sur scène le temps d’esquisser quelques pas de danse et retournez à votre place, le sourire aux lèvres.
Oui, il y en a de la générosité et de l'audace dans cet Avare. Sans frontière entre la scène et le public, on vit une expérience interactive : un happening au gré de nos curieux dons. Révélateur de notre société aux 1001 gadgets, la pièce interpelle notre sobriété et la formidable créativité des artistes et artisans habituellement de l’ombre : les costumiers, maquilleurs, décorateurs et éclairagistes pour leur redonner vie.
Je ne saurais terminer sans saluer le talent pétillant des comédiens. Mention spéciale à Mathilde Auneveux : sexy Élise, amoureuse éprise de liberté, Pascal Cesari : hypersensible Cléante avec un panache remarquable, et Nelson-Rafaell Madel : irrésistible Valère, tourbillon d’émotions et de charme malicieux. Cette rentrée à la Tempête est une délicieuse invitation à savourer le reste de leur saison très alléchante. Tour de maître pour cette version très réussie du chef d'œuvre de Molière.
Jusqu’au 20 octobre 2024
Théâtre de la Tempête
Du mardi au samedi 20h, dimanche 16h ,
Cartoucherie, Route du champ de Manoeuvre – 75012 - Paris
Nos ministres à nous : Nilufer Yanya & Marie Pierre Arthur
Pour le prix du ministre de l’intérieur, les nommés sont… des tristes sires, des arrivistes déclarés, des pauvres types pathétiques et peut-être un ou deux qui ont encore la foi. Allez, avouez que cette situation atypique et politique nous amène tout un lot de questions, de ras le bol et un peu d’amusement. Ici, on a décidé de nommer des ministres musicaux.
Et on va commencer par la ministre de la mode. La pochette a tout du truc tape à l’œil. On se dit que l’on est tombé dans un enfer commercial et pompeux. On est en droit de se demander si c’est encore possible de mettre en scène de la bimbo qui vomit des tubes fabriqués par des spécialistes du marketing.
Et puis non, l’anglaise Nilufer Yanya n’est pas une écervelée mais belle et bien une tronche bien faite. Méfiez vous des apparences. Son disque est une réussite éclatante. En bonne Britannique, la jeune femme a tout absorbé de la musique pop et elle produit des morceaux éclectiques, savoureux et surtout que l’on n’attend pas vraiment.
On lorgne beaucoup sur un rock indé mais qui connait aussi les réalités du marché. Il y a de la soul et des morceaux synthétiques. La demoiselle mélange les genres avec une gourmandise assumée.
Au fil des morceaux, My Method Actor se révèle: c’est du bon gros rock à l’ancienne. On pense aux années 90 et toutes ses nanas qui voulaient distordre les règles établies. C’est ce que fait très bien Nilufer Yanya, étrange chanteuse et musicienne assez douée pour nous faire perdre la tête. Parce que Taylor Swift restera le maitre du monde, on peut bien en faire une ministre de la mode, avec autant de bons gouts à chaque mélodie !
Maintenant, on va faire un tour aux affaires extérieures, et nommée la Gaspésienne Marie Pierre Arthur comme ministre de la tendresse. Au Canada, cette chanteuse cristallise toutes les tendances qui traversent le pays. Depuis quinze ans, elle défend un style bien à elle qui va de la discrète confidence à une efficacité empruntée à Springsteen. Le champ des possibles chez elle est simplement incroyable et toutes ses œuvres sont à découvrir.
Car au milieu de tout cela, il y a un cœur. Qui ne change pas. Écouter ses disques, c’est recevoir des nouvelles d’une bonne copine que l’on ne voit jamais assez. On devine qu’elle change mais il y a une sincérité qui subsiste.
Donc les effets sont plus pop et elle avance sur des terrains plus soul que d’habitude. Mais ça lui va bien. La couleur bleue inspire de la joie, de la bonne humeur et une envie de déconcerter. Les chansons sont très éclairées et vont vers des endroits inattendus. Mais la voix reste ce guide chaleureux qui se confie avec de belles nuances. Musicalement, c’est très agréable et la chanteuse continue à être vraie. Difficile de ne pas craquer par elle, encore une fois.
Enfin nous rêvons de mettre Ginger Root pour diriger le ministère de la jeunesse ! Shinbangumi est une belle plage de réjouissances et d'espiègleries en tout genre. Voilà de l’album qui montre que nos jeunes ont des idées.
Bon c’est un jeune de Californie mais il a très bien appris ses leçons : son disque s’amuse à parodier avec élégance les us et coutumes de la pop des années 80. Avec cette petite ironie qui permet d’imaginer que le jeune homme n’est pas qu’un simple copieur prétentieux.
Son disque est très drôle. Souriant même. C’est un album concept mais c’est surtout sautillant, constamment. Les idées fusent. Elles nous caressent dans le sens du poil: on se verrait bien chanter ses titres dans un karaoké.
Ce disque est une petite boule à facettes qui nous fera oublier les tristes sires, les arrivistes déclarés et les pauvres types pathétiques!