Tombeau pour Palerme, Laurent Gaudé, Thomas Bellorini, Montansier Versailles


Thomas Bellorini (dont on avait beaucoup aimé le Pinocchio en 2022) met en scène un beau texte de Laurent Gaudé sur deux juges mythiques, Paolo Borsellino et Giovani Falcone, qui ont consacré et donné leur vie à la lutte contre la mafia.
Lorsqu'on entre dans la salle du Montansier, le rideau est déjà levé. Un plateau presque nu : un bureau et deux chaises pour tout élément de décor. Au fond, on voit les murs bruts et noirs du théâtre. Sur scène, un comédien et une violoncelliste. Pas d'artifice.
Je m'attendais donc légitimement à ce que la pièce soit tout en dépouillement et strictement focalisée sur le texte. Et de ce point de vue là, j'ai été déçu !
Le spectacle commence par cinq bonnes minutes de violoncelle électrifié, avec pédale de distorsion et effet de boucle qui créent un bourdon sonore pas très agréable à mes oreilles. Oui bon, je dois à l'honnêteté de dire que moi, ce que j'aime, c'est la contrebasse qui est bien plus belle et moins prétentieuse que son petit-frère le violoncelle. Songez à la position du contrebassiste, à la tessiture ample de cet instrument aux graves si profonds et aux aigus si mélodieux, ou encore à l'absence de pique disgracieuse et ridiculement longue ! Bref. Il n'est pas impossible que je manque d'objectivité. Mais, après tout, je suis là pour donner mon avis, non ?
Et mon avis, c'est que le metteur en scène aurait dû faire davantage confiance au texte et à son comédien, plutôt que d'avoir recours à des ornements musicaux qui prennent trop de place.
Comme il faut couvrir le bruit du violoncelle, le comédien parle dans un micro. Or, le problème avec les micros, c'est qu'ils finissent toujours par frotter sur quelque chose, ce qui crée des bruits parasites fatigants. Tout cela dessert le jeu de l'acteur. A l'inverse, lorsque la musicienne le laisse un peu tranquille, François Pérache développe une interprétation sobre et puissante d'un texte fort et bouleversant.
L'auteur, Laurent Gaudé, imagine la lettre que Borsellino écrit à Falcone, feu "(son) ami, (son) frère, (son) jumeau". Il décrit la solitude de ces grands juges qui combattirent Cosa nostra au prix de leur vie.
"Maintenant, je sais comment je vais mourir."
Tout deux mourront à deux mois d'intervalle, victime de mafieux qui n'auront pas lésiné sur les moyens et les feront périr chacun sous une tonne d'explosif. Car "les hommes de la bête seront toujours plus riches et plus rapides que nous."
le 11 mars 2025
Montansier Versailles
Durée 1h00 | de 15€ à 32€
de Laurent Gaudé, mise en scène Thomas Bellorini, collaboration artistique Hélène Madeleine Chevallier, violoncelle et arrangements musicaux Johanne Mathaly, lumières Thomas Bellorini
avec François Pérache
production Compagnie Gabbiano avec le soutien du Cent-quatre/Paris
So Floyd au Dôme de Paris – A Tribute to Pink Floyd (2025)


Vous aimez Pink Floyd. Vous aimez les live. Allez voir So Floyd. Pépite !
So Floyd a tribute to Pink Floyd, c’est deux heures de show époustouflant pour rendre hommage au mythique groupe de Syd Barrett, David Gilmour, de Richard Wright et de Roger Waters.
Au-delà de la reproduction techniquement irréprochable, So Floyd parvient à rappeler la coloration exceptionnelle du groupe original. On reste bluffés devant le travail musical réalisé. Les riffs, le timbre des voix, les chœurs, l’interprétation. Tout y est. Et pas à côté. Dans le mille. L’exigence et la rigueur sont là. Au cordeau ! Le mélomane y trouvera son compte. Les fans auront juste l’impression de voir ressusciter musicalement le groupe londonien. Une réussite.
D’année en année et avec le succès, le show s’est étoffé avec une production de plus en plus importante. La scénographie, les lumières, les costumes, les vidéoprojections, la théâtralité, contribuent à rendre le spectacle fantastique. La machine à remonter le temps fonctionne. Retour au XXe siècle : des sixties aux derniers morceaux d’anthologie des années 90.
Ce soir, au Dôme de Paris, la salle est pleine à craquer. Nous sommes nombreux sautillant sur nos sièges, assis, à chaque riff et ascensions des chœurs. Les plus agités dont je fais partie se demandent comment font les gens pour rester en position assise. Combien de temps allons-nous tenir sans nous lever ? Si je me lève, derrière cela va râler etc... Pas idée de faire cela dans une salle assise.
Pas si longtemps. Les premiers accords de The Wall finissent par emporter la mise, Gabriel Locane le chanteur nous libère avec les bras "stand up " : la salle est maintenant debout ! Les cheveux gris, les jeunes, les chauves, les quinqua, quadra, trenta, vingta, tous planent dans une ambiance hors du commun pour un mardi soir à Paris. Tout le monde se laisse prendre au jeu des guitaristes, du saxophoniste, des claviers, de la basse, des batteurs, des chanteurs et chanteuses. Ca tourne, grâaaave !
Y a de la joie. A revoir et ressentir en live l’impossible retour des Pink Floyd. L’admiration est là. Le plaisir dans la salle comme sur scène est évident. Vous l’aurez compris, il faut le voir pour le croire. Ne manquez pas So Floyd. Onirique. Un grand moment. Pépite !
Site du groupe : SO FLOYD – The Pink Floyd Tribute
Notez dans vos agendas les dates de la tournée :
12 Mars 2025 Amphithéâtre 3000 de Lyon
14 mars 2025 Zénith du Grand Nancy
15 mars 2025 Centre Athanor de Montluçon
16 mars 2025 Zénith de Limoges
18 mars 2025 Zénith de Nantes Métropole
19 mars 2025 Parc des Expositions de Tours
22 mars 2025 Ainterexpo de Bourg-en-Bresse
23 mars 2025 Le Dôme de Marseille
25 mars 2025 Le Prisme d'Aurillac
26 mars 2025 Le Cube de Troyes
27 mars 2025 Zénith de Rouen Métropole

Joie Sauvage – Nicolas Fraissinet – Concert au Zèbre de Belleville, Paris.


Nicolas Fraissinet était en concert au Zèbre de Belleville hier soir. L’occasion de découvrir en live un artiste inclassable, authentique dans une ambiance de "steampunk" végétal.
En 2019, Fraissinet écrit son premier roman Des étoiles dans les yeux paru chez Belfond, qui donne naissance à un nouvel album ainsi qu’un nouveau spectacle, ainsi que 12 clips qu’il écrit et réalise personnellement. L’écriture est là. En lui. Comme un geste naturel. Du roman à la musique, de la musique à la vidéo et de la vidéo à la scène.
Ce soir, ils sont trois sur le plateau, Nicolas Fraissinet au piano, David Obeltz à la guitare et Joëlle Mauris au violoncelle. L'artiste est là avec son nouveau projet Joie Sauvage, à la fois nouvel album, nouveau spectacle live immersif en vidéo-projection, accompagné d’un livre qui prend la forme d’un récit poétique accompagnant chaque chanson.
En harmonie avec la vidéo-projection en fond de scène, les chants s’enchaînent et témoignent d’une émotion sincère sur le rapport à la nature, à la faune, à la flore.
« Tous les titres prévus ne parlent pas forcément d'écologie - loin de là - mais chacun trouve un ancrage thématique ou visuel dans un univers où la Nature intérieure et la libération sauvage prennent le pas. Imaginer un monde où le vivant et le végétal reprennent leur place après notre passage éphémère.
Faire l'éloge de la puissance verte. Chercher les chemins de traverse, Admirer l'instinct de survie, la résilience et l'acharnement au bonheur. »
Sur scène, il existe une évidente élévation portée par une voix claire parfois mélancolique. Très bel Homme vert, sinueux Aspic qui témoigne des paradoxes intérieurs de l’âme humaine, puissant et lumineux Phénix : « c’est écrit au présent je ne lâcherai plus jamais tu m’entends, c’est promis par le sang, qu’ils viennent tous ces orages, je les attends, j’ai brûlé suffisamment, mais tu vois je renais maintenant, et si un jour un nouveau diable me prend, qu’il ose venir me le dire devant. »
Une soirée particulière sur une thématique assumée mettant en avant la douceur, l’espoir, la grâce des instants, en lien avec l’animalité humaine. On se plait à se laisser porter par cette exploration urbaine végétale aux allures de Steampunk. Un voyage atemporel. Ascendant. Onirique.
A connaître.
Site de Nicolas Fraissinet : JOIE SAUVAGE | Fraissinet
Album sorti le 17/01/2025 chez Trytons / Inouïe Distribution
Bond chez les Amazon ! Au Service secret de sa Majesté, Moonraker, Permis de Tuer

Le groupe Amazon MGM prendrait le contrôle créatif de la fameuse saga James Bond. Ça y est on va rentrer dans la catégorie du “c’était mieux avant”. La famille Broccoli conserve des droits mais c’est le studio de Jeff Bezos qui va s’occuper de remettre le célèbre espion au goût du jour. Et ça ne risque pas d’aller dans le bon sens.
Il suffit de voir ce que deviennent Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux. On essore les concepts jusqu’à l’absurde. Les univers sont devenus de gros pièges de standardisation. On multiplie les séries, les dessins animés ou ce que vous voulez pour conserver des ayants-droits. On vous fait croire au respect de l’essence du produit d’origine. On se retrouve avec des récits phagocytés ou dépouillés. Les fans sont généralement déçus et cela finit par nourrir des kilomètres de commentaires sur les réseaux sociaux sur des choix artistiques douteux ou peu intéressants.
Donc à venir : un dessin animé sur la jeunesse de Q, qui ressemblera à McGyver. Une série sur Miss Moneypenny et son ascension fulgurante jusqu’au secrétariat de M.
Des mini-séries sur Blofeld ou sur le chat de ce dernier. Et sûrement une longue série documentaire sur la marque Aston Martin. On peut hélas parier sur cela dans les années à venir.
On pouvait déjà critiquer le côté publicitaire de 007, mais ça devrait aussi s’accentuer dans l’empire capitaliste Amazon. Il est vrai que les films étaient les panneaux publicitaires les plus classes du Monde. Cependant il faut se résigner à l’évidence : la place de 007 est chez Amazon. L’agent secret a toujours collé au plus près des modes, us et coutumes de son époque. Ce qui devait arriver, arrive. Tout simplement.
Cependant, à quelques reprises, l’espion a eu des incarnations plus baroques et le personnage a peut être eu des petits coups de folies qui font de certains films de beaux plaisirs coupables.

A commencer par le plus atypique des projets : Au Service secret de sa Majesté. Sean Connery a tiré sa révérence et Albert Broccoli trouve un mannequin australien débutant pour remplacer l’Écossais. Le type n’a pas l’air à l’aise dans le costard de l’agent secret mais il montre des capacités athlétiques qui donneront lieu à de chouettes scènes d’action. Timoré, George Lazenby fait ce qu’il peut avec une volonté qui se voit au fil du temps. Il est heureusement secondé par Peter Hunt, un habitué de la franchise qui se trouve propulsé comme réalisateur de ce sixième volet. Il assure une mise en scène musclée entre le Portugal et la Suisse. L’ambiance est au Swinging London. Les effets spéciaux sont désormais kitsch mais charmants. Au milieu de nombreuses femmes vénéneuses, notre héros devient un tendre romantique qui aura l'outrecuidance d’épouser sa favorite à la fin du film. Une erreur fatale. Et une idée de génie qui restera, malgré la modestie de l’interprétation du personnage principal.
Dix ans plus tard, en 1979, l’homme au permis de tuer a la tête très sympathique de Roger Moore. Nous sommes dans une nouvelle ère pour l’agent double zéro : il se marre tout le temps et semble avoir toujours le bon mot face au danger. Et le gadget le plus croquignolesque aussi. Bond est une sorte de version live de bande dessinée légère et sans fond. Mais toujours collée à son époque: Moonraker doit sa production au succès de Star Wars.

Les producteurs hollywoodiens veulent tous avoir la tête dans les étoiles et Broccoli met donc son célèbre héros sur orbite. Avec le scénario le plus farfelu de toute la saga qui se vautre dans une enquête extravagante et des scènes d’action à la limite de l’auto-parodie.
Mais on adore l’interprétation pincée de Michael Lonsdale et le sourire argenté de Requin. Les décors sont démesurés. Les costumes proposent des suggestions jaunâtres du plus bel effet et la réalisation semble avancer à reculons vers un final aussi fantaisiste que ridicule. Mais honnêtement, le spectacle est tellement délirant que l’on s’amuse comme dans une grande soirée disco.
Ajoutons une nouvelle décennie pour nous retrouver en 1989 avec Permis de Tuer, le plus hard boiled des James Bond. Cette fois-ci, c’est Timothy Dalton qui tient le rôle. Il avait déjà été pressenti à l’époque d’Au Service Secret de sa Majesté mais il n’obtient le rôle qu’en 1987. Tuer n’est pas Jouer fut une déception et, visiblement, le succès de l’Arme Fatale ou de Piège de Cristal influencent les producteurs à se laisser aller au grand n’importe quoi.

Donc notre héros perd son permis de tuer mais va se permettre une terrible vengeance après la tentative de meurtre de son copain américain, Felix Leiter. Froid et décidé, James Bond devient un manipulateur d’exception et nous fait entrer dans des états d’âme inhabituels.
Puisque le héros devient implacable, sa détermination le pousse à envisager un machiavélique engrenage dans lequel tombera l’affreux Sanchez (l’excellent Robert Davi) et son fougueux second couteau (un très jeune Benicio del Toro). On est presque triste pour eux d’avoir déclenché la colère de James Bond. On repense alors au cynisme des premiers Sean Connery, avec cette voie ouverte sur une interrogation légitime sur la justification de la violence.
Mais Permis de Tuer est avant tout un thriller sombre malgré les exotiques décors. Comme dans l’Arme Fatale on devine un héros meurtri, marginal et prêt à tout pour accomplir sa vendetta. Et comme dans les productions de Joel Silver, le film propose des morts bien sanglantes, des vilains bien tordus et une musique incroyable de Michael Kamen (bah le compositeur de L’Arme Fatale et Piège de Cristal justement), qui remplace le respectable mais fatigué, John Barry. Et tout cela dans une ambiance eighties du plus bel effet. Bref, entre la drogue, les requins et les deux jolies pépées, notre Bond semble avoir totalement perdu la raison.
Voilà donc les trois épisodes qui ne serviront certainement pas de maître étalon pour la suite multimédia des aventures de James Bond. Les défauts de ces films, les erreurs de création ou les choix artistiques volontaires ou non, en font des œuvres à part dans une saga cadenassée et qui devrait l’être un peu plus pour être accessible partout dans le monde, pour le plaisir du plus grand nombre. Bon ça y est: c’était mieux avant…
Allons ailleurs ! Jean-Claude Vannier, Laurie Torres, Piers Faccini & Ballake Sissoko

C’est bel et bien le premier principe de la musique : vous emmener ailleurs. Hors des sentiers battus. Vous apporter de nouvelles pistes. Regarder d’une nouvelle façon l’existence, le quotidien ou autre. Échappatoire avec ou sans direction, il existera toujours des disques pour changer les perspectives, observer différemment. Il y a des musiques qui font planer, d’autres qui vous arrachent littéralement à tout ce que vous connaissez.

Comme le vénérable Jean-Claude Vannier, arrangeur d’exception, complice de Gainsbourg, qui sort un disque de mandolines, sur le label de Mike Patton, le hurleur génial du groupe de metal, Faith No More. On est clairement dans une atmosphère baroque.
Mais dans ce disque instrumental, on entend l’enfance, les doutes, la vie qui inspirent des mélodies incroyables. On apprécie une bande originale idéale de nos petits problèmes. Ça nous rappelle les glissades musicales que l’on entendait dans les musiques de Jacques Tati. Il y a de la fausse candeur et évidemment des arrangements d’une subtilité vibrante: les poils s’hérissent si facilement.
Jean-Claude Vannier et son orchestre de Mandolines est une surprise qui n’a pas d’équivalent. C’est drôle, touchant et sans parole. On baigne dans une étrange nostalgie qui pourtant colle très bien à nos réalités.

La réalité s’étiole aussi au son de la capricieuse et contemplative Laurie Torres. D’origine haïtienne, cette Canadienne, n’a pas de mal à mélanger les ambiances pour nous transporter vers un ailleurs douillet et mélodique.
Elle avait bien l’envie de nous mettre la tête à l’envers en composant la musique du génial film Drive My Car. Elle récidive avec le très cool Après Coup. On ne vous tapera pas sur la tête mais on va coulisser vers un monde à part, cristallisé par un piano et des synthés ouatés. Et personne ne va s’endormir.
Les notes se répètent mais tournent autour d’idées subjectives mais délicieuses. C’est un disque qui dérive. Vous pouvez vous contraindre à vous cogner au réel, le talent de Laurie Torres est de vous faire décrocher rapidement. C’est une œuvre séquentielle, qui part d’un piano et qui ensuite déplace votre attention vers des nuances qui deviennent riches et les sons font semblant de s’éparpiller pour vous rapprocher d'un état second, tellement agréable et fondamental. On reconnecte avec un temps et une délicatesse qui n’existent plus nulle part.

Ce qui nous touche aussi la rencontre entre Piers Faccini & Ballake Sissoko, c’est cette absence de barrière et de vulgarité dans leur nouvelle collaboration, Our Calling. Le droit à la déconnexion est totalement envisageable avec un tel projet, entre deux hommes sensibles, qui profitent de leurs origines pour repousser toutes les frontières.
La kora et la voix conjuguent les talents et nous aspirent encore une fois vers un havre de paix, que les deux artistes ont toujours cherché. Il y a un barde francophile et un musicien malien qui se mettent en marche pour idéaliser leur passion et montrer l’universalisme de la musique.
Our Calling est une œuvre qui marche. On se met d’abord en tête l’osmose entre les deux artistes et ensuite, au fil des titres, tout est dépassé. Rapidement. Les clichés. Les préjugés. Les envies des artistes. Les attentes de l’auditeur. Le disque a écrasé nos anxiétés. Les talents deviennent chaleur ou ciment. On a l’impression de monter quelque chose avec ces deux énormes artistes pourtant si discrets. Une montagne de douceur et de compréhension. Les deux hommes règlent leur pas et on aimerait faire la même chose.
Un monde de dialogue. Un monde d’apaisement. Un monde d’espièglerie. Franchement éteignez les autres médias et revenez à la raison: cherchez et trouvez de la musique!
L’espoir fait vivre, Sam Fender, Manic Street Preachers


Les vieux croutons réactionnaires sont de retour et veulent nous faire croire que les jeunes sont un danger. Pourtant, certains profitent de l’expérience des aînés pour sortir de beaux disques avec de l’entrain et de la volonté qui forcent le respect. En musique, les jeunes sont capables de digérer et d'améliorer le son de leurs ancêtres.
C’est particulièrement vrai de l’autre côté de la Manche, véritable mouvement incessant de rock, de pop et de traditions. Depuis les Beatles, les groupes et les styles s’enchaînent dans une effervescence impressionnante et on a tout à fait raison de jalouser nos amis britanniques.
On aimerait nous aussi avoir un artiste comme Sam Fender. En deux albums, le jeune chanteur a su apporter une humanité qui nous rappelle étrangement Bruce Springsteen. Il est une version timorée du boss mais il a bien compris comment composer une mélodie autour d’une parole chaleureuse et déterminante. Son troisième opus est tout aussi convaincant.
People Watching est donc une belle description de la vie contemporaine. C’est un rock simple et efficace. Ce que l’on y entend ce sont les working class heroes et la simplicité d’une émotion. Sam Fender continue de dépouiller un rock direct et délicieux car il ne prend pas de pincette pour raconter un quotidien, un destin ou un récit. C’est d’une sincérité rare dans les productions actuelles.
Le musicien travaille l’authenticité et cela se fait rare ces derniers temps. Les tournures musicales nous amènent à la vulnérabilité et la bienveillance d’un artiste jeune et lucide. Ce n’est pas d’une subtilité incroyable mais Sam Fender confirme bien qu’il est un chanteur à part, essentiel dans sa perception du Monde. Atypique et hors des normes actuelles.

Du coté du Pays de Galles, il y a un groupe qui ne semble pas vieillir et continue de cracher sa colère et ses inquiétudes sur des titres imparables tout en conservant une certaine juvénilité. Révélé par un hit imparable dans les années 90 (Design for life) et un fait divers toujours mystérieux (un des musiciens a totalement disparu), les Manic Street Preachers continuent de bastonner leurs convictions sur un rock de combat, d’une férocité qui ne perd jamais en intensité.
Comme Fender, il y a un engagement qui gomme tous les défauts. Le groupe en est à son quinzième effort mais le trio fonce comme à ses débuts. Visiblement les musiciens n’aiment pas trop visiter les autres pays du Monde mais leur musique a tout pour faire vibrer les stades. Après tant d’années, c’est encore surprenant.
On peut baver sur la reformation commerciale de Oasis, mais célébrons ici la solidité des Manic Street Preachers. Les Gallois n’en finissent pas de défendre leurs positions politiques et d’offrir des mélodies qui se collent obligatoirement au fin fond de votre cerveau. Ils ont un vrai socle qui apporte à chaque album, une imposante fraîcheur.
On va se donner désormais des allures de tournoi des 6 Nations avec un autre groupe, cette fois ci irlandais qui nous donne aussi un sentiment de vivacité et de quasi innocence. Inhaler est le groupe du fiston de Bono et cela s’entend aisément avec des chansons troussées pour la radio et le succès.

Avec ce troisième album, Open Wide, Inhaler confirme donc un groupe qui capture l’essence même de la pop. Le fils de Bono ne cache pas sa parenté mais surtout tente de jolis coups de force avec des refrains solides et des touches eighties qui n’auraient pas déplu à U2.
Il s’agit bien du genre de groupe qui va en agacer plus d’un mais il faut reconnaître que Open Wide n’est pas un caprice de gosse de riche. C’est de la pop qui respire de bonnes intentions. Avec son comparse du lycée, Elijah Hewson ont bien saisi les schémas du genre. Ils les bidouillent sans tenter la révolution. C’est une certaine forme d’humilité. Ils aspirent peut-être à devenir gros comme U2 ou Coldplay mais pour l’instant, c’est extrêmement plaisant et cela dépasse les préjugés.
Avec ces trois disques, la jeunesse ce n’est pas l’âge ou l’expérience, c’est l’alliage fragile d’une sensibilité, d’un courage et d’une vision. Le secret de la jeunesse, c’est donc cette volonté… que l’on aime tellement découvrir en chansons!
Captain America Brave new world, Marvel


Alors après un an d'absence, comment se porte Marvel et ses super-héros épris de justice? Bon bah ce n'est pas le top mais ça a l'air d'aller un tout petit peu mieux.
En terme de cinéma, on est toujours très loin des débuts joyeux et régressifs des premiers films Marvel, où cela tâtonnait pour faire rentrer les codes du comics dans un nouveau média : le cinéma.
Depuis, tout a été formaté. Le super héros est devenu une norme et Marvel s'est pris les pieds dans le plat pensant que le public allait suivre ses priorités et sa vision simpliste du blockbuster.
La laideur a fini par piquer les yeux. Les histoires se sont répétées. Le cynisme s'est imposé. En 2024 seul Deadpool a eu le droit de faire des blagues salaces sur grand écran. Mais Marvel tente cette année un come back avec trois films qui devraient être glorieux pour cette industrie.
On avoue tout de suite, ce nouveau Captain America n'est pas une réussite. Le réalisateur ne nous passionne pas une seconde : scènes d action peu surprenantes, scénario qui ne fait que des redites et acteurs qui semblent s'ennuyer. Le désormais héros de la franchise était un second couteau des débuts et il semble le savoir constamment. Sam Wilson passe son temps à porter le souvenir de Steve Rogers, le premier Avenger.
Heureusement les auteurs se sont dits qu'ils allaient trouver un super méchant qui finalement est aussi charismatique qu'un extincteur. Harrison Ford doit payer ses impôts et se moque bien de gérer sa fin de carrière. Alors ça ne le dérange pas de jouer un vilain qui passe son temps à s'excuser d'être vilain. Il est tout mou et son Hulk rouge fait peine à voir. Tout comme le méchant - encore plus méchant - qui se cache derrière tout ça avec son physique de brocoli humain. Il prête à rire constamment.
Lorsque vous avez raté la personnalisation des badguys, vous êtes mal barrés et c'est ce qu'il se passe dans Brave New World. Le spectateur ne ressent aucune empathie pour aucun des personnages du récit. D'ailleurs on peut s'interroger sur l'âge moyen des méchants dans cet opus : ils devraient tous être à la retraite.
Mais quand on doit se rappeler des dernières catastrophes industriels (Ant Man 3 et The Marvels), ce nouveau Captain America apporte quelques réjouissances avec cette volonté d'illustrer un rêve américain qui se cogne à des réalités qui le dépassent où une Amérique se perd dans des convictions guerrières complètement arriérés. Là dessus, le film aurait presque un propos de beatnik. Mais on ne s'enflamme pas. Le film donne l'impression d'être un coup dans l'eau, une petite remise en forme avant que les affaires reprennent.
Dans quelques semaines, nous retrouverons la sœur et le père de Black Widow dans the Thunderbolts (désolé pour ceux qui n'y connaissent rien) et dans quelques mois, les 4 Fantastiques devraient sauver le Monde une fois de plus. Et ensuite les Avengers sont de nouveau attendus... Finalement ce pauvre film est noyé dans un univers qui a de plus en plus de mal à cacher son unique valeur mercantile. Il y a sûrement de très bonnes intentions de cet épisode mais en toute honnêteté... bah on se sent un peu comme les vieux badguys : on se dit que c'était mieux avant.
Au cinéma le 12 février 2025
Avec Anthony Mackie, Harrison Ford, Danny Ramirez et Giancarlo Esposito
1h55 - Marvel
Monsieur Henri raconte, Lucas Gonzalez, François Piel-Flamme, Funambule Théâtre Montmartre


On s'installe tranquillement dans la salle du Funambule Théâtre, quand soudain un grand bonhomme dégingandé déboule sur scène.
Son nom: Monsieur Henri.
Sa mission : les lundis, déboulonner les statues des grandes figures de gauche , et les mardis, celles de droite !
François Piel-Flamme se donne à fond dans le rôle de Monsieur Henri et assure avec brio ce seul en scène atterrant et désopilant. Il crie, nous invective, nous pose des colles et s'énerve tout seul. (Rassurez-vous, c'est très drôle !). Il tourne furieusement les pages de son paper board pour dévoiler son plan ou illustrer son propos. Pour qu'on comprenne bien, Monsieur Henri multiplie les comparaisons anachroniques qui nous permettent de mieux cerner les personnages historiques qui émaillent son récit. Souvent, il se jette sur son petit bureau, s'empare d'une feuille qu'il retourne dans tous les sens et s'écrie : CITATION !
"Croire en l'Histoire officielle, c'est croire des criminels sur parole" (Simone Weil)
Il y en a pour tout le monde. Attention ça pique !
- Jésus Christ, "le paléo Tche Guevara de Judée »,
- Charlemagne, "surnommé le boucher par les saxons" et qualifié de "grand et pacifique empereur" par le Pape,
- la Révolution Française, "une rixe de nantis, donc tout ça ON S'EN FOUT !",
- Napoléon,"lui, c'est le super chimpanzé"...
Construit sur une même trame, les deux volets valent vraiment le coup. Une même drôlerie caustique qui permet d’avaler l’affliction que génèrent les hommes politiques. Lundi, centre gauche au menu, ce qui se résume ainsi « on va parler essentiellement lâcheté et trahison ». Mardi, voici le tour de la droite « Donc ça va être nettement moins exigeant intellectuellement parlant » !
Passionnant autant que passionné, drôle autant qu'érudit, Monsieur Henri mériterait de remplir la salle. Alors allez-y !
Jusqu'au 29 avril 2025
Le Funambule théâtre Montmartre, Paris XVIIIème
JeanLuc Bertrand, Stand up Magic, Le Contrescarpe


En ce mercredi soir de vacances scolaires, la salle du Contrescarpe est comble. Avec l'aide d'un comparse, JeanLuc Bertrand réinvente la sempiternelle annonce nous enjoignant à couper nos portables, ce qui a pour effet de mettre immédiatement une bonne ambiance. C'est très fort.
Mais pas aussi fort que la suite du spectacle. Pendant une grosse heure, JeanLuc Bertrand hypnotise quelques membres du public et bluffe les autres.
C'est toujours étonnant de voir des personnes sur qui l'hypnose fonctionne à ce point. Ils font tout ce qu'il veut, mais surtout ce qu'ils veulent bien faire. Ce soir là, il dit à Amandine qu'elle s'endormira dès qu'elle dira son prénom. Il la réveille et lui demande son nom. Là, elle répond: "Je sais ce que tu m'as fait. Je m'appelle Amandine. Zzzz, Zzzz, Zzzz !"
Il y a aussi du mentalisme et de la magie (notamment une boulette de papier qui recèle des surprises merveilleuses).
JeanLuc Bertrand ne révolutionne pas le genre. Techniquement, certains de ses numéros m'ont fait penser à ce que j'ai pu voir ailleurs (chez Messmer ou chez Viktor Vincent, par exemple), mais c'est humainement que cela se passe. J'ai aimé sa désinvolture (feinte bien sûr, car le monsieur est un grand professionnel). Surtout, j'ai été séduit par sa chaleur et son par son ton familier voire amical. Il tutoie tout le monde, nous chambre gentiment et, à la fin du spectacle, sort sur le trottoir pour discuter et recueillir nos impressions.
Un spectacle très sympa qu'on peut voir en famille !
Jusqu'au 12 mars 2025
Le Contrescarpe, Paris Vème
01h15 | de 11€ à 21€
Yongoyely, Compagnie Circus Baobab, Yann Ecauvre, La Scala


Yongoyely à la Scala, ou comment je me suis retrouvé à parler d'excision à ma fille en sortant d'un spectacle de cirque !
Des bruits de circulation et de coups de klaxon servent de fond sonore à la grande salle rectangulaire parée de bleu de la Scala. Le bruit devient assourdissant puis le silence se fait en même temps que la lumière. Ils sont neuf, cinq femmes et quatre hommes assis sur des parpaings. Lentement, très lentement, ils se redressent, chacun.e en équilibre sur son parpaing avant de tomber, comme mort.e.
Une femme reste dressée, stoïque, belle et digne. L'un de ses partenaires monte sur sa tête (son cou est soutenu par deux porteurs). C'est intense, presque violent. Cette entrée en matière me fait alors penser que ce spectacle de cirque acrobatique ne sera pas banal. On sent immédiatement qu'il y a quelque chose de grave dans l'air, qu'on n'est pas là (que) pour rigoler. Pendant une heure, il sera question de la condition des femmes, écrasées sous leur fardeau. (Tandis qu'elles dansent avec un parpaing sur la tête, les hommes rient bruyamment et font un peu les coqs.)
En allant voir ce spectacle de cirque à la Scala de Paris, je m'attendais à voir de joyeuses cabrioles et j'ai été servi ! Les numéros d'équilibre avec des parpaings, des poutres, un fouet, et même des flammes sont saisissants. Mais Yongoyely offre bien plus que de "simples" numéros de cirque. Le spectacle nous invite à une réflexion sur le poids des traditions en Guinée Conakry, qui frappent les petites filles dans leur chair.
Des voix enregistrées résonnent. Des témoignages documentaires qui nous bousculent et nous émeuvent :
"quand j'avais six ans" (...) "tu es supposée apprendre à être une femme" (...) "on t'emmène au Bois sacré" (...) "On te dit qu'une femme, c'est la souffrance".
Les femmes sur le plateau ne font que tomber et se relever, toujours plus fortes et plus impressionnantes. Elles font d'incroyables acrobaties ponctuées de chants africains avec leurs voix à la limite du cri et pourtant justes et émouvantes. Leurs corps sont des machines de guerre.
Le public est estomaqué. Par les performances et par l'intensité du propos qui nous laissent sans voix et sans applaudissement pendant une demi-heure. Le silence est dense, presque religieux. J'aurais voulu applaudir à chacun des exploits physiques mais restais totalement concentré.
Et puis, petit à petit, on ne peut plus résister à l'envie de battre des mains pour saluer les exploits physiques des performeuses et performeurs. On se lâche, on se détend, on salue la puissance (la résilience, pour utiliser un mot galvaudé) de ces femmes et des hommes qui les accompagnent. Alors, comme pour se rattraper de n'avoir pas applaudi plus tôt, on finit tous debout pour les saluer.
Bravo !
Jusqu'au 02 mars 2025
La Scala, Paris Xème
1H00 | de 14€ à 38€
Direction artistique Kerfalla Camara
Mise en Cirque et Scénographie Yann Ecauvre
Avec Kadiatou Camara, Mamadama Camara, Yarie Camara, Sira Conde, Mariama Ciré Soumah, M’Mah Soumah, Djibril Coumbassa, Amara Tambassa, Mohamed Touré
Intervenants cirque Julie Delaire & Mehdi Azéma
Création musicale Yann Ecauvre et Mehdi Azéma
Chorégraphie collective Yann Ecauvre, Mehdi Azéma, Julie Delaire, Mouna Nemri & les artistes
Création de costumes Solenne Capmas
Lumières et son Jean-Marie Prouvèze
Producteur délégué Richard Djoudi
Compagnie Circus Baobab