Zorglub, la série de BD, Munuera, Éditions Dupuis

Si vous ne l’avez pas remarqué, sachez qu’ici on est plus team Spirou que team Asterix ou team Lucky Luke. Peut être parce que le groom journaliste n’a jamais baissé les bras : il y a toujours eu des aventures de Spirou et Fantasio depuis sa création en 1938. Et à l’heure industrielle, l’aventurier résiste plutôt bien au cynisme ambiant qui consiste à réveiller les vieux mythes de la bande dessinée.

Car Spirou est désormais l’épicentre de tout un tas d’ouvrages plus ou moins réussis. Nous allons essayer d’y voir plus clair. Et on commence la découverte de ce multiverse avec un monde où le héros serait le plus machiavélique des némésis de Spirou: l’infatigable Zorglub.

Il veut toujours le pouvoir et cherche toujours à faire les pires crasses. Mais il a un très gros problème : il a désormais une fille, Zandra. Une jolie poupée aux cheveux violets et surtout une incroyable personnalité : elle est gentille.

Ce qui a le don d'énerver son père, génie du mal et scientifique névrosé. La série (trois tomes actuellement) est menée par Munuera. L’Espagnol a réalisé quelques épisodes de Spirou et Fantasio. Pas les meilleurs mais son coup de crayon allait très bien au rythme soutenu des aventures des deux journalistes.

Ici, le talent narratif de José Luis Munera explose malgré des histoires un peu légères. Mais il ne faut pas bouder son plaisir, Zorglub est un personnage qui ne demande qu’à s’exprimer. Il a une énergie qui trouve enfin son expression dans un récit qui ne concerne que lui et sa délicieuse fille, pleine de surprises pour faire péter les plombs à son géniteur.

Munuera ne manque pas de second degré lorsqu’il fustige l’absence d’idées qui règne dans tous les domaines à l’époque des spin offs, des remakes, de suites, de préludes et des hommages. Ce qu’est exactement l’empire Spirou aujourd’hui !

Zorglub, c’est un mégalomaniaque qui permet une parodie qui ne se moque cependant jamais de son modèle. Comme on aime dans la série “mère”, Zorglub fait preuve d’une modernité qui jure avec ses concurrents coincés dans des cahiers des charges trop contraignants. Ici, Zorglub se noie dans son rôle de père et montre un monde très contemporain, souvent drôle.

Comme le souligne le premier concerné: “enfin une série à la hauteur de mon génie”.

Tome 1 - La fille du Z
Tome 2 - L'apprenti méchant
Tome 3 - Lady Z
Éditions Dupuis
12,50€ le tome

Rapattitude ! Brontez Purnell, The Allergies, Yvnnis

Bon. Mes petits cocos qui font du rap avec du vodocode ou de l’autotune, qui tartinent des textes de gros beaufs nourris par le fiel crétin de Cnews et Hanouna et qui limitent la musique à un son de CPC 6128, hé bien voici trois conseils pour créer une sorte d’émeute qui pourrait ravir le plus grand nombre : une révolution musicale.

Alors passez tous une oreille sur l’Américain Brontez Purnell, un véritable intellectuel car en plus du rap, il écrit des livres, il a eu un groupe punk et il dirige une compagnie de danse. On continue dans les clichés?

Ce type fait du bien, donc, pour lutter contre les idées courtes, celles qui collent au rap les clichés les plus risibles. Et son style est résolument frais. Un peu lancinant mais il n’en fait jamais trop. Cela sort largement des sentiers battus mais on devine à chaque note une exigence qui n’existe plus depuis longtemps dans le rap mainstream. Il embrasse aisément tous les genres avec une souplesse incroyable.

En trente minutes, il égratigne les stéréotypes du genre et rassemble tout l’aspect populaire du genre pour en faire quelque chose d’unique et de très original. Une bouffée d’air frais.

Tout comme la plupart des œuvres de The Allergies. Le duo anglais sait faire les cocktails les plus aromatisés du rap ! Leur nouvel album est une fois de plus une petite bombe euphorisante qui va vous faire tourner la tête.

Tear the Place Up sera sûrement le réconfortant le plus utile à cette année 2023 déjà si tourmentée. De la couche populaire de Bristol au costard le plus funky de la planète, le duo de DJs enfile les costumes avec aisance pour saisir tout le sel du rap, du funk et de la soul.

Le résultat est spectaculaire. Une séance de dance floor à la maison. Impossible de résister à leurs refrains furieux et leurs bidouillages urbains et vivants en même temps.

Les flows tentent de rattraper une musique qui semble vouloir aspirer toute la vitalité de tous les genres. Comme les autres albums, on sort rincé de l’écoute mais on est tellement heureux.

Plus proche de nous et pour se rassurer un peu sur l’état du rap français, il faut aller dans le Val de Marne (après Bristol vous pourrez trouver cela bucolique) et découvrir le rappeur Yvnnis.

Le jeune homme évite les bonnes grosses lourdingues habitudes du genre. Même sa pochette fait preuve de liberté de ton et un style bien à lui. Techniquement c’est très bien fait. Et surtout l’écriture du rappeur ne semble pas à chercher la punchline TikTok ou l’effet marseillais (je me comprends). Pas spectaculaire, sa musique se fait d’instruments jazzy et de beats beaucoup plus nuancés.

On s’étonne de la maturité musicale de ce jeune rappeur. Il y a des petites erreur de jeunesse mais son travail impressionne par un vrai sens de l’introspection et une musicalité qui ferait presque apprécier l’autotune… C’est dire le niveau ! Tant pis pour lui, mais aux apprentis rappeurs, prenez exemple sur ce premier de la classe plutôt que les cancres qui cèdent à la facilité !

Brontez Purnell - No Jack Swing
The Allergies - Tear me Up
Yvnnis - Novae

Voyage avec un âne, Robert Louis Stevenson, Fanette Jounieaux, Funambule

Pour terminer les vacances en beauté, que diriez-vous d'une randonnée dans les Cévennes avec un écrivain et une ânesse ?

Pour se remettre d'un chagrin d'amour, l'écrivain écossais Robert Louis Stevenson (à qui l'on doit notamment Dr Jekyll & Mr Hyde et L'île au trésor) s'est lancé à la fin de l'été 1878 dans la traversé les Cévennes. 220km à pied dans un pays reculé où "il n'y a que des châtaignes et des oignons". Cette aventure a donné un livre intitulé Voyage avec un âne dans les Cévennes, aujourd'hui adapté au théâtre.

Maintenant que la randonnée est devenue une chose commune, on pourrait s'étonner que ce livre soit devenu un classique. Cela s'explique sans doute par le fait qu'il s'agit de l'un des tout premiers récit de la marche en tant que telle. "Je ne voyage pas pour aller quelque part, je voyage pour voyager, pour le plaisir de marcher."

Il faut dire aussi que Stevenson a un talent certain pour nous faire vivre l'aventure par procuration, talent partagé par la metteuse en scène Fanette Jounieaux. Pendant une heure, on part à l'aventure et l'on s'attache à Modestine. On marche sur des chemins difficiles, on dort à la belle étoile, on croise des aubergistes, des moines, des fermiers, des serveuses et autres paysans pas toujours très honnêtes ni accueillants de prime abord : "Je ne parle pas aux colporteurs !". Les rencontres sont drôles, belles, poétiques, mais la plus importante de toutes, c'est la rencontre avec Modestine, l'ânesse rétive mais charmante qui accompagne Stevenson dans son périple. Tout au long du voyage, elle sera sa meilleure amie et même la confidente à qui il livrera ses peines de cœur. Elle lui en fera baver aussi parfois, avec son caractère bien trempé.

Magie du théâtre, Modestine est aussi personnage central sur la scène du Funambule. C'est une comédienne qui - par une petit artifice bien trouvé - incarne l'ânesse d'une façon surprenante, amusante et convaincante.

Cette adaptation est très bien fichue. Beaucoup de choses passent par le son, il y a de nombreux bruitages qui sont fait à la vue du public, comme les changements de costumes (il n'y a, pour ainsi dire, pas de décor). La mise en scène et la scénographie sont efficaces, avec peu de moyens. Un comédien incarne Stevenson tandis que trois autres se partagent le reste des nombreux personnages.

C'est un beau moment de théâtre et j'ai regretté que ma fille de 9 ans ne m'ait pas accompagné car elle aurait été fascinée par ce spectacle qui se fait devant nous.

Jusqu'au 3 septembre 2023
Au Funambule Montmartre (53 rue des Saules 750
18 Paris)
Tout public | durée 1h15

Barbie, Greta Gerwig, Warners Bros.

Deux heures de pub pour Barbie, c'est loooooong...

Appâté par une bande-annonce habile et un succès populaire notable (près de 4 millions de spectateurs en 3 semaines, quand-même !), je me suis laissé tenté par le Barbie de Greta Gerwig.

A BarbieLand, Barbie Stéréotypée vit entourée de ses copines Barbie et de ses admirateurs mâles, les Ken, dont l'unique ambition est de lui plaire. Vivre à BarbieLand, c'est comme vivre dans une comédie musicale rose bonbon inspirée du Jour de la Marmotte, mais en plastique. Tout le monde s'amuse bien jusqu'à ce que la plus belle des Barbie s'interroge sur le sens de la vie. Alors soudain le disque déraille, et notre Barbie stéréotypée doit se rendre dans le Monde Réel pour tenter de rétablir l'équilibre dans le sien.

Grâce à son talent d'actrice, Margot Robbie - qui est l'incarnation même de Barbie - rend ce film à peu près regardable. Ryan Gosling a, quant à lui, bien travaillé les pectoraux afin de ressembler à Ken, l'homme plastiquement parfait. Malheureusement, la préparation physique ne suffit pas à faire de lui un bon comédien. Car avec son expression figée, la star est définitivement un mauvais acteur, un de ces types à la Tom Cruise obligé de cacher son visage dans ses mains pour camoufler son incapacité à jouer.

Si le premier quart d'heure est assez réussi, la suite est poussive et ennuyeuse. Car peut-on parler de film quand il s'agit en réalité d'une longue page de réclame? Si l'on ne compte plus les placements de produits (Birkenstock, Converse, Yamaha, Chevrolet etc.) dans ce film qui est avant tout une publicité pour Barbie, orchestrée par le fabricant de la poupée lui-même. Ce très long métrage (durée 1h55, ressenti 4h00) est, en effet, une production Mattel ! Je m'étonne d'ailleurs que les foules se laissent prendre par ce bonbon acidulé et surtout très marketé.

L'objectif réel du film est confessé dans une réplique : "Il faut sauver Barbie" !

Si la Blonde à la taille de guêpe a pu être critiquée, c'est par des esprits chagrins et de façon outrancière (qui vont jusqu'à la traiter de "fasciste", rendez-vous compte !). C'est tellement terriblement injuste que la pauvre en pleure à chaudes larmes. Séquence émotion.
Car Barbie est "juste une poupée qui représente une femme" et qui montre aux petites filles qu'elles peuvent tout faire. Barbie, un outil féministe d'émancipation, donc.

En faisant le procès des ses détracteurs et en faisant mine de déconstruire Barbie, le film se livre en réalité à une totale réhabilitation de la poupée à la taille de guêpe et aux gros seins. Un peu d'autodérision et hop, on pardonne tout à Mattel ! Vous l'aurez compris, il s'agit finalement de vous donner envie, au XXième siècle, d'acheter une Barbie à votre fille, sans culpabiliser. Au passage, on va également vous refourguer un Ken qui n'est pas aussi inutile qu’il y parait. Et en plus il est revenu (bien vite) du patriarcat.

On peut y voir du second degré, moi je n'y vois qu'un cynisme consommé (et consumériste).

Le 19 juillet 2023
1h 55min
Mattel Productions / Warner Bros

La leçon du mal, Yûsuke Kishi, 10/18

Un livre pour les amateurs de violence gratuite à la Tarantino. Un véritable scénario de série Z.

Seiji Hasumi est le séduisant professeur principal de la 1ère 4 du lycée Shinkö Gakuin, qui s'occupe personnellement de chaque membre de sa classe. Entre les élèves et le corps enseignants, on doit être pas loin de la trentaine ou quarantaine de protagonistes, dont certains ont des noms très proches (Sonoda avec des o comme prof de sport et Sanada avec des a comme prof de math...). Accrochez-vous pour vous y retrouver dans la foultitude de personnages. Personnellement, j'ai dû prendre des notes.

Assez rapidement, on comprend que ce professeur idéal n'est pas si gentil que ça. Manipulateur et dépourvu d'affect, il ne recule devant rien pour parvenir à ses fins. Le livre va donc inévitablement sombrer dans la violence la plus crue, la plus gratuite et, pour moi, la plus ennuyeuse qui soit.

Pour ce cocktail vu et revu, comptez trois doses de violence (ça dézingue à toute berzingue, avec des meurtres par pendaison, immolation, défenestration etc. etc.), deux doses de manipulation machiavélique (avec un personnage aussi séduisant qu'amoral), et une bonne dose de cul (y comprises l'incontournable infirmière cougar et nymphomane et les scènes de domination soft à tendance pédophilique...).

Pour couronner le tout, je trouve d'assez mauvais goût le fait de publier en France, après le Bataclan, un huis-clos où des jeunes se font méthodiquement tuer au fusil.

Si ce roman est un page-turner, c'est surtout parce qu'on a envie de mettre fin le plus vite possible au supplice que représente sa lecture !

Parution en poche le 17 août 2023
chez 10/18
624 pages / 10,10€
Traduction (japonais) Diane Durocher

Vacances la tête en l’air avec Miyazaki

Les Juillettistes ont battu les aoûtiens ! Depuis fin juillet, la pluie et les orages ont gâché les fêtes de campings, les bals de villages et les journées à la plage. Mais avez-vous profité de ce temps variable pour regarder les nuages ?

C’est la plus belle sensation de vacances. Dans nos villes étriquées, voir un gros cumulus se rouler dessus c’est un magnifique spectacle. Observer un ciel avec des petits moutons gris c’est beau. Et que dire des derniers rayons de soleil qui viennent colorer les nuages qui annoncent la tempête ou le beau temps ?

Au cinéma, le ciel est aussi une œuvre à part entière. Et celui qui le regarde avec gourmandise et l’anime avec beauté, c’est bel et bien Miyazaki, maître du cinéma d’animation japonais. Tous ses films se regardent en levant la tête vers les cieux.

Deutsch Grammophon le souligne très bien en convoquant le fameux Royal Philamornic Orchestra pour un disque hommage au complice de toujours de Miyazaki, Joe Hisaishi. C’est bien lui qui amène notre envie de se perdre sur les chorégraphies des nuages et ce que suggère la pochette sobre de cet album symphonique.

Il s’agit donc d’une compilation des tubes du Studio Ghilbi. L’orchestration enroule toutes les caresses de cette musique veloutée. En version anglaise : cela ne gâche jamais la rondeur céleste que cette écriture picturale et inspirante. Bien entendu, il n’y a rien de nouveau dans cette prestigieuse adaptation mais cela reste un appel à la rêverie, à la beauté simple et à un hédonisme élégant.

Puisque ce sont les grandes vacances, poussons le plaisir un peu plus loin ! Fixez le ciel bleu et regardez les petites traces blanches ou les nébuleux cumulonimbus. Écoutez la musique du Château Ambulant.

Une valse d’une heure qui va bien aux divagations et à la poésie d’une nature libre et espiègle. Un piano viendra calmer et rythmer les ardeurs en offrant une mélancolie qui fait du bien au cœur.

Car c’est ce que l’on aime chez Joe Hisaishi. Il y a la performance mais il y a surtout l’absolue tendresse. L’humanité du cinéaste Miyazaki trouve une réponse touchante dans cette capricieuse orchestration qui ne vous lâchera jamais. Promenez vous dans la nature. Observez cette limite ou le vert des forêts vient caresser le bleu ou le banc du ciel… vous verrez. Vous entendrez. Je vous le souhaite : vous vibrerez !

D’ailleurs c’est en ce moment la nuit des étoiles. Ce moment où les étoiles filantes se donnent en spectacle. On peut même voir le train Starlink d’Elon Musk se promener dans la voie lactée… Pour oublier ce cynisme, offrez vous la dolce vita de Porco Rosso.

Là encore vous aurez droit à un festival de notes festives et de mélodies séraphiques. Tout ce qu’il faut pour avoir la tête dans les nuages. Soyez heureux les aoûtiens !

Le film raconte un cochon qui pilote dans l’Adriatique, entre terre et mer. La musique fanfaronne et nous fait voyager dans un monde onirique et d’une légèreté inouïe. Les harmonies nous font découper géographiquement les bordures méditerranéennes si délicieuses et nous emporte dans un vent de mélodies rustiques et rêveuses.

Cet article est écrit depuis la cité mais les rythmes de tous ces titres vous entraineront vers le farniente absolu, la chimère harmonieuse ou l’envie d’ailleurs… Le nuage est votre meilleur ami qu’il fasse beau ou moche!

Oppenheimer, Christopher Nolan, Universal

On le sait: regarder un film de Christopher Nolan est une épreuve et bien souvent une fresque avec ses bizarreries et ses obsessions. Pour une fois, il réalise un biopic classique… à sa manière.

Nous saurons donc tout sur le professeur Oppenheimer, le père de la bombe atomique. Très vite, on comprendra que l’homme est aussi mystérieux que l’atome qu’il tente de percuter à des neutrons tout aussi abstraits.

L’abstraction est justement l’une des grandes passions du cinéaste d’Interstellar. Cela a donné des grands films, de beaux succès et quelques nanars célestes aussi. Cette fois-ci, cela colle parfaitement à l’esprit surélevé de Oppenheimer.

On s’arrête ici pour saluer l’interprétation de Cillian Murphy, acteur fétiche de Nolan. Son regard perçant est un fil auquel on s’attache pour saisir la folie qui habite ce drôle de scientifique, qui a du mal à résister au pouvoir. Celui de la fission et de la fusion. Celui de la politique. Celui de la guerre.

L’acteur est extraordinaire. Il est très bien aidé par des dialogues complexes et parfois drôles. Nolan a la bonne idée de le faire travailler avec toute une bande qui se réjouit de la richesse verbale d’un biopic bouillant comme un noyau. On reconnait plein de visages connus mais on appréciera l’humour cynique et taciturne de Matt Damon et l’imitation de Jeremy Irons par Robert Downey Jr.

Mais revenons au spectacle proposé. Car c’est une fresque intime mais épique dans sa narration. C’est ce que l’on aime ou déteste chez Christopher Nolan. Rien n’est simple. Comme d’habitude, le réalisateur explose la linéarité de son récit mais le montage fait monter un suspense que l’on n’imaginait pas.

La musique devient un mur sensoriel qui nous enferme dans l’obsessionnelle quête d’Oppenheimer. Les enjeux de l’histoire s'imbriquent dans les ambivalences du personnage, condamné à réaliser un événement sans précédent.

Il y a donc le coté sentencieux du cinéma de Nolan mais il y a surtout une vraie pertinence dans le propos. Ce n’est pas un héros sympathique mais un portrait entier d’un physicien étonnant. Nolan sait filmer ses intuitions, ses faiblesses et son humanité. Le rêve d’un homme peut-il devenir le cauchemar du Monde ?

Tous les dilemmes sont montrés. C’est parfois énorme mais cela va très bien au sujet. La folie des grandeurs se développe à l’écran avec une ampleur qui finit par nous subjuguer. On peut se sentir manipulé : on admire le côté monumental de l’entreprise.

Avec le temps, cela pourrait donner un film ampoulé mais Nolan sait toujours faire une œuvre fascinante, qui nous pousse à aller un peu plus loin et offrir un cinéma qui interroge… il parvient à nous faire rêver d’une manière ou d’une autre.

Avec Cillian Murphy, Robert Downey Jr, Emily Blunt et Florence Pugh
Universal - 3h01

Rendez-vous à Tokyo, Daigo Matsui, Art House

Elle conduit un taxi. Il danse. Ils sont amoureux mais leur histoire est racontée avec une idée simple et malicieuse. Une comédie sentimentale qui oublie toute niaiserie et s'aventure vers de vraies émotions. Prenez rendez vous !

Le réalisateur Daigo Matsui n'en est pas à son coup d'essai. Mais Rendez-vous à Tokyo est son premier film distribué chez nous : à la fin de la projection on serait curieux de voir les précédentes œuvres du cinéaste japonais.

Rendez-vous à Tokyo se passe le même jour de l'année dans la vie d'un couple. Un drôle de couple d'ailleurs. Yo roule dans les rues sinueuses de la capitale. Elle observe tout un tas de clients plus ou moins pittoresques.

Teruo est un ancien danseur. Blessé, il a dû se repenser. Il cache mal un certain spleen. Le 26 juillet en particulier. Car c'est une date importante pour le couple. Elle signifie beaucoup. De leur rencontre jusqu'à leur rupture.

Parce que le cinéaste va profiter de cette date anniversaire pour nous faire valser entre leurs sentiments. Avec des clins d'œil délicieux à Jim Jarmusch, il nous fait visiter une ville qui va vite se charger d'émotions.

Il a bien retenu la leçon du cinéaste américain en faisant de la ville, des décors, un vrai élément de tension, de joie ou de plaisir. Une fois le procédé de narration découvert, le film offre une danse sur la passion ordinaire... mais si riche et si douloureuse.

Pourtant il n'y a rien de pathétique dans ce couple qui fait tout pour s'aimer au-delà du quotidien. La sobre mise en scène permet aussi de sentir leur enthousiasme et leur vertige. Petit à petit apparaît une élégance subtile. Les comédiens y sont pour beaucoup. La mélancolie est ici bourrée d'énergie. Et c'est la force de ce film qui rend le spectateur terriblement vivant.

C'est une œuvre qui fait battre le cœur. C'est assez rare. Donc absolument précieux!

Avec Sosuke Ikematsu, Sairi Ito, Jun Kunimura et Yumi Kawai
Art House - 1h50

L’Annonce faite à Goering, Jean-Pierre Cabanes, Albin Michel

L’auteur, qui n’est pas qu’écrivain mais occupe également la fonction d’avocat honoraire, est connu pour une grande fresque, Rhapsodie italienne. 

Auteur prolifique, il a aussi reçu le Grand Prix de la littérature policière.

L’annonce faite à Goering est avant tout une fresque, haletante et belle, qui traverse la Seconde guerre mondiale, en France, en Italie et en Allemagne.

Il y a quelque chose d’extrêmement fort dans cet ouvrage, qui nous entraîne au gré des vies qui se croisent : les gens qui s’aiment, ceux qui n’aiment pas ou n’aiment rien et profitent de tout. Les calmes et les brutaux (comme les terribles gestapistes français de la rue Lauriston). Sans oublier ceux qui meurent trop tôt. Il y a la peur et l’incrédulité, le cynisme et la volonté, la vie qui continue envers et contre tout.

Le personnage principal, c’est Werner, étudiant allemand en histoire de l’art à Paris, spécialiste des faux en peinture. Werner deviendra militaire, gagnera des galons vaillamment et s’accrochera coûte que coûte à la vie.

Son amour parisien, Claire, est juive mais Werner fait tout pour les aider, elle et ses parents marchands d’art qui ne peuvent croire qu’ils sont mis au ban de la société.

D’autres personnages gravitent autour du jeune homme : sa sœur,  Hildi, l’amant de cette dernière, et Lisbeth. Ils semblent toutefois un peu trop nombreux et, de Galeazzo à Edda en passant par Ornella et Van Meegeren, on s’y perd réellement.

Mais l’histoire nous emporte quand-même, surtout que l’auteur a une vraie connaissance des sinistres protagonistes de l’époque et de leurs univers ainsi que de leurs traits de caractère, particulièrement en ce qui concerne Goering, Luchaire et Goebbels.

Leur entourage n’est pas non plus épargné.

Le tout est narré de manière alerte, précise, d’une écriture fluide. On s’y laisse prendre dès la première page, avec un sentiment de tristesse à la fin, comme un abandon. Une belle histoire.

Paru le 31 mai 2023
Éditions Albin Michel
380 pages / 22,90 €

En eaux très troubles, Jason Statham, Warner Bros

Jason Statham se bastonne avec des requins préhistoriques, une pieuvre géante et un moustachu mexicain... bienvenue dans un océan de conneries!

Mais honnêtement c'est de la bonne connerie. Celle que l'on digère parfaitement bien l'été lorsque l'on va au cinéma pour la climatisation ; ce film est un grand courant d'air pour neurones !

Comme souvent avec les œuvres de cette grosse barrique de Jason Statham, héritier maladroit mais sincère de Chuck Norris ou Sylvester Stallone. Le comédien est payé à la tatane dans la tronche et aux dialogues ruminés. Ça semble le combler de joie. Sa façon de non jouer est un spectacle assez jubilatoire en soi. Il faut avouer que votre serviteur a des plaisirs déviants au cinéma.

D'ailleurs cette suite totalement inutile pille allégrement le fond de commerce de la société de production The Asylum. Si vous ne connaissez pas, n'hésitez pas à regarder un de leurs films. Du gros nanar sans sou mal fichu mais qui aime mettre en scène des histoires aussi débiles que totalement farfelues. Leur plus grand succès: Sharknado et des requins qui se déplacent dans des tornades... bah oui!

Pour fêter ses 100 ans, la Warner a donc mis le paquet sur cette histoire de mégalodons qui se libèrent des abysses pour avaler du touriste abruti. Mais comme c'est un peu court comme programme, Jason Statham devient un éco-guerrier qui se bat contre des méchants avides de polluer les fonds marins et amasser des dollars jusqu'à la fin du Monde. L'empilement de stéréotypes échaudés et l'accumulation d'aberrations scénaristiques font d'En Eaux Très Troubles un nanar aussi intelligent qu'une crevette sans tête ! 

Il ne faut pas bouder son plaisir : on sait ce que l'on va voir. Le mérite des auteurs : avoir dépassé les bornes en termes de stupidité évidente, de raccourcis interdits depuis des lustres dans le 7e art, et de production bâclée à force de tequila et de rhums arrangés sur le tournage. On ne voit que cela pour justifier un tel spectacle !

Ce n'est pas En Eaux Troubles, mais En Roue Libre !

Avec Jason Statham, Wu Jing, Cliff Curtis et Page Kennedy...
et des requins aussi inexpressifs que les acteurs !
Warner Bros - 1h50

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