Des jours meilleurs, Jess Walter, 10/18

Une saga fraternelle, un roman passionnant sur les luttes syndicales des États-Unis du tout début du XXème siècle.

Jess Walter est né et vit à Spokane (État de Washington) ; il était donc bien placé pour écluser la bibliothèque locale et compiler en roman les articles de journaux de l'époque consacrés aux luttes syndicales qui se déroulèrent dans sa ville en 1909.

Il faut imaginer un monde où les travailleurs n'ont aucun droit et où la violence et la trahison sont reines. Une jungle où "Tout le monde est prêt à faire n'importe quoi pour un peu d'argent" (page 252) et où chacun lutte avec ses propres moyens avec pour ambition de changer le monde ou, plus modestement, de s'y faire une place confortable.

Deux frères. L'ainé, Gig, est un beau parleur séduisant et idéaliste qui passe son temps aux IWW (les Industrial Workers of the World), un syndicat ouvert à toutes et tous. Son petit frère Rye, 16 ans, est lassé de la vie de hobo et rêve de stabilité. Mais sa vie sera quelque peu bousculée lorsqu'il croisera le chemin d'Elizabeth Gurley Flynn, une militante syndicale de 19 ans au culot impressionnant (qui fondera plus tard le Parti Communiste Américain) . J'avoue humblement n'avoir jamais entendu parler d'Elizabeth Gurley Flynn avant de lire ce livre. C'est pourtant une figure historique dont la vie mériterait d'être enseignée à l'école. Un personnage bien réel, comme la plupart des protagonistes de ce livre.

Jess Walter fait évoluer ces deux frères de fiction au sein d'une révolte de travailleurs pauvres réprimée dans la plus grande violence par la police de Spokane en 1909. Des événements assez incroyables pour être vrais, car Jess Walter illustre parfaitement l'aphorisme d'Albert Camus (cité page 471 du livre) selon lequel "La fiction est le mensonge dans lequel nous disons la vérité. "

Ce n'est certes pas le roman le plus original qui soit, mais il est très efficace et je l'ai lu avec plaisir et intérêt. Tout au long du livre se pose la question de l'utilité du combat syndical. N'est-il pas perdu d'avance ? Les travailleurs ont-ils vraiment une chance de faire valoir leurs droits face à ceux qui les exploitent et accaparent éhontément les richesses ?

Ce livre nous rappelle avec à-propos la redoutable actualité de la défense des libertés et des droits fondamentaux. Car en filigrane, Jess Walter parle avec acuité de notre siècle qui est le digne héritier du précédent.

"Aujourd’hui nos poissons ont disparu (...). A cause de leurs foutus barrages. Maintenant, dans notre rivière, il n'y a plus que de la merde, des ordures et les déchets des mines. Sur terre, ils ont fait fuir tout le gibier avec leurs marteaux et leurs scies, ils ont arraché les baies dans les collines pour construire encore plus de maisons. Ils ont tué le monde et ils ont appelé ça "progrès" " (page 110)

Paru en poche le 15 juin 2023
chez 10/18 collection Littérature étrangère
480 pages / 9,60€
Traduction (anglais américain) Jean Esch

Faites vous un film dans votre tête !

Vous avez trop chaud ? Filez au cinéma les amis ! Ça détend. La climatisation fera son effet, et rien de mieux qu’une petite fiction pour mettre les coups de soleil de côté. Et en plus, on peut sortir de là avec des petits airs dans la tête. Voici donc trois disques qui vont vous offrir des thèmes particulièrement entêtants.

On commence d’ailleurs avec le disque le plus important de l’année : le dernier Indiana Jones composé par John Williams. A 92 ans, le compositeur a décidé de signer une toute dernière bande originale.

Et cela se ressent dans cette œuvre qui ne dépassera jamais l’explosion lyrique des trois premiers épisodes : elle est presque mélancolique. On n’oubliera pas de sitôt les toutes dernières notes de l’album d’une douceur presque amère.

Mais le maître fait de son mieux pour rythmer les nouvelles aventures d’Indiana Jones. Ce n’est jamais emphatique mais le complice de Steven Spielberg recycle habilement toute la mythologie mélodique de la fameuse saga.

Une fois de plus, il y a dans son écriture une sorte de romanesque qui nous emporte dans une folle imagination. C’est ce qu’on aime le plus chez Williams : ce pouvoir d’évocation. Vintage, nostalgique, cette dernière composition rend presque triste parce que c’est la toute dernière de John Williams, personnage clef de la musique américaine et de la bande originale de film.

Plus joyeuse mais avec ce même goût du recyclage, on peut tirer un coup de chapeau au fade Brian Tyler qui a réussi symphoniser les thèmes de Super Mario Bros pour les besoins du film d'animation qui a cartonné au cinéma.

Brian Tyler, c’est le compositeur de série B par excellence. Il produit du son plutôt que de créer des univers musicaux. C’est un pisse copie d’Hollywood comme il y en a tant mais lui, a eu la chance de lier son nom à quelques succès au box office.

Mais il faut avouer que le quinquagénaire a fait de gros progrès en se confrontant à l’univers du fameux petit plombier de Nintendo. Il doit sûrement être fan quand on voit la débauche d’efforts et de thèmes qu’il reprend et malaxe avec une certaine dextérité.

C’est la première fois dans sa grande filmographie que l’on découvre ce sentiment: l’enthousiasme. C’est peut être un peu trop excité à certains passages, mais la musique de Super Mario Bros est une réussite en faisant référence à tout le passé de la franchise Mario et enveloppant le tout avec une orchestration impressionnante et qui ne se laisse pas aller à la facilité. C’est une espèce de montagne russe de mélodies: on ne va pas se plaindre à l’époque du sound design si cher à Hans Zimmer ou Christopher Nolan. Ici, il y a du cœur et un véritable orchestre en extase devant l’énergie de la composition. Une belle surprise.

Tout comme la dernière bande son du dernier Mission Impossible. Là encore, on retrouve un musicien face à un monument sonore et doit faire face à toute une mythologie bien réglée. Comme pour les précédents disques cités, on devine un cahier des charges imposant et le compositeur doit comme il peut s’adapter. Lorne Balfe n’a peut être pas les épaules pour imposer ses épaules à Tom Cruise et sa saga trompe la mort mais il faut avouer que pour son deuxième essai, sa bande originale a le grand mérite de surprendre.

L’Écossais réussit l'exploit de s’installer comme un vrai cascadeur sur une ligne de crête entre entre sound design et vraie musique immersive. Sur presque deux heures, Lorne Balfe met donc le thème de légende sous stéroïdes avec des idées modernes mais aussi un classicisme qui intervient de la plus belle des manières.

C’est la bande originale bien tendue et si vous faites des balades en montagnes ou des treks en tout genre vous pourrez vous prendre pour un aventurier, un plombier ou un espion… La vie rêvée des vacanciers peut passer par ce genre d’idée: de la BO pour s’évader en grand!

Exposition Ramsès & l’or des Pharaons, Grande Halle de la Villette

L'exposition Ramsès & l'or des Pharaons, depuis le 7 avril 2023 à la Grande Halle de la Villette, est prolongée jusqu'en septembre. Dépêchez-vous de ne pas y aller !

Je vous le dis franchement, les pharaons, moi je ne comprends pas. Je n'aime pas ni l'art pictural kitsch ni les tombeaux mégalos des égyptiens. Et puis, des mecs qui adoraient les chats ? Franchement !

Mais bon, pression sociale et marketing agressif obligent, ma fille de neuf ans a entendu parler de cette exposition sur l'Égypte antique à Paris, et j'ai voulu lui faire plaisir. Nous voilà partis pour la Grande Halle de la Villette.

A l'intérieur, les salles sont vastes afin d'accueillir un maximum de gogos... euh, de visiteurs. Le tarif est de 26€ par adulte et de 22€ par enfant, à partir de 4 ans, il n'y a pas de petits profits. Et si vous souhaitez imprimer vos billets, il vous faudra ajouter 1,50€ pour les frais (quels frais ? on se le demande puisque c'est mon imprimante qui tourne !).

Grandes sont les salles donc, mais petite est la collection d'objets présentés.

Pour faire diversion, les organisateurs ont recours à quelques vieux trucs. Tout d'abord, ils mêlent aux antiquités des éléments de décors en carton-pâte. C'est tellement moche qu'on se croirait dans la fille d'attente du manège Oziris du Parc Astérix.

Ils multiplient également les photos et les films (avec des animations bas de gamme à la clef).

Ensuite, ils cherchent à créer un suspens assez bidon sur le thème Est-ce que le cercueil de Ramsès II a été retrouvé ? A votre avis ? Réponse dans la dernière salle de l'exposition, aussi décevante que le reste.

Enfin, clou du spectacle et moyennant un supplément tarifaire de 20€ par personne, "L’exposition propose au visiteurs une expérience de réalité virtuelle immersive présentant les monuments sans doute les plus impressionnants de Ramsès II : les temples d’Abou Simbel et la tombe de la reine Néfertari. Le fantôme de celle-ci accueillera le visiteur et l’entraînera à travers une aventure palpitante".

L'exposition Ramsès & l'or des Pharaons aurait pu s'appeler "l'Exposition Ramsès & les c... en or de ses organisateurs " !

PS: l'avis de ma fille sur l'expo : "J'avais envie de voir l'expo parce qu'ils en avaient parlé dans Salut l'info et qu'ils disaient qu'il ne fallait pas rater la dernière salle de l'expo sinon on risquait de manquer quelque chose. J'ai cherché, en vain, et j'ai été déçue ! Je pensais que c'était mieux que ça."

Expo Ramsès
Grande Halle de la Villette, Paris 19ème
TP 26€ | TR 20€

le son des vacances : Nils Lofgren, Julie Byrne, Faut que ça guinche au stand d’escargot !

Bon. Nous sommes en vacances. On est parmi la masse de personnes qui ne veulent plus rien faire pendant trois semaines minimum. On veut bien faire un effort pour la fête du village, la brocante des gentianes ou la vente de vêtements en laine de lama. Moi, j’avoue beaucoup aimé le petit stand de dégustation d'escargots !

Quand on en est là généralement, cela veut dire que la tête est enfin bien aérée ! En fait, cela fait du bien de papoter de menus problèmes avec des gens que l’on ne connait que depuis quelques instants parce que l’on reluquait ensemble cette compotine d’escargots au pesto !

Souvent on se dit c’est si simple. Le plaisir d’un échange sans fioriture. L’humilité, ce n’est pas si mal. Je pense que je pourrais partager quelques gastéropodes avec Nils Lofgren. Il faut dire que le musicien a toujours été à l’ombre des géants et chez lui, le succès a surtout renforcé sa discrétion. Et son talent !

Complice de Neil Young, mais aussi de Bruce Springsteen, Nils Lofgren a aussi réalisé pas mal d’albums et, toujours, avec une solide conviction d’un folk rock boisé et très classique. Ce qui n’est pas forcément un mal. Autour de sa petite dégustation de rock, on reconnait des têtes comme Ringo Starr, Ron Carter ou le regretté David Crosby. Et bien entendu le Loner.

Ça n’empêche pas ses propres compositions d’exister. En effet l’air de la montagne inspire le chanteur, ravi de continuer un rock flamboyant et pourtant presque timide. Pour la surprise, il faudra repasser. Pour le plaisir, installez vous à sa table et appréciez la sagesse tranquille d’un fin gourmet de la guitare.

A mon stand d’escargots à déguster sous toutes ses formes, vous trouverez aussi la nymphette qui va attraper la bête du bout des doigts. Elle aura peut être le charme de Julie Byrne, nouvelle sensation de la folk pour médias en mal de Lana del Rey.

C’est en fait une petite nana du terroir mais elle a aussi tout compris des réseaux sociaux. Moderne et folklorique en même temps. Elle plaira facilement à tout le monde avec une voix claire mais androgyne.

En allant chercher le producteur de Sigur Ros, la jeune femme soigne l’ambiance et l’idée d’expérience. Effectivement il y a du violon qui berce et un ton qui fait réfléchir mais tout ça dans une ambiance estivale quasi mélancolique.

The Greater Wings sort au bon moment. La tristesse devient mélodique et les arrangements sont beaucoup plus rafraîchissants que le spleen apparent. Julie Byrne a tout de l’amour d’été. Mais ce n’est pas gagné avec une haleine d’escargots à l’ail !

Ok, ça ne dérangera pas les Grenoblois de Faut que ça guinche. Ils animeront certainement la fête du village mais en attendant, ils ne seront pas contre une pincée de beurre d’escargots persillés pour faire passer le goût de la bière brassée à la langue de chèvre…

Avec eux, le bon goût est catapulté tout en haut d’une montagne. La nymphette sera draguée lourdement et un clin d’œil complice fera taire le vieux sage qui a connu les plus grands. Avec un culot de punk, les amis de Faut que ça guinche grattent l'amitié avec la délicatesse d’un mec bourré mais aussi le talent de musiciens ouverts sur le Monde.

Version alpine de Marcel et son Orchestre, les six zouaves savent faire tourner le sens du vent en leur faveur : leur musique est festive mais cache pas mal de nuances qui apparaissent au fil des écoutes.

Les bourrins ont toujours une conscience et l’énergie du groupe gagne les cœurs. Il y a une espèce de candeur juvénile dans leurs titres enjoués. Ça milite avec un sens du partage assez rassurant. Ça fait les cons avec une complicité qui fait tellement du bien à entendre.

Ils mettent une ambiance incroyable et surtout amusent à choquer le bourgeois avec une vieille formule qui conserve son charme et un humour vachard. Ils ont peut être saccagés mon stand d’escargots mais ils ont le mérite de nous réveiller de cette torpeur estivale !

Nils Lofgren - Mountains
Julie Byrne - The Greater Wings
Faut que ca Guinche - 6e Sens

Ce matin, un lapin… Antti Tuomainen, 10/18

Henri est un matheux un peu autiste sur les bords. Alors qu'il vient de perdre son job d'actuaire dans une compagnie d'assurance, il hérite d'un parc de loisirs plein de surprises.

Henri réduit tout au raisonnement mathématique (c'est le running gag du livre...). "J'avais juré très jeune que ma vie se fonderait sur la raison, la planification, le contrôle et l'absolue nécessité de regarder la réalité en face et de toujours peser avec soin le pour et le contre. Dès l'enfance, j'avais vu dans les mathématiques la clé pour y parvenir. L'humanité était traîtresse, pas les chiffres. Le chaos régnait autour de moi, eux étaient garants d'ordre." (page 73)

Henri va à l'essentiel et ne s'encombre ni de possessions matérielles superfétatoires ni de relations humaines qui ne seraient pas strictement indispensables. Sa vie est bien rangée, et cela lui convient très bien : " Je trouvais plutôt inutile, dans la vie, d'aller au-devant des difficultés ; elles vous trouvaient bien assez vite d'elles-mêmes. " (page 61)

Lorsqu'il se retrouve soudainement chômeur puis propriétaire d'un parc d'aventure (pas un parc d'attractions, nuance), il pense naturellement gérer l'entreprise de façon rationnelle, comme il résoudrait "une complexe équation tridimensionnelle" (page 283). Mais évidemment, sa vie paisible va se retrouver bouleversée par l'aventure. D'ailleurs, au début du livre commence tandis qu'un "homme lourdement bâti, un gros balèze vêtu de noir " (page 13) le poursuit dans le dédale du parc. Et ce n'est que le début !

Malgré les tentatives (pas toujours réussies) de l'auteur de créer du suspens et de l'action, la lecture de ce livre ne recèle pas de grandes surprises. Les méchants sont caricaturaux, le personnage principal aussi et l'on n'est pas du tout surpris que sa rationalité se fracasse sur la réalité (y compris la réalité des sentiments).

Ce n'est certes pas désagréable, c'est même assez drôle mais pas passionnant non plus ; on est dans le pur divertissement. Ça fait penser à une série scandinave un peu cheap du genre de celles diffusées sur Arte. D'ailleurs, on sent bien que l'auteur - Antti Tuomainen - verrait bien son livre adapté à l'écran, fut-il petit. En témoignent, outre le fait qu'il termine son récit sur une fin ouverte, sa propension à remplir des pages de dialogues et à multiplier les gags macabres.

Ce matin, un lapin est le premier volet d'une trilogie. Personnellement je m'arrêterai là.

Paru en poche le 1er juin 2023
10/18 Polar
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

384 pages / 8,90€l

Il Boemo, Petr Vaclav, Nour films

La vie de Johnny Depp n’a rien à envier à celle de Josef Myslivecek ! Comme le célèbre Amadeus de Milos Forman, la vie des compositeurs poudrés ressemble beaucoup à celle des rock stars ! Scandales, frasques, misère et un peu de joie tout de même. Fascinant.

Le Tchèque Petr Vaclav a une passion pour ce compositeur méconnu mais qui a inspiré Mozart. Il avait fait un documentaire et désormais Il Boemo a son film pour une solide réhabilitation de son génie.

Arrivé à Venise, ce jeune Tchèque va connaitre la gloire et la décadence en quelques années. Il découvrira le prix du succès et aimera beaucoup de femmes et mourra douloureusement de la syphilis.

Finalement nous sommes sur un biopic assez classique avec une type qui part de rien, qui arrive à tout et qui finit par devenir un paria, perdu dans l’oubli. Alors, le réalisateur lui offre un film épique.

Nous sommes pourtant dans les salons feutrés. Les regards des uns et des autres sont des missiles à longue distance. Les masques cachent les pires veuleries. Les parties de jambes en l’air sont des opportunités sociale et artistiques.

Très vite le jeune Myslivecek va comprendre les règles du jeu, mais la partie va se révéler plus dangereuse que prévue. L’artiste face à l’aristo : le refrain est connu mais le traitement sec du cinéaste fait de Il Boemo, une œuvre assez incorrect.

Le film parle bien entendu du rôle et de la condition de l’artiste et fustige dans des scènes rudes les élites, bien installées dans la médiocrité et le snobisme. Plus attentif, on devine aussi de magnifiques portraits de femmes autour du musicien.

Comme lui, elles semblent prises au piège dans une société sclérosée. En 2h20, Petr Vaclav installe un puzzle qui finit par être angoissant car il répond pièce par pièce à une autre époque, la nôtre.

Heureusement, il y a toujours la musique. Le lyrisme transpire finalement de la musique vers la mise en scène. La douceur des images n’est qu’un leurre. Elle évite de nous manger la méchanceté en pleine face. Il Boemo n’est pas du tout classique : c’est une trappe qui nous fait tomber dans un charmant bain musical et un constat amer. Mais tant qu’il y a la musique…

Au cinéma le 21 juin 2023
Avec Vojtěch Dyk, Barbara Ronchi et Elena Radonicich
Nour films – 2h20

Mission: Impossible – Dead Reckoning Partie 1,Christopher McQuarrie, Paramount

Tom Cruise sauve le monde encore une fois mais il le fait désormais avec une classe unique à Hollywood. 

A Los Angeles, c'est la panique dans tous les studios de cinéma. Ils accumulent le bides et leurs blockbusters sont totalement conspués. C'est souvent mérité ! En plus les scénaristes et les acteurs sont en grève. 

Et puis arrive encore une fois de plus Tom Cruise ! Après Top Gun Maverick, le scientologue apparaît comme le vengeur des films faciles et des gros budgets frileux. A 60 ans, il a encore l'intention de mettre des fessées au super héros idiots. On le remercie.

Ce nouveau Mission Impossible assume clairement cette rupture: Ethan Hunt, agent tourmenté après six films, doit affronter une intelligence artificielle. Tom Cruise ne veut pas d'un véhicule fade écrit par des algorithmes. Il veut de la passion, donc de la cascade folle et des rebondissements constants. Ce nouvel opus n'en manque pas. Puisque James Bond est mort, Ethan Hunt met les bouchées doubles pour ne pas tomber dans un piège mondial qui se sait kitsch mais qui fait tout pour être jouissif.

Le scénario est absurde mais offre des pirouettes scénaristiques qui ne déplairaient pas à Brian de Palma, le réalisateur du premier volet il y a des lustres déjà !

Faux semblants et usages de faux font le plaisir de ce nouveau Mission Impossible qui propose un rythme incroyable tout en évitant d'oublier l'ego de la star qui lutte contre le temps et s'offre tous les défis.

Mais il y a moins de mégalomanie chez Tom Cruise: désormais on assiste à une espèce de masochisme charnel du comédien avec sa légende. Le temps passe et il continue de multiplier "en vrai" des défis fous qui deviennent les climax de ses œuvres.

Il fait penser à Jackie Chan avec cette orgasme cinématographique qu'il tente de donner à force de d'outrances et un aspect trompe la mort. Le digital est atténué et l'humain trouve sa place dans le jeu du chat et de la souris que l'on pourrait rebaptiser Attrapé Moi Si Tu Peux.

Ce nouvel opus surprend aussi par ma féminisation des personnages. Les femmes entourent le héros et surtout ont les clefs d'une intrigue qui les met en valeur. Le réalisateur ne lâche jamais cet aspect et cela rend ce film plus ouvert que les autres, beaucoup plus testeronés !

Après tous les nanars que l'on a essayé de nous vendre ces dernières semaines, Mission Impossible Dead Reckoning Partie un (tout un programme, non?!) est au plus près de ce que l'on attend d'un bon blockbuster: du divertissement avec un peu d’âme.

Au cinéma le 12 juillet 2023
Avec Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Vanessa Kirby et Hayley Atwell
Paramount -2h43

Et du ciel tombèrent trois pommes, Narinai Abgaryan, 10/18

Dans un passé relativement récent, Anatolia - une vieille arménienne amoureuse des livres - se couche pour mourir. Mais la mort ne vient pas...

Alors, la grande faucheuse refusant de la prendre, Anatolia rêvasse dans son lit à l'histoire de sa famille et à celle de son village perché dans la montagne. Enfin, par dépit, elle se lie avec son voisin, un colossal forgeron capable de tuer un bœuf d'un seul coup de poing.

Narinai Abgaryan signe un roman sur la campagne arménienne, une campagne pittoresque et rude mais dont les habitants se respectent et s'entraident. Pour faire plus vrai, l'autrice en rajoute sur le côté pittoresque et authentique et multiplie les détails :

" (Chouchanik avait) reçu la meilleure dot constituée de trois tapis, deux coffres à linge , une parcelle de terre fertile, trois vaches, une truie reproductrice et vingt poules pondeuses, ainsi qu'un tas d'or si lourd qu'elle se serait littéralement cassé le dos si elle avait entrepris de le porter. Magtakhinai, quant à elle, reçu une dot deux fois moins importante, et des bijoux en argent plutôt qu'en or." (page 60)

L'éditeur nous parle de "récit universel" ; il est vrai que, lorsqu'on succombe aux clichés, rien ne ressemble plus à la campagne profonde que la campagne profonde. Dans ce livre, les gitanes sont voyantes (forcément!) et les campagnards n'ont pas oublié les croyances ancestrales et voient des choses que nous, citadins modernes, avons perdu de vue.

Si vous aimez les histoires de villages, de marché et de prophétie, vous trouverez ce livre dépaysant et exotique (la traductrice ponctue d'ailleurs habillement le texte de mots arméniens). Moi, sincèrement, ça me passe totalement à côté et je n'ai pu en finir la lecture.

Parution le 17 mai 2023
chez 10/18, Littérature étrangère
Traduction (russe) Ekaterina Cherezova
360 pages / 8,60€

Vers un avenir radieux, Nanni Moretti

Nanni Moretti nous emmène dans son monde, un univers fait de petites manies qui virent parfois à l'obsession et de petits plaisirs consolateurs.

J'aime bien Nanni Moretti, son oeil vif, sa poésie, sa diction parfaite (il faut absolument voir ses films en version originale !). Ce réalisateur me fait rire, j'aime son humour décalé et empreint d'anxiété. Quand je bois un verre d'eau fraîche après un expresso, je pense toujours à la scène finale de Journal intime, un film de 1994 (quasi 30 ans, déjà !) auquel Vers un avenir radieux fait de multiples références. Nanni Moretti c'est mon enfance, mon Italie de rêve.

À l'annonce de son nouveau film, je me demandais : Est-ce que ce réalisateur vieillit bien? Ou est-ce qu'au contraire il tourne mal comme Woody Allen (autre idole comique de mon enfance, quand ma maman m'emmenait voir Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe)?

Dans Vers un avenir radieux, comme à son habitude, Nanni Moretti se met en abime en filmant un tournage et en digressant sur ses difficultés à réaliser un film. Ici, son personnage (lui-même, donc) s'est mis en tête de faire un grand film sur la grande époque du PCI (le Parti Communiste Italien qui, dans les années 50 regroupa jusqu'à 3 millions d'adhérents !). Mais c'est sans compter sur mille embuches qui se dressent sur son chemin : un producteur véreux (Mathieu Amalric), une épouse lassée, un gendre inattendu et surtout, surtout, une comédienne qui porte des mules. Des mules, rendez-vous compte, quelle horreur !

Pendant une heure et demie, Nanni Moretti nous amuse de son caractère ridiculement angoissé et intransigeant, mêlé à une capacité à apprécier les petits plaisirs de la vie (regarder des films en mangeant des glaces, chanter des chansons ou déambuler dans une ville qu'on aime - en l’occurrence Rome).

En plus de cette leçon de vie, Nanni Moretti nous donne une belle leçon de cinéma, rendant hommage à un cinéma à l'ancienne, avec de vrais décors. Il fustige la facilité qui consiste à se vautrer dans la violence gratuite et la pauvreté des récits proposés par les plateformes de diffusion (cf. la scène désopilante du rendez-vous chez Netflix).

Certes, j'aurais préféré que le film s'arrête dix minutes plus tôt ; sur cette magnifique scène tourbillonnante. Reste que j'ai pris beaucoup de plaisir à visionner ce film rafraichissant.

Mais je suis rassuré : la magie Moretti opère encore !

Il sol dell’avvenire
au cinéma le 28 juin 2023

La Pagaille ! Cendrars, Pick-Prince, Théâtre des Lucioles

Adapter un texte assez peu connu de Blaise Cendrars semblait un pari. Réussi. Que ce soit par la mise en scène ou le jeu des acteurs, La Pagaille ! nous emporte.

Il fut l’un des grands poètes du XXe siècle, figure atypique, visage improbable et grande gueule au parcours peu commun. Voyageur (il suffit de lire et relire La Prose du Transsibérien), ce suisse prit en 1914 un engagement surprenant. Lorsque de nombreux artistes étrangers se cachèrent, refusèrent de se battre, privilégiant leur travail et ne prenant pas de risques, voici que ce jeune homme lançait, très peu de temps avant la grande boucherie, un appel aux autres venus d’ailleurs. Sa requête ? Qu’ils viennent défendre ce beau pays qui les avaient accueillis et qu’ils chérissaient. Plus de 80 000 hommes l’écouteront et le suivront. Lui optera pour la Légion étrangère et y perdra son bras droit, désormais partie inhérente de son image de poète. Et il déchantera très vite : incompétence, bêtise, brutalité, mépris, les chefs attireront vite sa colère. Quelle déception. La guerre, dira-t-il, « a changé ma vie ».

Plus tard, il écrit La main coupée, dont est tirée cette belle pièce, La Pagaille !

Signalons d’abord la mise en scène, impeccable, ce qui est rarement le cas dans une toute petite salle. Il pourrait y avoir de l’improvisation, des maladresses, de mauvais éclairages, des décors plus que minimalistes. Il n’en est rien. Certes, il n’y a pas de coulisses et les comédiens se changent non loin du public. Mais les quatre acteurs ont le sens de la scène. Leurs déplacements, leurs différents rôles, leurs voix, permettent d’aller au-delà du tragique. Bien sûr, ils ont peur et mal, mais sans faux pas.

Si Jacob Porraz a parfois une diction étrange, un peu hésitante et paraît moins à l’aise, les trois autres nous emportent. Mention spéciale à Gilles Vajou, caméléon doué, au parcours appréciable. Excusez du peu, il a travaillé avec Jean-Michel Ribes et la Royal Shakespeare Company. Quand les autres comédiens interprètent le vaillant soldat, enthousiaste puis fatigué ou craintif, allongé et visant l’ennemi, lui campe des officiers de tout grade, tous aussi incompétents et minables les uns que les autres. Avec, osons le dire : une certaine gourmandise.

Il est fréquent de penser que seules les grandes salles font travailler de grands comédiens et metteurs en scène. Ceux-ci prouvent que ce n’est pas toujours le cas.

A voir jusqu’au 29 juillet 2023 à Avignon, à 13H45, sauf les mercredis
Théâtre les Lucioles
1h20, dès 12 ans

Mise en scène : Ariane Pick Prince
D’après La Main coupée de Blaise Cendrars

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