Vu à la télé

SOS ma famille a besoin d’aide…tu m’étonnes ! 

 

On le sait tous, NRJ12 est LA chaine de l’intellect, la farouche concurrente d’Arte, la crème des sciences humaines, du creusé neurologique, du Ô toi cerveau comme tu es beau, comme tu voles haut, envole toi, vas y, pas trop haut tu vas te faire percuter par une mouette, merde trop tard.

C’est lors d’un samedi caniculaire, chaudement réveillé de ma sieste par des gloussements de rire d’enfants, en l’occurrence les miens, s’échappant d’une piscine (qui verra le soir même mon humble personne tomber dans les bras velus et rugueux d’un calva de 1932 qui, à l’heure où j’écris ces lignes me rappelle à quel point l’alcool de pomme n’est pas le meilleur ami du crâne et de l’homme qui le porte), que je m’échouais devant un téléviseur grand angle près d’un jardin rempli de roses roses et blanches, et, dans un zapping aléatoire, et dieu sait qu’aller à Thouars depuis une cuisine n’est jamais simple, je m’attardais circonspect, aux confins du bientôt circoncis intellectuellement, devant une émission dont je sentais par avance tout le potentiel poétique de notre belle société, en mode « mais merde ça existe ça !!!? ».

L’œil encore mi-clos et le bermuda sur cette chaise simili skaï accroché à mes poils de cuisse comme une mouche à un bandeau piège à la colle forte se baladant aux grès du vent dans une cuisine de maison de campagne, je prenais un café bien noir pour pouvoir affronter la ½ heure qui s’annonçait devant moi, entre un adolescent détraqué en mal d’affection que nous appellerons John-Killian, un beau-père de 39 ans au tarin à la découpe confinant à celle du Vésuve un soir d’éruption et qui te rassure vachement sur ton propre physique de mec presque quarantenaire que nous appellerons Francky, une mère de famille au parcours chaloupé ballerine Cendrillon des temps modernes dont on pressent tout le potentiel pour tomber amoureuse en deux deux d’un motard de passage effectuant des burns sur le parking de chez Netto dans la ZAC voisine, que nous appellerons Jenny.

Et bien sûr, Pascal le grand frère, reconverti en coach pour famille à la dérive, bras en zinc, recordman du monde de punching-ball de la Foire du Trône sans discontinuer entre 1996 et 2009, Chuck Norris de la vanne, et adepte des « tu t’prends pour qui gamin, tu m’parles encore une fois comme ça j’te fais une tête que ta mère demain é sait pas qui t’es, COMPRIS !? ». Bref, un programme Rosa, rosas, rosae, Victor Hugo, Baudelaire, latin en 3ème langue, Grec ancien, philosophie, Socrate, cinéma d’auteur, finesse du verbe, coup de poing dans ta gueule, plaisir d’offrir, joie de recevoir, c’est pour une occasion spéciale ? Non ? bah j’te fracasse le pif quand même.

Dès les premières minutes, ça se met à nu, ça n’y va pas par quatre chemins, sans détour, coup de boule coup de boule ; la voix off te dresse le tableau, pas glorieux ma bonne dame, de ces petites vies en bas de jogging où Jenny a connu Francky à seulement 17 ans, folle amoureuse, larguant son CAP sanitaire et social pour vivre la grande vie, tout ça parce que Francky jouait au foot, bossait déjà, et qu’elle était beau sur sa grosse sa moto. Puis John-Killian est arrivé, bien trop tôt, pas assez profité de la vie ; puis Jenny, du coup, à 27-28 ans a eu un flash, elle n’avait pas assez profité de la vie justement ; alors le mouflet et puis le Francky ont commencé à passer leur samedi soir ensemble quand la Jenny voulait revivre une jeunesse qu’elle avait le sentiment de ne pas avoir eue donc a enchainé les discothèques 8 salles 8 ambiances, a forcément rencontré des Francky bis, pas plus beau non, pas plus chic non plus, mais bon, une banquette de R19 chamade est si vite arrivée quand on a bu un peu trop de Vodka-Pomme et que l’on s’est sentie un peu plus belle dans le regard d’un autre. Alors parfois, 9 mois plus tard, arrive une petite Pamela, dont les cheveux roux couleur rouille pot d’échappement de mobylette kitée n’est pas franchement la garantie que Francky 1er en soit le père, même pas franchement du tout même.

Mais on s’en accommode, parce que Jenny s’est un peu calmée, quoique des doutes subsistent ; et le Francky est malheureux, et le grand, le John-Killian qui va sur sa 15ème année, bah il avait plus grand monde pour lui donner les bons codes, les bonnes lignes, les bons quais de gare, les bons trains. Alors il a fait comme son père, il a commencé à picoler un peu jeune, un peu trop, puis de plus en plus ; puis le collège a fini par ne plus appeler, donc il est resté à la maison, puis à foutre sur la tronche à sa mère, comme son père le faisait et le fait encore ; alors que c’est pas un mauvais bougre le John-Killian, mais bon, oui, des fois, il l’avoue à Pascal le grand frère pendant une épreuve de boxe dans des sacs où sont marqués les mots « rages »/ « insultes »/ « alcool »/ « parents »/ « Vie de merde », oui, il traite sa mère de pute, il a même des doutes sur le fait que Francky soit son vrai père, parce qu’une fois une cousine aux fessiers huit fois plus volumineux que son cerveau d’huitre, lui a fait la confidence que toute la famille pensait et disait en douce que bah…ça serait bien le Riton, le meilleur pote de Francky, qui serait son père ; alors forcément, ça perturbe, ça tracasse, ça fout la haine, ça donne envie de prendre le fusil de chasse du grand-père et de taper dans le tas.

Et là d’épreuve en épreuve, de séance de psy en coup de poing dans le journal intime familial, le Pascal le Grand Frère fout un sacré bordel, à raison, sûrement ; sauf que toi, là, en bermuda, devant ta téloche dans ta baraque de campagne, parce que tu connais le métier, tu sais qu’autour de la caméra épaule qui filme la débâcle, ce grand tout le monde à poil d’alcool de tromperie de coucherie de papier peint Jacky Chan dans la chambre du gamin déjà percé tatoué déchiré de l’intérieur, bah y’a 10 mecs de la prod qui voient tout ça se faire et une bonne demi douzaine de techniciens, qui, quand ça chiale pas assez, quand on n’a pas assez senti la rage dans le vol plané d’assiettes de cette cuisine minable collante et poussiéreuse, ils doivent la refaire la scène.

T’es partagé, là, un samedi aprèm de sortie de sieste, entre le sentiment que le Pascal costaud a peut-être aidé ces braves français de base, oui, ces gros beaufs, oui, je t’entends le dire, oui ces gros beaufs, et le fait que merde quoi, à quoi bon étaler ça devant quelques centaines de milliers d’autres, pas mieux, qui se rassurent peut-être, se reconnaissent même parfois, ou s’émeuvent, dans le meilleur des cas, ou se moquent, violemment, bien planqués derrière leur téléphone à baver comme des reptiles froids, quand tu vas mater Twitter malgré une connexion d’entre les vignes…

Tu te dis qu’après ça, le voisinage de Jenny va définitivement la prendre pour une légère, une frivole, une couche toi là ; que le Francky va passer définitivement pour le cornu qui brame devant sa 1664 quand la Jenny fout sa mini jupe pour aller chez Netto, et qu’après tout ça, une fois les caméras parties, t’as de gros doutes sur le fait que John-Killian il ne la prenne pas la carabine de chasse du grand-père…

T’as un peu les boules quand même, t’es pas à l’aise, beaucoup, tu coupes la télé, tu vois tes enfants au loin qui pataugent dans la piscine et se marrent, t’es pas mécontent d’avoir un peu de bol, un peu de chance, un peu d’être là toi et pas avoir été un John-Killian.

Tu vas près de la piscine, tu embrasses tes enfants, tu passes ta main sur la nuque de ta femme, et tu balances un « je vous aime bordel ».

Allez, j’vous embrasse.

 

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