Art-scène, Théâtre

Le poids du mensonge, Mitch Hooper, Manufacture des Abbesses

Lorsque Marc arrive chez Jean au petit matin, il ne sait pas que son ami de longue date vient de tuer femme et enfant. Les deux hommes discutent dans le jardin. L'atmosphère est tendue, les silences s'installent et la rancœur affleure. Manifestement, les deux hommes ont des vieux comptes à régler.
"Ça fait des années que je porte ce poids et là, soudainement, je suis en apesanteur. - Quel poids ? - Le poids du mensonge."


Lorsque Marc arrive chez Jean au petit matin, il ne sait pas que son ami vient de tuer femme et enfant. Les deux hommes discutent dans le jardin. L’atmosphère est tendue, les silences s’installent et la rancœur affleure. Manifestement, les deux amis de longue date ont des vieux comptes à régler.

« J’t’en veux pas de toute manière.
– Alors pourquoi tu m’en parles sans cesse? »

Les deux hommes remontent ensemble le fil de leur relation amicale, une histoire qui mène au drame. En filigrane, Jean se dévoile. Au détour de phrases à double sens il confie son crime et les raisons qui l’ont poussé à assassiner les siens. Car – comme Jean-Claude Romand (dont le personnage est inspiré) – Jean a menti à tout le monde. Depuis toujours. Lui qui n’a ni diplôme ni emploi escroque ses proches pour vivre. Mais au moment où d’être découvert, il a préféré faire du passé table rase, effacer son passé. Jean est glaçant. Lorsqu’il n’élude les questions, il y réponds de façon à laisser planer le doute.

« T’es le roi du monde, comment t’as fait ?
– J’ai menti. »

Par un flashback habile, nous revivons la veille du drame, quand les deux amis et leurs femmes ont dîné ensemble. Là aussi, la jalousie pointe. Chacun.e fantasme la vie de l’autre et lui envie la réussite qu’il lui prête. Mais les apparences sont trompeuses et la dissimulation est reine. On sourit parfois devant l’énormité des mensonges.

« Ça fait des années que je porte ce poids et là, soudainement, je suis en apesanteur.
– Quel poids ?
– Le poids du mensonge. »

Jean est un personnage complexe que Julien Muller incarne posément et avec justesse. Le comédien joue tout en retenue et donne au rôle une belle profondeur. Mâchoires serrés et diction lente. il est froid et distant. Il transpire la colère rentrée et le cynisme. On va jusqu’à rire de l’aplomb de Jean qui semble assez content de lui, malgré tout.

« Tout le monde a voulu me croire. Il a fallu continuer. Ils m’ont obligé à mentir. »

La mise en scène est à l’épure, du mobilier de jardin, quelques déplacements et c’est tout. Tout repose sur le jeu au cordeau des acteurs qui maîtrisent l’art complexe du silence au théâtre comme celui des longs dialogues.

Julien Muller est bien dans le rôle de Jean, on l’a dit, mais ses partenaires de jeu ne sont pas en reste. Anatole de Bodinat a le charme qu’il faut pour jouer Marc, le beau mec prometteur un peu looser, et c’est un plaisir d’assister à son face-à-face avec Julien Muller. Anne Coutureau restitue bien l’état d’esprit de la femme de Jean ; Carole est manipulée, larguée et résignée. Sophie Vonlanthen, enfin, sait nous montrer combien Laurence – la femme de Marc – est, sous ses airs candides, un personnage froid et pragmatique.

La tonalité de la pièce reste grave, sans verser dans la pesanteur. L’auteur et metteur en scène, Mitch Hooper, réinvente et transcende le théâtre de Boulevard. Sauf qu’ici ce ne sont pas les portes mais les coups de feu qui claquent !

Une pièce sobre, dense et efficace qui mérite d’être vue.

Jusqu’au 15 octobre 2023
Manufacture des Abbesses, Paris XVIII

de 10€ à 26€

Previous ArticleNext Article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

? * Le temps imparti est dépassé. Merci de saisir de nouveau le CAPTCHA.