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Et c’est ainsi que nous vivrons, Douglas Kennedy, Pocket
En 2045, les USA n'existent plus. Ils ont été remplacés par d'un côté une République réunissant les états côtiers (est et ouest) et de l'autre une Confédération des états continentaux (les "Fly over", titre original du roman). Le scénario de cette Amérique divisée entre progressistes et conservateurs religieux semble très séduisant.
Malheureusement, au lieu de traiter du sujet, Douglas Kennedy se focalise sur son personnage de Samantha Stengel, agente secrète pour la République envoyée en mission pour tuer sa sœur, agente à la solde de la Confédération. Deux sœurs ennemies pour symboliser un pays où la fraternité régresse, c'est assez lourdingue comme procédé.
Ce n'est pas un roman d'anticipation, c'est un vulgaire thriller dont l'intrigue est assez médiocre et totalement prévisible. D'ailleurs, l'auteur en est tellement conscient qu'il le formalise: "Apprendre que c'était toi derrière le masque - toi, ma demi-sœur en mission pour me tuer... c'est à la fois incroyablement cliché et vraiment tordu." (page 420).
Kennedy n'a pas travaillé son sujet. Il fait l'impasse sur les technologies du futur, se contentant d'imaginer qu'on implantera une puce électronique aux individus et que les espions disposeront de masques leurs permettant de changer d'identité sans être reconnus (c'est tellement innovant qu'on voyait déjà ça dans les romans d'Alexandre Dumas ou dans Fantomas !). J'ai vraiment regretté que le livre n'ait pas été plutôt écrit par Marc Dugain qui aurait donné toute son ampleur à cette dystopie.
Avec Kennedy, il n'y a pas que les technologies qui sont dépassées (c'est vraiment l'an 2000 des années 80 !), les références aussi sont datées. A en croire l'auteur, en 2045, on ne s'intéressera qu'à des vieilleries en noir et blanc des années 1950. Mais oui bien sûr...
Pour faire bonne figure, Douglas Kennedy patine tout ça d'un vernis philosophique peu convaincant.
"A l'image des cellules biologiques qui nous composent, il est dans notre nature de nous diviser. L'histoire de l'humanité, individuelle et collective, n'est qu'une longue succession de schismes et de ruptures. Nous brisons nos familles, nos couples. Nous brisons nos nations. Et nous rejetons la faute les uns sur les autres. C'est un besoin inhérent à la condition humaine: celui de trouver un ennemi proche de nous afin de l'exclure en prétextant ne pas avoir le choix.
Vivre, c'est diviser" (page 448).
Amen !
Paru en poche le 06 juin 2024
chez Pocket
Traduction (anglais USA) Chloé Royer
456 pages
Ce qui nous tue, Tom McAllister, 10/18
Pour mon plus grand plaisir, le hasard a mis sur mon chemin Ce qui nous tue de Tom McAllister. Je n'avais jamais entendu parlé ni de cet auteur, ni de ce livre au titre bizarrement traduit puisqu'il s'intitule en anglais How to be safe (qu'on pourrait traduire par Comment s'en sortir). Un livre de 2021 qui reste terriblement d'actualité et qui aurait mérité un grand succès.
Toute la ville de Seldom Falls, petite bourgade de Pennsylvanie autoproclamée "LA VILLE LA PLUS AIMABLE D'AMERIQUE" (page 25) est sous le choc après qu'une tuerie de masse a lieu au lycée. Professeure récemment renvoyée du lycée car trop peu conventionnelle, Anna Crawford, voit les forces spéciales débarquer chez elle et la ranger au titre des suspects potentiels.
Avec son humour noir, la narratrice un brin parano dénonce le cynisme des politiques qui déclarent la guerre aux armes (sic) et utilisent la tragédie à leur avantage.
"Les politiciens adoraient les petites villes. Ils croyaient qu'on passait notre temps à manger de la tarte aux pommes et à agiter de petits drapeaux à l'église. Ils n'aimaient pas penser au fait que tout le monde prenait des opiacés, avait un boulot ingrat et vivait constamment dans la peur. Leur amour pour une vision idéalisée de l'Amérique profonde était pervers. Tandis qu'on mourait, ils s'enrichissaient sur notre dos en nous félicitant pour notre résilience. Ils s'arrêtaient pour boire une bière avec un gars du coin. Ils promettaient que, la prochaine fois qu'ils viendraient, ils apporteraient la prospérité." (page 129)
Bien que rapidement innocentée, Anna est toujours harcelée par des chaines d'info qui surfent sur le sensationnalisme. "L'appétit des médias (...) était insatiable. Ils avaient besoin d'images de mort pour rester en vie". (page 196).
Au gré de ce roman assez court et terriblement percutant, Tom McAllister évoque la difficulté qu'il doit y avoir à vivre dans l'Amérique profonde lorsqu'on n'est pas un homme blanc viril, pro-life et pro-armes.
J'ai beaucoup ri en lisant ce livre tant le regard de la narratrice est féroce, drôle et acerbe. Le virilisme - et la violence qu'il véhicule - en prend pour son grade. Savoureux !
Paru en poche le 18 février 2021
chez 10/18 Littérature étrangère
traduction Anne Le Bot
237 pages | 8€
Le Schpountz, Marcel Pagnol, Delphine Depardieu, Sanary
Cette pièce de théâtre est très comique et bien jouée.
Trois metteurs en scène se moquent d'Irénée en lui disant: "tu es fait pour le cinéma !" (son rêve !). Françoise, l'une des trois metteurs en scène, le prévient que c'était une farce, mais il ne la croit pas. Les deux autres continuent à l'humilier, jusqu'à ce qu'il comprenne.
Il se retrouve alors dans des "petits emplois", mais Françoise le pousse à jouer dans un film. Va-t-il réussir, ou est-ce que ce sera une catastrophe ?
Norma D., 10 ans.
Le 24 juillet 2024
Théâtre Galli, 83110 Sanary-sur-Mer
Festival de théâtre à Sanary
Des disques anti stress pour les vacances
Je ne vais pas vous dire d’éteindre vos portables, vos ordis et vos réseaux, sinon vous ne lirez pas cet article. Mais en cette période estivale, voici quelques musiques qui vont vous faire totalement décrocher.
Pourtant Human Cocoon n’est pas un disque léger. La pianiste Beyza Yazgan a produit son disque en pensant aux tremblements de terre en Syrie et en Turquie. Bouleversée, la jeune femme s’est concentrée sur des pièces simples, douces et évocatrices.
Au point de rivaliser avec un Keith Jarrett en concert. La virtuosité n’empêche jamais l’émotion. L’exécution des chansons répond à une vraie urgence d’écriture, de se retrouver entre mille mauvaises nouvelles.
Il y a quelque chose d'existentiel dans son style. Human Cocoon est d’une beauté sèche qui va pourtant droit au cœur entre classique et jazz. On se met au rythme de la pianiste. La grâce se devine au fil des pièces complexes et qui s’ouvrent petit à petit. C’est un joli labyrinthe qui se visite et où on aime se perdre pour oublier les bruits du monde.
Ce que propose aussi Ezra Feinberg, ancien adepte de la musique psychédélique devenu un hédoniste de la mélodie reposante. Mais pas ennuyeuse. On est loin de la musique d’ascenseur.
Le musicien lorgne un peu sur la new age vintage mais il faut bien avouer que sa musique est caressante et nous demande simplement de nous arrêter. Est-ce un geste politique de nous suggérer de rompre avec un rythme effréné? Les instruments se conjuguent ici pour former un barrage au stress et au surpassement.
D’ailleurs ce n’est pas pour rien que le disque se nomme Soft Power. On retrouve les bons vieux effets du new age avec des synthés cosmiques, des flutes naturelles et un petit fond de jazz à la Herbie Hancock des années 70 : le résultat est évidemment au delà de nos fades quotidiens. Le disque nous emmène vers de jolies utopies et des pensées positives. Un petit cour de Yoga musical en quelque sorte.
Un peu plus stressante mais d’une vraie beauté minérale est la musique du film japonais Le Mal n’existe pas / Evil does not exist, sorti en avril sur nos écrans. Une fois de plus, elle marque la collaboration entre le réalisateur Ryusuke Hamaguchi et la musicienne Eiko Ishibashi. Leur travail commun faisait le charme de Drive my Car en 2021.
Une fois encore, il y a un piège dans ce disque comme les deux autres. Nous sommes aux frontières de styles différents. Sans un mot, l’émotion existe dans le mélange des genres et la beauté qui en sort est vraiment singulière. Ayant travaillé sur plusieurs continents, l’artiste touche à tout avec une vraie dextérité et un plaisir à susciter la surprise.
Brian Eno n’est pas loin. C’est exactement ce que l’on peut attendre de la musique contemporaine. Elle explose nos habitudes. Elle déroute mais ici elle séduit avec ses choix érudits parfois étonnants. En bonne musique de film, se trouve dans les morceaux une tension qui charpente l’ensemble. Avec des idées minimalistes qui se superposent, on se retrouve dans une atmosphère hypnotisante. Une fois encore, à la fin, on a tout oublié sauf l’envie de recommencer encore: découvrir des sons étonnants et qui nous sauvent de la vitesse étourdissante du Monde… bonnes vacances!
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Tous les membres de ma famille ont tué quelqu’un, Benjamin Stevenson, 10/18
D'une façon générale, je ne suis pas fan de romans policiers et encore moins de livres à énigmes (ça fait longtemps que j'ai quitté l'école primaire et que je n'ai pas lu Agatha Christie...). Et je n'aime pas non plus cette manie anglo-saxonne des titres à rallonge. Oui, je sais, je n'aime pas grand chose.
Le roman de Benjamin Stevenson, intitulé Tous les membres de ma famille ont tué quelqu'un, une parodie de livre de détective à la Sherlock Holmes partait donc, de mon point de vue, avec un handicap certain.
Mais que voulez vous, je suis le genre de gars qui, au restaurant, est capable de choisir le menu surprise. En matière de livres c'est pareil, je suis ouvert aux découvertes. C'est comme ça que je me suis retrouvé à lire des bouquins de Patrick Sébastien ou de Christine Angot (qui ont en commun le même talent littéraire doublé d'une grande prétention, mais c'est une autre histoire).
Bref. Je me suis laissé tenter par ce livre car ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de lire un auteur australien.
L'écrivain joue avec son lecteur et annonce dès le départ la liste des pages où auront lieu les meurtres.
"Si vous ne lisez ce livre que pour les détails sanglants, les décès surviennent ou sont rapportés page 29, page 69, page 93, il y a un doublé pages 103-104 et un triplé page 113. S'ensuit une petite accalmie, mais ils reprennent page 230, page 274 (grosso modo), pages 286-288, page 298, page 325, quelque part entre la page 317 et la page 326 (c'est difficile à dire avec précision), page 340 et page 457. Je jure que c'est la vérité, à moins que le compositeur se plante dans la numérotation." (page 14)
Tant qu'à faire, il aurait pu aussi me prévenir qu'en page 144 on trouvait un chapitre récapitulatif du début du bouquin, ça m'aurait permis de gagner un peu de temps.
Tout au long du livre, Benjamin Stevenson joue avec les codes du roman de genre et respecte scrupuleusement le cahier des charges du bon auteur de livre à suspens. Malheureusement, lorsqu'arrive l'heure du dénouement (la scène se déroulant, comme il se doit, dans un bibliothèque où sont réunis tous les protagonistes ; du moins ceux qui ont survécu), je me fiche bien de savoir qui a tué le Colonel Moutarde avec une clef anglaise dans l'entrée.
En plus de soigner la construction de son énigme, l'auteur multiplie les clins d'yeux au lecteur. "Si vous suivez correctement les numéros de page, vous savez que quelqu'un vient de mourir." (page 69)
Le livre est supposé être drôle, moi je l'ai trouvé assez puéril et lourdingue ; et comme je suis sensible, j'ai eu du mal à rire d'une histoire qui multiplie les morts violentes, y compris les morts d'enfants.
Être curieux me réserve souvent de bonnes surprises. Mais parfois non. Tant pis.
Paru en poche le 06 juin 2024
10/18 Polar
480 pages | 9,60€