C’est l’argent qui fait la guerre / Mira LEON / (Kyrone – 2006)
Premier album réussi pour Mira Léon qui nous emmène dans un monde musical méditerranéen festif.
Mira Léon nous présente donc un album très bien produit qui alterne des musiques qui incitent à la danse, à la bonne humeur malgré un titre d’album qui pourrait paraître un peu moralisateur « c’est l’argent qui fait la guerre », et des mélodies plus calmes comme Kiss me cherie, La Fiaba di trilli e pan ou Le rêve d’Orient. Les gimmick jouent efficacement leur rôle et l’oreille reste souvent accrochée aux rythmiques.
L’ensemble des morceaux est composé de cuivre et de percussions très orientales qui donnent à l’album une couleur festive quand ce ne sont pas simplement les bruits de claps de mains qui mènent la danse, couleur flamenco. Mira Léon n’hésite pas à ajouter des cris lointains aux sonorités espagnoles et gitanes, entre programmation et voix naturelle (Chanson). Vous l’aurez compris, ça bouge beaucoup chez Mira Léon, qui n’hésite pas à agrémenter ces sonorités de beat binaires bien connus des danseurs de boîte de nuit mais si efficaces pour celui ou celle qui a envie de danser !
Entre danse et folie, on sent que Mira Léon s’amuse dans Lara notamment, où celui-ci compare sa Lara à une boisson de l’amour sur un rythme cuivré endiablé… Trompette en contre champ et percussion cubaine au lointain… Comme dans Tarabanda, on sent que c’est dans l’extravagance et la prise de liberté que Mira Léon est le plus à l’aise. On ressent cette envie de partager de la joie et les cris. Mira Léon chante, parle et nous donne donc à partager ses moments de vie. Le Vin Joyeux nous fait entendre une simple voix peut-être avinée sur un air d’accordéon… Tout est possible.
Ici la vie semble se vivre à 100 à l’heure autour de thèmes comme l’amour et la danse et ce, quelle que soit la langue utilisée, italien, français ou espagnol. Les amateurs de voix éraillée et de danses noctambules sortiront ravis de cette écoute !
Sites officiels : http://www.myspace.com/miraleonhttp://www.kyrone.com/
Sébastien Mounié
© Etat-critique.com - 29/01/2008
Higelin au Bataclan
Etat-critique.com était au concert de Jacques Higelin le 20 octobre 2007 au Bataclan. Photos d'un Frère Jacques loin de s'endormir : trois rappels et plus de deux heures de concert... De quoi en réveiller plus d'un...
Photos de Sébastien Mounié © Etat-critique.com
Sur nos forces motrices / Dominique A / (Cinq 7 – 2007)
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TA PAROLE 2007 / Photos de BISTANCLAQUE, LOU CASA, JOYET, LAFORE
Etat-critique.com était au Festival Ta Parole 2007 à Montreuil... Photos d'un festival haut en couleur... Deuxième jour (suite)
Bistanclaque en dernière formation... Renaud et Eric prennent des routes différentes pour quelques temps...
David Lafore trois têtes
Bientôt la suite avec le dernier jour du festival...
Photos de Sébastien Mounié
Bertrand Belin / Bertrand BELIN / (Quai de Scène / Sony Music – 2004)
Oui, je sais, on n’est plus tout à fait dans l’actualité brûlante avec ce disque sorti à l’orée de 2005. Quoique…
Lorsque l’intemporalité est aussi flagrante, lorsqu’on est convaincu d’avoir entre les oreilles quelque chose d’aussi unique, d’aussi fort… Que pèse l’actualité face à l’universalité d’une œuvre qui durera ? La seule urgence qui compte pour le moment, c’est de réparer l’incroyable erreur de n’avoir pas su vous parler, dès qu'il vit le jour, de ce parfait bonheur musical et poétique.
Retard qui nous aura au moins permis de soumettre au test du temps qui passe (et qui souvent efface) ces douze chansons.
Conclusion : leurs effets enthousiasmants, trois ans après leur enregistrement, continuent d’aller croissant.
Ce qui est assez rare ; et avec plusieurs centaines de chroniques d’albums au compteur, votre serviteur est bien placé pour vous assurer que le tri a posteriori entre le persistant et le non-persistant aboutit inexorablement à la constitution de deux tas de tailles malheureusement très inégales…
Guitariste recherché depuis qu’il a quitté son Quiberon natal pour Paris, Bertrand Belin a mis depuis quinze ans l’incomparable son claquant de sa guitare Fender Telecaster ‘77 au service de nombreux groupes et artistes : des cajun-zydeco Stompin’Crawfish, aux géniaux Sons Of The Desert, en passant par la folle Trabant (groupe à taille variable, emmené par l’ex-VRP Sébastien Libolt) ; il continue par ailleurs de cachetonner régulièrement derrière Bénabar (tout point commun s’arrêtant heureusement là…). À côté de toutes ces expériences en tant que musicien, quatre années (deux albums et des concerts) auprès du Néry (encore un ex-VRP) lyrique de la dernière mouture lui ont affermi la plume, l’orientant vers une approche poétique originale et précise.
Et pour emballer le tout, une voix de crooner romantique comme on n’en fait plus, superbement timbrée, douce, flatteuse, envoûtante…
Porto, qui ouvre l’album et qu’on peut prendre pour référence, est ce qu’on appelle une chanson parfaite, un petit miracle plein d’images, d’ambiances et d’odeurs sur une mélodie inouïe, des ponts étonnants, un tempo délicatement chaloupé… Beau à pleurer. Et j’ai pleuré. Sans savoir pourquoi. Juste parce que c’est beau. Et enivrant. Le vin, l’ivresse, quasi-omniprésents au fil des titres (on ne dit pourtant pas "beurré comme un p’tit Belin"), contribuent à l’impressionnisme mélancolique de l’ensemble, fait de noires romances, d’énigmatiques histoires et de nostalgiques souvenirs embrumés. Tout ceci trempé dans de subtils arrangements musicaux où piano, cordes, cuivres et sèche batterie viennent appuyer la fameuse Telecaster au son mat qui mène allègrement le bal.
Un fabuleux voyage. Un fabuleux artiste. Une fabuleuse découverte. Forte et persistante comme un bon vin de Porto.
Roland Caduf
Eurovision 2007
Il m’a fallu plus d’une semaine pour digérer l’Eurovision 2007. C’était un samedi soir. Un samedi soir de chronique, un samedi soir de comiques. La Télé. Télé. Insignifiant comme nom. Une lettre. T. Et un adjectif mal prononcé. Laid. Seuls les gens du sud avec un accent en comprennent le sens profond… Vision fantasque d’une soirée qui navigue entre rêve suranné et ovni d’une galaxie Gutenberg méconnue. Drôle de figures. Entre Freaks de Tod Browning et les Schtroumpfs de Peyo. Leur étoile a dû imploser et ils sont venus peupler nos ondes en espérant qu’on les adopte.
Culture populaire du rien et de l’indicible. On essaie de se prêter au jeu. Comme au tirage de la loterie nationale. On invente rapidement le numéro de la boule avant qu’elle n’apparaisse à l’écran. On joue nous aussi jusqu’au moment où une voix pulpeuse nous ramène à la réalité du monde. Tu n’as rien. Tu n’as rien trouvé. Tu as perdu. Les boules n’étaient que des boules. On se console en disant qu’on a bien fait de ne pas avoir joué car on aurait perdu. La preuve. Epiphénomène d’une excitation. Les autres pleurent car ils ont trouvé tous les numéros ce soir-là mais n’ont pas joué. Ils peupleront pour certains la rubrique nécro du quotidien régional… Ce soir-là, ce sont les mômes qui sont contents. Ils sont encore dans le jeu. Pas d’argent dans la tête. Eux seuls comprennent qu’il faut le prendre comme un rien, comme un temps volé incompréhensible.
Ce soir-là, dans les familles de France, on prend une petite feuille et chacun face à son poste note désormais chaque groupe passant à la T-lé. Lequel vais-je adopter ? A qui vais-je faire honneur ce soir ? Qui va recevoir mon dévolu ? Que je me sens bien. Ces êtres enfermés dans cette petite boîte en deux dimensions. Je me sens roi, je me sens reine. Le spectateur est roi. Coup de bol, ce soir la Cour des Miracles a donné ce qu’elle a de meilleur. Il y a du Gwynplaine, de l’Homme qui rit, de l’Esméralda en toc, du troubadour de premier choix, du mégalo-paillette. Comment ont-ils fait pour les réunir ? Comment en est-on arrivé là ? Quelle chance pour moi. C’est inespéré.
Ca commence. Pas de voix pulpeuse. Deux voix masculines. Un certain Tex. Et « Le Perse ». Encore deux extra-terrestres. La soirée s’annonce belle. Je ne me trompe pas. Les calembours s’enchaînent avec une dextérité plus ancienne que celle du 18ème siècle. J’admire Tex. Comment a-t-il fait pour réactualiser trois siècles de calembours tombés dans l’oubli ? Il y a trois siècles, pour des mots d’esprit aussi recherchés en prime time, il aurait fini au bout d’une corde. Ce soir il triomphe. Le chanvre n’existe plus. Pirouettes de mots, volutes phonétiques nauséabondes, tout passe. « Le Perse », gladiateur renommé approuve. Ca applaudit de plus belle. « Le Perse » est un joueur friand. Pour le plaisir. Pour la facilité. Le Perse, animal de télé, montre sa supériorité en traduisant les calembours puants de Tex. Ce soir, tout le monde est fier. Ca sent la préparation et le spectacle de grande qualité.
Les artistes défilent, formatés pour l’écran. Tous essaient d’imposer leur temps et leur espace en quelques minutes. Droit au but. La visite du zoo est splendide. La magie fait effet. On aime tous la lenteur de l’éléphant et la rapidité du singe réunies dans un même lieu. Au programme ce soir, je relève :
1 Bosnie-Herzégovine Maria ŠESTIÆ, Rijeka Bez Imena
2 Espagne D'NASH, I Love You Mi Vida
3. Belarus Koldun, Work Your Magic
4 Irlande DERVISH, They Can't Stop The Spring
5 Finlande Hanna PAKARINEN, Leave Me Alone
6. Macédoine Karolina, Mojot Svet
7. Slovénie Alenka GOTAR, Cvet Z Juga
8. Hongrie Magdi RÚZSA, Unsubstantial Blues
9 Lituanie 4FUN, Love Or Leave
10 Grèce Sarbel, Yassou Maria
11. Géorgie Sopho, Visionary Dream
12 Suède THE ARK, The Worrying Kind
13 France LES FATALS PICARDS, L'amour À La Française
14. Lettonie BONAPARTI.LV, Questa Notte
15 Russie SEREBRO, Song #1
16 Allemagne Roger CICERO, Frauen Regier'n Die Welt
17. Serbie Marija ŠERIFOVIĆ, Molitva
18 Ukraine Verka SERDUCHKA, Dancing Lasha Tumbai
19 Royaume-Uni SCOOCH, Flying The Flag (For You)
20 Roumanie TODOMONDO, Liubi, Liubi, I Love You
21. Bulgarie Elitsa TODOROVA & Stoyan YANKOULOV,Water
22. Turquie Kenan DOĞULU, Shake It Up Shekerim
23 Arménie Hayko, Anytime You Need.
24. Moldavie Natalia BARBU, Fight
Je décerne des points et je paye par sms ou téléphone. C’est mon écot. 24 artistes venus pour représenter leur étoile et ce qui se fait dans leur contrée.
La contrée France est représentée par Les Fatals Picards. Un groupe d’artistes qui traverse de long en large la campagne française depuis des années. Bien connus pour leurs délires scéniques dans l’excès et le décalage. Les costumes ont été fabriqués par Jean-Paul Gaultier nous répète quatre fois « Le Perse ». Cela tombe bien, ce n’est pas un défilé de mode. Mais Jean-Paul est décalé. Le monde et ses 120 millions de téléspectateurs attendent les tri-o-lets, les blan-ches, noire, noire, blan-che, et du vivant. Le commentaire de « Le Perse » est réaliste, conformiste, décevant. Moi je veux de l’outrance ! Du rose sur les costumes pour l’ "Amour à la française ", jusque là rien de bien anormal. Un animal noir en peluche sur une épaule. Ah ! Enfin du toc ! Le zoo a lâché les fauves. Le feu va prendre et les bêtes s’effrayer. Ca va détaler pour sauver sa peau. Courir pour gagner sa pitance. Cheveux gominés et regard de merlan frit. Musique gnan gnan en autodérision avec un texte à la « It is not because you ah ah » du feu extra-terrestre Renaud. La bête court après la caméra, un peu effrayée mais c’est un feu de paille. L’immolation du plateau n’a pas lieu. Le ridicule prend moyennement. L’autodafé est un pétard mouillé. Où sont les Fatals ? Mangés par la machinerie. Les quatre coins de l’écran ont rationalisé l’étrangeté du vivant. Ils ne mentent pas assez pour écraser l’industrieuse télé. Ils nous ressemblent presque. On aurait dû envoyer Didier Wampas comme m’a dit Roland Caduf récemment. Le Wampas est un fauve imprévisible. De quoi se payer une bonne tranche de rire ! De quoi faire courir les caméramans et placer les commentateurs en mauvaise posture ! Du risque !
Avant, après. La parade avance inexorablement. Boule suivante, le 17. « Madame est Serbie » lance Tex. Le chanvre n’existe plus. Au 17ème siècle en Angleterre, on enroulait certains individus dans de la toile enduite de goudron. On dressait une potence sur la côte britannique, et on y laissait le gibet danser au vent. L’individu, relique du mauvais goût, décourageait les plus redoutables… Dieu merci, on a gagné en humanité. Sacré Tex. T'as de la chance. Marija Serifovic a une puissance vocale qui décoiffe. Derrière, ses chœurs ont des coupes de cheveux bétonnées. Du classique hors-norme, de la nougatine galactique. De gigantesques pièces montées fardées de cosmétique. Devant, Marija, ramassée sur elle-même se lance dans le mélodramatique. On y croit presque. Ca sent le mensonge. C’est bon.
Boule suivante, le 18. Le tirage est imprévisible. Toutes les boules arrivent dans l’ordre ce soir. Il n’y aura pas de gagnants, je le sens. Ce n’est pas possible, le jeu est truqué. Que font les huissiers ?
18. La comète. Celle qui ne passe que tous les 8 ou 10 ans. Verka SERDUCHKA. L’Ukraine. Une étoile jonchée sur la tête, combinaison en alu, de faux seins proéminents en ogive qui agressent l’oeil, présentée comme un travesti célèbre par « Le Perse », Verka s’éclate. Décidée à s’amuser plus qu’à porter la parole de sa nation, sur un rythme binaire, Verka danse. Dans l'excès et la démesure. Vous voulez du ridicule, je vais vous en donner. Vous voulez du visuel, du cul et du flashy ? Ca tombe bien, on a beaucoup travaillé pour arriver là. Le public danse debout à Helsinki. Verka a vu juste. Nous sommes au sommet. L’Eurovision est là.
J’éteins la T-lé.
En fin de soirée, j’apprends que les Fatals Picards sont presque dernier et que Verka est seulement deuxième. J’ai encore perdu, je pensais qu’elle arriverait première. Mais alors qui est le gagnant de cette mascarade 2007 ? Marija Serifovic, « Madame est Serbie » gagne pour la première fois l’Eurovision. Tex est content. Il a mérité amplement son salaire.
Le lendemain, j’apprends que Marija Serifovic aurait gagné avec un morceau plagié sur l’Albanie. Bienvenue dans la galaxie Gutenberg ! Ca, c’est du bon. L’apogée du non-sens.
sur Youtube : film
Le dernier couplet de sa chanson dit :
" Mais je ne peux mentir à Dieu
pendant que je prie
et je mens si je dis
que je ne t'aime pas "
Je suis rassuré, elle mérite amplement sa place. Tout le monde a menti. Même le temps m’a fait croire qu’il était avec moi ce soir.
Sébastien Mounié © Etat-critique.com - 22/05/2007
Radio Cortex / R-WAN / (Makasound / Black Eye – 2006)
Premier album en solo pour le chanteur de Java et toujours la même volonté de décoiffer avec humour ! On en redemande !
Si vous ne connaissez toujours pas Java, il serait temps, entre rap, reggae et urban musette, Java, c’est un peu les rescapés du bal musette version vingt et unième siècle avec accordéon en fond et rythme dansant en avant.
Le troisième album de Java se faisait attendre et voilà que son chanteur R’Wan sort un album solo « Radio Cortex » avec un label indépendant Makasound / Black Eye. Un album concept autour de la radio qui permet à R’wan d’explorer notre monde et de continuer à clamer ses contradictions et ses différences. Le tuner navigue et surfe sur une radio pirate qui s’ouvre à tout ; cortex et messages bouillonnent, ambiance Freestyle garantie.
L’album s’ouvre sur deux reprises réadaptées version R’Wan. La première, Radio Active, reprend le thème de petit papa Noël de Tino Rossi mais sur fond de bombe nucléaire, ce champignon qui nous pend au bout du nez… Quant à la deuxième, il s’agit de la reprise de Laisse Béton de Renaud renommée Lâche l’affaire avec un excellent remake des paroles où le verlan prend du coup un sacré coup de vieux au regard de ce nouveau langage de banlieue, de loin plus contemporain. Rire assuré : « Matte le quidam : il a les airs max à Jordan. Alors blanc bec t’aimes le basket, ben on va l’ouéj à ma façon ; j’vais juste un peu changer les règles : on est les joueurs, toi t’es l’ballon (…) »
Malgré l’annonce des 19 titres, R’Wan pirate-urbain ne nous lasse pas, alternant rythme reggae (dans A ta porte, mixé en Jamaïque avec des musiciens du cru), hip-hop, groove et même balade dans On se dit tu ?, une chanson interprétée par Maud Legenedal, une comédienne rencontrée au hasard de la vie qui nous fait entendre une douceur de voix proche du Tourbillon de la vie de Jeanne Moreau. Une belle invitée surprise.
Laurent Guéneau, ingénieur du son du fameux « Tout le bonheur du monde » de Sinsemilia notamment, donne à l’ensemble de l’album un son très cohérent malgré la diversité des musiques. Les titres sont aérés de Radio Caliente, trois morceaux en transition qui donnent une couleur chaude à ce premier opus plein de vie et d’allusions comiques propres à l’écriture d’ R’Wan. Dans C’est l’caramel sur la cerise, une chanson « ragga » très efficace et dansante qui se moque gentiment de la stupidité des textes de certaines productions zouk et reggaeton, R’Wan vient nous prôner un hymne rabelaisien et érotique, nous n’en dirons pas plus laissant libre cours à l’imagination du lecteur… Vous danserez à coup sûr. R’wan se délecte avec un phrasé typiquement reggaeton qui ne permet pas toujours de comprendre les textes mais ouvrez donc le livret, surprise garantie à la lecture… Vous y découvrirez également des dessins faites par R’Wan lui-même dans la veine Art Majeur.
Alors certes, Fixi-l’accordéoniste de Java n’intervient plus que sur Méchant p’tit bourgeois et encore en tant que réalisateur et compositeur mais R’Wan ouvre largement les horizons, en mêlant et samplant des sons contemporains comme il le fait si bien dans Java. Bruitages de jungle dans Peyotl, une chanson sur l’Amazonie mêlant de l’électro ; gimmick des Dents de la mer, parodie de Tryo, cris de James Brown dans Le recyclé composé par K-Mille-le-bassiste.
R’Wan confirme donc amplement son talent d’écriture populaire au bon sens du terme, maniant la parodie de la forme pour mieux dénoncer par le fond un climat social vivant sur le toc. R’Wan nous alerte en rythme sur ces Politiques et Manigances qui nous dirigent, ces Méchants p’tits bourgeois qui font semblant, cette banlieue dans laquelle Le Coq et la Caille cohabitent tant bien que mal…R’Wan finit l’album avec L’âge d’eau, un titre mélancolique en slam dans lequel il nous décrit un monde où la fuite reste la seule issue « j’déménage dans la nébuleuse » « Que reste-t-il ? Une bonne chemise repassée, un frigidaire bien rempli » « j’ai changé de système solaire, le vôtre me déprime ».
Pas de doute, fuite par le rire et par le slam, ce premier opus en solo plus orienté reggae et hip hop que ses productions avec Java est une vraie réussite.
PS : R’Wan est en tournée sur les routes de France avec Winston Mc Anuff et Java pour un concert en trois rounds puis avec Les Cortex Boys. Show en dance floor assuré ! R’Wan est également un artiste de scène qui se donne comme jamais sourire en coin. A découvrir.
site officiel : http://www.radiocortex.com/
Sébastien Mounié
© Etat-critique.com - 04/03/2007
Musiques de chambre / SYRANO / (Les doigts dans l’zen/ L’Autre Distribution – 2006)
Se servant des masques de l’enfance et du théâtre, Syrano chante en demi-teinte un monde à la dérive.
La pochette dessinée par Syrano lui-même représente des musiciens costumés en Pierrot, Arlequin, M. Loyal ou en poupée mais ne vous y trompez pas, l’orchestre est bien rôdé, les textes taillés au couteau et le timbre assuré. Syrano, c’est un accordéon joué par « Papa », un violon joué par « Béné-la-poupée », des chœurs et des boucles lancés par « Cherzo-M. Loyal », une guitare « Alesk, l’arlequin », un violoncelle « Thècle », une autre poupée, et une voix : « Syrano ».
Le groupe a remporté de nombreux tremplins depuis l’année 2005. L’ascension est là. Tant mieux pour les textes qui ne se cachent derrière aucun masque. Syrano vient du rap et du feu collectif Exkalibur alors on ne s’étonnera pas de la verve et de cette volonté de dénoncer les inégalités sociales. Sous des formes très diverses, Syrano lance ses textes sur des dictions rappées, slamées, frappées, clamées pour mieux crier les injustices et atteindre la liberté.
L’Ecolier ne veut pas grandir, veut garder sa candeur et prendre des gamelles à vélo, sauter à pieds joints dans les flaques et le doute. Alors quand l’album s’ouvre sur les orgues de Barbarie sur un air entraînant, la barbarie sonne différemment. A écouter d’un peu plus près, on côtoie de drôles de fantômes, des poètes auxquels on a tranché les mains, des petites excisées, des enfants affamés, des ouvriers broyés, des fanatiques et des guerriers de toutes formes. La danse macabre ne fait que commencer puisque tout est devenu spectacle ici-bas.
Syrano nous appelle à la danse mais pour mieux dépasser ces images incessantes qui nous harcèlent à travers les tubes cathodiques. Ces drames que tout le monde observe sans bouger. Les vieux ont chaud durant l’été 2003 et les saules pleurent le temps qui passe. Les colombes laissent la place aux corbeaux blancs qui s’occupent des enfants des favelas engagés dans les milices, des enfants qui vont au charbon, de ces esclaves des temps modernes, et pendant ce temps, la Terre reste ronde, dans le meilleur des mondes.
Alors, avec la Rue Kétanou, Syrano nous emmène dans le rêve. Les cailloux sont oniriques et voilà un prisonnier qui en ramasse pour faire pousser des murs de liberté, persuadé que les seuls prisons et ghettos sont dans les têtes des gens. Enfermés dans nos bulles pour mieux nous protéger nous passons à côté du monde. Cette bulle d’oxygène stérile synonyme de prison pour les enfants bulle, est un enfermement qui va jusqu’à ronger certaines filles comme Ficelle, cette anorexique dont le cœur est au régime et qui ne rêve que de disparaître. « Bouffe la vie fillette ! » crie Syrano.
Syrano chante l’amour avec Monsieur Neige mais l’écriture étonne par sa noirceur. Oyez la Complainte de l’épouvantail, « disciple crucifié couronné d’épines », pour vous en convaincre. « Deux millénaires à voir pourrir mes restes, je vous aime mais ne m’en voulez pas si je vous déteste. » Et si l’homme ermite préfère s’isoler dans la poudre blanche pour éclater les barreaux de son corps, ce n’est que pour tenter de trouver de la beauté dans la vie, malgré le froid, malgré les brûlures.
La musique enfantine qui tinte aux oreilles et le rythme cadencé de l’ensemble à l’accordéon apaise la colère de l’écriture. Mais Syrano se place avec cet album du côté des opprimés, croyant dur comme fer à la poésie des mots comme vecteur de messages. Tous ces personnages nous poussent à conquérir le monde, à traverser les frontières et à agir. Des musiques de chambre pour sortir du huis clos sclérosant et paranoïaque occidental. Une comédie musicale acide sur la fracture du monde pour prendre conscience en fanfare du bonheur.
http://www.myspace.com/syranosurlenet
Sébastien Mounié
© Etat-critique.com - 02/03/2007
Loutcha / Tchavolo SCHMITT / (Le Chant du Monde – 2005)
L’album des virtuoses du jazz « manouche » !
Il était temps que le jazz manouche retrouve ses lettres de noblesse. Ce n’est pas encore gagné mais le dernier festival des Nuits Manouches à l’Européen de Paris fait partie de ces festivals qui permettent à tous de redécouvrir des artistes dont les mauvaises langues disent qu’ils sont surtout de grands techniciens. Petit coup de pub pour ce festival qui avait invité Angelo Debarre & Ludovic Beier, Raphaël Fays, Samson Schmitt et Dorado Schmitt, Mandino Reinhardt, Marcel Loeffler et notre Tchavolo !
Pour ce dernier album, « Loutcha », le nom de madame Tchavolo, celui qui interprétait le professeur de guitare dans « Swing » de Tony Gatlif, s’est entouré de Claudius Dupont à la grand-mère (contrebasse), de Mayo Hubert et Martin Limberger à la guitare rythmique ; et surtout de l’extraordinaire Costel Nitescu au violon qui ne peut faire que du bien à Tchavolo ! Un violoniste roumain hors pair, dont on dit dans les coulisses de la Musique que Bireli Lagrene s’en méfierait, tant l’artiste impose sa présence et son talent sur scène... Les concerts finissaient en duel musical...
Pour ce disque, nous redécouvrons des classiques du jazz version manouche comme « Cheek to cheek », « Ménilmontant » ou « Que reste-t-il de nos amours ? » et trois compositions du maître (Antsela, Pour Flavio, Valse à Dora). Cet album reste un peu classique dans sa forme mais on retrouve la joie que procurait le duo Reinhardt/Grappelli. Je dis bien la joie et non la nostalgie si souvent associée à cette musique. Le « poum tchak » de Mayo Hubert et Martin Limberger est rôdé comme une mécanique implacable avec laquelle Tchavolo se débat à coup de variations rythmiques impressionnantes. Pas de doute, Tchavolo est « dedans » comme on dit. Dans l’accord mais aussi dans la corde et le bois ! La guitare respire en swing, le phrasé rapide mais limpide trouve sa place et ferait battre le pied au plus récalcitrant. Avec une liberté incroyable sur le manche, Tchavolo nous emmène dans des valses tourbillonnantes (Valse à Dora). Un style efficace et sensible sans fioriture technique excessive.
Costel, surnommé en concert par Tchavolo « le salopard » - comprenez ce que vous voulez - joue ses envolées lyriques et ses attaques imprévisibles mais laisse des chorus aux autres musiciens pour le bonheur de tous ! Enregistrement studio oblige. Lui qui place sans problème les quatre saisons de Vivaldi dans n’importe quel morceau la joue plutôt sobre sur le disque… Mayo Hubert peut se lancer dans des solos, lui qui reste souvent dans l’ombre du maître, et nous montrer son joli phrasé et Claudius faire sonner sa contrebasse (Stomping at Decca). L’équilibre a l’air bien trouvé pour cette nouvelle formation même si l’enregistrement en studio oblige à faire des choix qui ne sont pas toujours compatibles avec cette musique qui s’amuse et se régale d’improvisations, de sourires et de grimaces quand chaque soliste arrive au terme de sa phrase en même temps que la fin de l’accord.
Cette musique parle avec le corps, écoutez Tchavolo respirer sur « Chez Jacquet » vers les 2’05’’ pour vous en convaincre ! Les sonorités métalliques mêlées à celle du violon et de la contrebasse nous transportent dans l’univers d’un jazz joyeux loin des clichés mélancoliques qu’on veut parfois lui attribuer. A quand le live qui nous ferait entendre les applaudissements à chaque fin de chorus, les silences, les râles, les échanges si vivants de cette musique partagée avec le public ? Pourquoi ce qui est possible pour Eddie Louis et Petrucciani ne le serait-il pas pour Tchavolo et Costel ?
Tchavolo est sans aucun doute l’un des derniers grands guitaristes dans la lignée de Django qu’il vénère toujours humblement comme le Maître de cette musique. Un album référence à avoir dans sa cd-thèque ! Et un petit conseil, si Tchavolo Schmitt passe près de chez vous avec sa formation, foncez ! Humour et générosité garantis.
Sébastien Mounié
© Etat-critique.com - 30/09/2006