Bienvenue à Jurassic Park, la science du cinéma, Nicolas Deneschau, Third Éditions

Nicolas Deneschau aime bien les grosses bêtes. Il sortait il y a peu un très beau livre sur Godzilla, symbole du Japon et de toutes nos peurs. Le revoici avec des animaux plus petits mais qui en imposent tout autant.

L’auteur va nous raconter tout ce qu’il faut savoir sur Jurassic Park. Le film bien entendu, mais pas que. Son livre est un essai passionnant sur cette passion qu’est le dinosaure.

Il va remonter loin dans les origines du mythe. Puis il va petit-à-petit imposer la trace indélébile que laisse le dinosaure, dans notre imaginaire. Puis au cinéma. Puis Steven Spielberg. Puis la saga inégale mais fascinante.

Le style est passionné et son récit sur la fabrication du film est festif et enlevé. C’est une lecture rythmée avec de très nombreuses informations. On voit s’opérer progressivement la révolution imaginaire et technologique qu’allait imposer Spielberg, grand faiseur de mythes au cinéma.

Le papa d’Indiana Jones a du panache. Mais il n'est pas le seul. Tous les participants à l'aventure seront amené à faire de Jurassic Park, une vraie date de cinéma dans son ensemble. Et c'est ce que l'on découvre avec minutie. De l'invention du concept dans l’esprit de l’écrivain scénariste Michael Crichton jusqu’à la consommation à outrance de la franchise, en passant par la révolution des effets spéciaux.

La production est périlleuse et les anecdotes deviennent de vrais rebondissements. C’est la grande force de cet ouvrage : il se lit comme un page turner. On appréciera aussi les détails fouillés découverts par Nicolas Deneschau. C’est d’un enthousiasme assez étourdissant. Même si vous n’avez pas aimé les derniers films, retournez avec ce livre sur Isla Nublar et découvrez tous ses véritables secrets !

Parution le 31 mai 2022
258 pages / 24,90 €
Thirds editions

Big mother, Mélody Mourey, Béliers Parisien

Journalistes d’investigation d’un grand titre de presse américain, le New York Investigation, Julia, Owen, Kate et Alex nous plongent au cœur d’une enquête à rebondissements. Alors qu’un scandale sexuel impliquant un candidat à la présidentielle éclabousse la maison blanche, on les suit traquer la vérité avec méticulosité. La petite équipe de rédaction lève alors le voile sur un programme de manipulation de masse d’une ampleur inédite.

Dans la veine du film Spotlight révélant les vices des personnalités religieuses, juridiques et politiques les plus en vue de Boston, la pièce révèle l’emprise des fake news et de tout ce qui prend sournoisement le contrôle de nos vies. Sur scène, six comédiens incarnent l’ensemble des personnages de cette histoire en jouant, dansant, chantant, se défiant. Mention spéciale à Karina Marimon en mama juive et secrétaire amante désopilante.

J’avais une grande impatience de découvrir cette troisième pièce de Mélody Mourey après Les crapauds fous et la Course des géants, mes coups de cœur des dernières saisons théâtrales. J’ai retrouvé ses ingrédients savamment dosés : l’évènement historique romancé, la petite histoire imbriquée dans la grande, la sphère publique dans la sphère privée, la mise en scène rythmée et numérique digne d’un film au cinéma, dès son générique de début très réussi.

Mais j’ai cette fois regretté le rythme un peu trop haletant du format thriller transposé sur les planches, le débit de parole trop rapide des comédiens, le téléphone qui vibre constamment, ne nous permettant pas de couper avec le stress de nos réalités quotidiennes.

Ceci dit, la pièce a le grand mérite de poser des questions de fond sur la loyauté, l'utilité des médias pour changer le monde, la manipulation de masse et cette vertigineuse menace du détournement de nos données personnelles. Les personnages féminins sont forts, courageux, déterminés. Et on en sort comme avertis et vigilants sur les risques actuels pour nos démocraties et nos libertés chéries. A voir !

A partir du 7 février 2023
Du mardi au samedi à 21h00 matinée dimanche à 15h00
Théâtre des Béliers Parisiens
Avec Patrick Blandin, Pierre-Yves Bon, Ariane Brousse, Guillaume Ducreux, Marine Llado et Karina Marimon

 

Ant Man et la guêpe: Quantumania, Marvel Studios

Le super héros de poche peut visiter de minuscules dimensions: il vient de rentrer dans celle du nanar magistral !

Car les deux précédents épisodes étaient assez réussis : L'homme fourmi était une version californienne de Spider-Man, star de New York et des comics. La nonchalance et l'humour supplantaient l'action et le magma scientifique pour justifier les aventures de Scott Lang, voleur devenu un Avenger. !

Cette fois-ci c'est un volcan d'énergie quantique qui va justifier un nouvel opus qui se passe entièrement dans l'infiniment petit. Tout comme l'ambition du film : dans une molécule d'une amibe on peut donc se retrouver dans un royaume avec un vilain tyran, des sbires stupides et toute la famille du super héros pour apporter la liberté et la justice.

Pour défendre les qualités du film, on vous dit tout de suite que ses concepteurs se sont bien amusés à créer des créatures bizarres et nous vengent des derniers Star Wars et leurs bestiaires peu surprenants. Ici, il y a du poil, de la gélatine et toutes les matières visqueuses qui font le charme de monstres extravagants. Un vrai bal costumé !

Après avoir dit cela, il n'y a pas grand chose à sauver. Le scénario est débile. Les acteurs s'ennuient derrière un fond vert. Le méchant de service est aussi charismatique qu'une bombe anti moustique. La musique s'ennuie plus que les acteurs. Peyton Reed, le réalisateur n'a aucune idée pour pimenter son récit riquiqui. Des erreurs de production font penser à une vaste blague. Bill Murray, le clown triste d'Hollywood, vient faire coucou mais s'ennuie lui aussi.

Chez Marvel, on parle de phases pour souligner les liens les films et les super héros : après Les Éternels, le dernier Thor et maintenant ce nouvel Ant Man, il semblerait que l'on soit en phase régression et foutage de gueule !

Sortie le 15 février 2023
Avec Paul Rudd, Evangeline Lily, Michelle Pfeiffer et Michael Douglas
Marvel studios - 1h59

1803, La nuit de la sage-femme, Anne Villemin-Sicherman, 10/18

Une découverte pour moi que cette auteure, Anne Villemin-Sicherman, qui écrit là son neuvième roman.

1803, Nuit de la femme, semble le point de départ d’une nouvelle série policière dont la principale protagoniste est Victoire Monfort, sage-femme sous le Consulat, épouse d’un commissaire de police dans la région de Metz, ville natale et de fonction de l’auteure.

On sent immédiatement que la fonction de sage-femme n’est pas inconnue de l’auteure, et pour cause, elle a traversée toute sa carrière comme gynécologue. A cette expérience s’ajoute l’historienne grâce à laquelle ses romans foisonnent d’informations propres à positionner le lecteur en contemporain de l’action, dans ces temps perturbés d’après la Révolution et les années terribles de la Terreur.

On apprend tout au long des pages la volonté de Bonaparte de redresser un pays blessé en opérant un tri dans les décrets promulgués pendant la période troublée, de séparer le bon grain de l’ivraie pour faire de la France un pays moderne, sûr, besogneux, industriel. Pour autant, les ennemis sont nombreux, à commencer par les royalistes fidèles de l’Ancien Régime.

L’inquiétude règne toutefois, le chef de l’État est un chef de guerre.

Au-delà de l’enquête policière elle-même, assez bien ficelée, c’est le quotidien des personnages à l’aube du dix-huitième siècle qui retient véritablement l’attention. Il fourmille de mille détails parfois amusants, d’autres surprenants, en tous les cas passionnants, propres à nous prendre par la main pour battre le pavé aux côtés des acteurs.

Un seul bémol, une écriture trop léchée, peut-être pour coller au phrasé de l’époque, ce qui ne m’empêchera pas de m’intéresser aux autres volumes.

Paru le 02 février 2023
chez 10/18
306 pages / 14,90 €

Point météo: Retour du soleil et du pogo !

En Corrèze, au mois de janvier, le soleil a percé durant 43 heures. C'est peu. Dans le Nord, les frites et les moules ont consolés les amateurs de cette absence remarquable. Aussitôt revenu, le soleil a donné envie de faire la fête.

Dès qu'il s'est mis à nous réchauffer, on s'est rappelés de l'invention de la terrasse de café, du farniente et de la bamboche. Un peu de soleil et hop, on a plutôt le désir d'un rapport chaleureux et surtout humain.

C'est ce qu'on aime dans le bon vieux rock'n'roll qui vient d'en bas. Il est sincère, en sueur et tatoué. Il vous propose de voler dans les plumes de l'autre mais cela reste fraternel et les bleus au corps prouvent que nous sommes terriblement humains. C'est le cas des légendaires Dropkick Murphys qui viennent de réaliser un disque pourtant beaucoup plus calme.

Tout est relatif. Les Irlandais de Boston ne sont pas du genre à se laisser aller au slow facile. On est toujours dans la tradition folk du trèfle à quatre feuilles. This Machine Still Kills Fascists mélange le punk et la folk avec une dextérité incroyable. Ça donne un style particulier qui donne soif (et pas de l'eau) et l'envie de pogoter dans la joie et la bonne humeur. 

Ici, le groupe a voulu un disque plus roots. L'acoustique prend sa place. Les hommes de Boston rendent hommage à Woody Guthrie, inspirés par une visite des archives du musicien. Ils ont piqué des textes. C'est donc la défense héroïque d'un art populaire qui raconte les misères de la working class et qui célèbre la dignité, le pardon... On se croit chez les curés mais ils auraient plus de succès s'ils avaient le talent naturel et enthousiaste des Dropkick Murphys. Avec eux, le punk celtique est une vraie messe !

Le gros rock qui soulève les foules, c'est aussi la volonté du groupe Oai Star. Ici, on est dans le sud de la France avec d'autres problématiques mais aussi des petites histoires de petites gens. Et on décide d'en faire des concentrés d'énergie électrique où le soleil est dans les cœurs (avé l'accent). 

Formé par deux membres de Massilia Sound System, Oai Star doit être spectaculaire sur scène avec ses cuivres lâchés et ses rythmes endiablés poursuivis par une guitare assez réjouissante. Mais sur disque, ils prennent le temps de rigoler (on croise Guillaume Meurice) de toutes les misères qui hantent le sud, son racisme ordinaire, ses lâchetés tranquilles et son histoire populaire.

Mais tout cela pour un résultat festif marqué par le rock : on cite allègrement AC DC et le Hellfest. Encore une fois, c'est la gloire du peuple et l'envie de le secouer, le divertir et de rire avec lui. Merci pour lui !

Moins rigolo, le groupe canadien Fucked Up qui comme son nom l'indique, n'ai pas toujours bien dans ses baskets et sait aborder des sujets plus difficiles que les filles, la bière et les copains. Néanmoins leur musique peut réveiller le vilain zazou que vous avez toujours voulu être. Une musique de tarés !

C'est donc du rock matraqué et des instruments maltraités que l'on entend l'album One Day. Ça sue à grosses gouttes pour des riffs ardents et une rythmique lourde comme un interview politique chez Hanouna. 

Comme les deux autres disques, il y a un fond prolétaire qui se révèle très réconfortant et même rassurant. Le son est massif. Le chanteur est plutôt un hurleur. Mais le disque a été réalisé en 24 heures et on entend constamment un élan spontané et une énergie qui fait plaisir à entendre. 

Avec du soleil, on a juste besoin de courir dehors, se faire lécher les joues par les rayons et se remettre à la bamboche... simple et tous ensemble! Mieux qu'une manif, un bon vieux pogo les amis !

Dans la baie fauve, Sara Baume, 10/18

Comment décrire une île ? Comment soigner la solitude? Comment oublier la méchanceté du Monde?

Toutes les réponses peuvent se trouver dans ce roman descriptif qui pourtant s'intéresse à l'amitié entre un homme et un chien.

Ce n'est pas nouveau et le sentiment d'un cabot pour son maître a un intérêt limité... De plus l'auteure écrit à la première personne. Son point de vue ne varie pas : celui d'un homme marginal bloqué sur une île irlandaise.

Ça ne donne pas envie mais pourtant les éclaircies surviennent très souvent dans ce récit à priori plombé sur la solitude de chaque être.

Sara Baume a une piètre idée de l'humanité avec des rapports disloqués et conflictuels. Heureusement il y a la nature. Elle est dense et riche. Notre duo de mal-aimés va pouvoir s'y cacher !

Le narrateur est un personnage intriguant parce que la nature devient sa véritable maison. Le livre fait l'éloge d'une misanthropie qui ressemblerait à un retour à l'état de nature.

La cruauté des hommes est une dénonciation facile mais Sara Baume rend les choses plus touffues avec une île quasi mystérieuse. Cela sauve l'ensemble et rend cette lecture presque exotique !

paru le 05 janvier 2023
chez 10/18
255 pages / 8,30€
traduit par France Camus-Pichon (anglais, Irlande)

Knock at the cabin, M. Night Shyamalan, Universal

Mon dieu qu'il est loin le temps des 6ème Sens, Incassable et autres Signes !

Depuis, M. Night Shyamalan a fait de jolis nanars et des séries pas toujours convaincantes. Pourtant il reste un cinéaste intéressant à suivre car d'une cohérence exemplaire.

Son cinéma tourne irrémédiablement autour de quelques thèmes comme la croyance, la famille et la fo(l)i(e)! Ce sont ses obsessions qui font son art : sa mise en scène si spéciale reste une idée de cinéma. Il peut louper des films dans les grandes largeurs mais son élégance résiste à tout !

C est déjà ça. Malgré des hauts et des bas, la réalisation de Shyamalan vaut le coup d'aller au cinéma.

Et cela se justifie avec Knock at the Cabin, adaptation d'un livre et huis clos qui ne dit pas son nom. En gros, un couple homoparental et leur fille profitent d'une confortable cabane isolée. Soudain le trio se retrouve devant quatre personnes qui se présentent comme les cavaliers de l'apocalypse. Ils doivent convaincre la famille de sacrifier un membre pour empêcher la fin du Monde.

Bienvenue chez les fous se dit-on mais le monde qui nous entoure est peut-être encore plus azimutė ? Et si les zozos annonçaient la réalité ? Brrr que de sueurs froides pour nos pauvres touristes!

L'intrigue déconcerte mais heureusement l'auteur de Old réussit encore à éplucher ses personnages avec un suspense bien maîtrisé autour des objectifs de chacun. Sa meilleure idée reste cependant de confier le rôle du chef des allumés à Dave Bautista, ancien catcheur et excellent dans la peau d'un monstre gentil. Masse de muscles, il mène l'ambiguïté de son personnage très loin. A voir, il pourrait être un sujet de cinéma à part entière.

Après, tout cela est franchement tiré par les cheveux et défend une drôle de morale mais c'est toujours aussi joliment fait. Sans être un grand film, Knock at the Cabin est bel et bien un honnête divertissement.

Sortie le 1er février 2023
Avec Jonathan Groff, Ben Aldrige, Dave Bautista et Rupert Grint

1h45 - Universal

Il n’y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, Johanna Nizard

Je suis allé au théâtre des centaines de fois mais j'ai rarement vu ça, pour ne pas dire jamais. Une performance d'actrice époustouflante au service d'un texte (exigeant mais aussi très drôle !) sur l'identité et la religion.

Romain Gary, que "personne n'est foutu de mettre dans une case", était un homme complexe aux multiples vies. Lituanien compagnon de la Libération, juif goyophile, écrivain diplomate, réalisateur de cinéma au physique d'acteur hollywoodien…. Ce type inclassable - qui n'aimait rien tant que brouiller les pistes - avait inventé de toutes pièces l'écrivain Émile Ajar. Une mystification qui lui permit de gagner en liberté, de semer les critiques littéraires et de remporter un deuxième Prix Goncourt.

En se donnant la mort en 1980, Romain Gary "s'est fait un suicide collectif à lui tout seul !" puisqu'en mourant, il a aussi tué son double. Oui, mais voici que Delphine Horvilleur lui invente un fils, Abraham Ajar. C'est lui que nous retrouvons dans "une cave toute noire qui sent le livre moisi", son "trou juif" depuis lequel il nous explique à quel point son père était réel.

Dans Il n'y a pas de Ajar (texte ici mis en scène et interprété par Johanna Nizard), Delphine Horvilleur réfléchit sur la religion et sur ce que c'est qu'être soi. Il faut dire que Gary/Ajar, l'homme aux mille vies, est idéal pour questionner la notion d'identité, au point que Delphine Horvilleur en ferait presque un dieu !

"L'identité (...) qui vous empêche définitivement d'être autre chose que vous-même!" | "L'identité qui te rend con, muet, antisémite, et parfois les trois à la fois !" | "L'identité aujourd'hui restreinte, quand "chacun n'est plus qu'un seul truc : catho, gay, végan !"

Seule en scène pendant une heure et demie, Johanna Nizard change à plusieurs reprises de personnage, extirpant maquillage et accessoires de la grande bâche noire (genre sac poubelle industriel) qui recouvre le sol de la scène. Ces changements à vue assez fascinants à regarder renforcent le propos du texte sur la multiplicité des identités, sur la difficulté à savoir qui l'on est et qui l'on a en face de soi. Ce texte diablement érudit, hilarant, irrévérencieux et provocateur questionne avec humour l'absence de Dieu pendant la Shoah, ce qui est d'autant plus culotté qu'il a été écrit par une rabbine.

En regardant la comédienne Johanna Nizard, je me disais que cela doit être génial pour un auteur de voir son texte interprété avec une force aussi peu commune. Ce n'est même pas que Johanna Nizard joue bien, c'est autre chose encore. Par son engagement total, elle incarne le texte, elle lui donne vie. Par sa mise en scène et son interprétation exceptionnelle, la comédienne transforme la réflexion philosophique et théologique en une véritable folie théâtrale. Or cela résonne parfaitement avec l'histoire de ce personnage aussi vivant que fictif. C'est de la réalité littéraire augmentée !

Les 3 & 4 février 2023
Théâtre Montansier Versailles (coproduction)

texte de Delphine Horvilleur, mise en scène Johanna Nizard et Arnaud Aldigé
avec Johanna Nizard
son Xavier Jacquot, lumières et scénographie François Menou, maquillage Cécile Kretschmar, costumes Marie-Frédérique Fillion, conseiller dramaturgique Stéphane Habib, collaborateur artistique Frédéric Arp, regard extérieur Audrey Bonnet

texte édité chez Grasset

London calling ! King Tuff, Mozart Estate, <strong>the Tubs</strong>

Alors c'est vrai qu'ils n'ont pas de chance nos voisins d'Outre Manche. On se moque bien d'eux. Ils ont fait les kékés avec le Brexit et maintenant ils vont s'adonner au cannibalisme : les nouvelles sociales et économiques sont alarmantes. La politique là-bas vaut un bon épisode salace de Benny Hill. Tandis que la famille royale joue une mauvaise série d'Aaron Spelling (Beverly Hills, Melrose Place, pour les novices). Bref, c'est pas top!

Ce n'est guère mieux chez nous mais quand on les regarde, on a l'envie de les plaindre avec sincérité ! Heureusement question soft power, ils sont fortiches. La pop, celle initiée par les Beatles est omniprésente et inspire constamment les jeunes auteurs. L'influence de ce son britannique impressionne. Et encore aujourd'hui on s'étonne de cette vivacité.

Cette semaine, on retrouve donc le génie d'un Lennon et la curiosité d'un Harrison  dans les compositions de King Tuff. Derrière ce nom se cache un copain du prolifique Ty Segall. On aurait dû donc avoir un style fougueux et électrique.

A la place, on a droit à de la nuance mélodique, des orchestrations délicates et King Tuff se fait passer pour le cousin du Vermont de Neil Hannon et Divine Comedy. C'est vous dire la qualité de ce nouveau disque, Smalltown Stardust, d'une élégance étonnante.

Le discours est écolo et on devine le hippy derrière les refrains scintillants. On pense donc fort aux Beatles perdus dans le psychédélisme mais concentrés sur quelques chansons, King Tuff ramasse en quelques instants des miettes célestes et des refrains entêtants sur des harmonies toutes vertes. Il nous fait planer: ça fait du bien ce sentiment de légèreté assumée.

Cette pop piquante, on la retrouve chez Mozart Estate, un musicien anglais qui ne connaît pas le succès escompté mais qui récite ses classiques des Kinks aux High Llamas. Cette fois ci ce sont de courtes chansons qui composent cet album au magnifique titre Pop Up Ker Ching and the possibilites of modern shopping.

Vous aurez donc à faire à des ritournelles chatoyantes à la douce ironie. C'est de l'humour kitsch qui se trouve dans les mélodies. On retrouve toute l'excentricité que l'on jalouse secrètement. Ray Davies a un héritier solide qui s'amuse comme un petit fou et nous en fait profiter avec une sorte de cabaret pop lumineux et distrayant.

Si vous aimez l'humour non sensique des Monty Pythons, vous allez vous régaler. Ça peut être déconcertant mais c'est typiquement british et cette façon de faire la musique nous rappelle que la musique est une vraie jouissance! Et une bonne raison de (sou)rire. 

Ce qui va faire rire les froggies que nous sommes, c est le nom de cet énième groupe londonien: the Tubs! Ils ne devinent pas la blague en France et c'est bien normal : leur musique est un pur concentré de pop anglaise. 

On se voit bien dans un bar gallois à la fin des années 80. Indochine serait jaloux de cette musique qui se défend avec une guitare claire et une basse bien lourde et omniprésente.

  

Et pourtant Dead Méat n' est pas un disque nostalgique ! Les musiciens ont un petit air ringard sur la pochette la plus simple du monde! On penserait même à une farce de nerds mais la vitalité des chansons est telle que l'on se sent terriblement vivant face à ces titres qui ont la bonne idée de piquer quelques trucs au folk. Pour faire de la comparaison : c est Richard Thompson qui joue avec les Smiths! Une association inattendue mais tellement anglaise encore.

On regarde derrière mais on arrive à aller de l'avant. C'est le genre de contorsion qu'arrive à faire le monde anglo saxon ! Sinon, nous on la tournée de Stars 80 ou Born in 90s ! Oui soyons jaloux de nos voisins britanniques !

 

Consumée, Antonia Crane, 10/18

Ce livre aurait pu s'appeler Mémoires d'une strip-teaseuse.

Antonia Crane est droguée dans l'âme ; la dépendance est son moteur et la conduit tour à tour à la boulimie, aux stupéfiants, au sexe (personnes prudes d'abstenir, ce récit autobiographique comporte quelques scènes assez crues !).
Un beau jour, elle se déshabille sur la scène d'un club. Sa vocation de stripteaseuse est née ! Un métier qui lui apporte sa dose quotidienne d'adrénaline, d'argent et désir dans les yeux des hommes.

"Dans quelles autres circonstances pourrais-je me faire cinq ou six cents dollars un vendredi soir, ailleurs qu'ici? Où des inconnus me diraient que j'étais intelligente et merveilleuse, ailleurs qu'ici ? Comment pourrais-je ne pas pratiquer le striptease?" (page 270)

Antonia Crane revendique son métier dont elle parle avec talent sans faire l'impasse sur le côté glauque de l'affaire. Car il s'agit d'argent rapide mais certainement pas facile ! Le travail est dur, moralement et physiquement (elle souffre régulièrement du "coaltar de la stripteaseuse" et se retrouve percluse de douleurs à force de se cambrer sur scène (page 265).

Être stripteaseuse, ce n'est pas rose tous les jours. Mais que faire d'autre ? "Quand on cherchait du boulot, stripteaseuse n'était pas une expérience à mettre en tête d'un CV" (page 130)

L'autrice défend avec fougue la condition des travailleurs du sexe, elle décrit sans fard la dureté de ces métiers précaires et dangereux où il faut se méfier des clients, mais aussi des employeurs et de la loi qui est contre vous. La vie d'Antonia Crane est un combat sans cesse renouvelé, contre la dépendance, la dèche économique, pour finir ses études, pour faire valoir ses droits (elle participe à la création du premier syndicat des effeuilleuses, "l'Union des danseuses exotiques").

Mais, même si se mettre nue devant les choses l'interpelle en tant que féministe, elle est de toutes façons accro !

" J'ai dû reprendre le striptease. Chaque fois que je croyais avoir décroché, je finissais inéluctablement par replonger. C’était la cinquième fois. Lorsqu'elles ont le cœur en miettes ou qu'elles souffrent, les filles que je connais se bourrent de sucreries et de cocaïne, ou noient leur chagrin dans le shopping. Moi je retournais dans les stripclubs, les casinos, les hôtels, et j'offrais mon corps à des inconnus contre de l'argent" (page 15)

Au plan strictement strictement littéraire, j'ai préféré La Maison (livre dans lequel Emma Becker raconte son expérience de prostituée dans un bordel en Allemagne) ; Consumée est néanmoins un récit bien mené et décoiffant, qui mérite d'être découvert.

Parution le 02 février 2023
chez 10/18 Littérature étrangère
312 pages, 8,60€
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Michael Belano

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