Arrivée avec sous le bras des béquilles multicolores, un parapluie, deux livres, une paire de lunettes de soleil et un mixeur, je me demandais bien comment les comédiens allaient pouvoir jouer de ces objets anachroniques dans l’Avare de Molière. Oui, la consigne donnée aux spectateurs de la pièce de rentrée de la Tempête était claire : sortez de vos placards des objets aussi loufoques qu’inutiles, apportez un encombrant ou un vêtement, cela servira de costumes aux comédiens et de décor bric à brac au plateau. A l’heure de gloire de la récup’, rien ne se perd, rien ne se crée, tout peut servir.
Dans son Avare, Clément Poirée tire le trait de la tyrannie du radin. Avec un plaisir sournois, il se joue de notre obsession de la possession. La tristesse solitaire d’Harpagon accrochée à sa caissette ne fait que réveiller notre soif de générosité. Les stratagèmes à rebondissements de l’intrigue se mêlent habilement avec des scènes jubilatoires d’interaction improvisée avec le public complice qui rit beaucoup.
Comme j’étais heureuse ce soir-là pour tous les jeunes présents à La Tempête. Ceux qui, suivant la proposition de leur classe, poussaient pour la première fois la porte d’un théâtre. Les yeux écarquillés, les oreilles grandes ouvertes à la si belle langue de Molière, ils virent que le théâtre vaut 1001 expériences virtuelles. Sans écran, il permet de traverser les époques, de vibrer d’amour et pose question sur la valeur des choses au cœur de notre société de consommation. Aux faux lanceurs d’alerte sur l’ennui au théâtre, montez sur scène le temps d’esquisser quelques pas de danse et retournez à votre place, le sourire aux lèvres.
Oui, il y en a de la générosité et de l’audace dans cet Avare. Sans frontière entre la scène et le public, on vit une expérience interactive : un happening au gré de nos curieux dons. Révélateur de notre société aux 1001 gadgets, la pièce interpelle notre sobriété et la formidable créativité des artistes et artisans habituellement de l’ombre : les costumiers, maquilleurs, décorateurs et éclairagistes pour leur redonner vie.
Je ne saurais terminer sans saluer le talent pétillant des comédiens. Mention spéciale à Mathilde Auneveux : sexy Élise, amoureuse éprise de liberté, Pascal Cesari : hypersensible Cléante avec un panache remarquable, et Nelson-Rafaell Madel : irrésistible Valère, tourbillon d’émotions et de charme malicieux. Cette rentrée à la Tempête est une délicieuse invitation à savourer le reste de leur saison très alléchante. Tour de maître pour cette version très réussie du chef d’œuvre de Molière.
Jusqu’au 20 octobre 2024
Théâtre de la Tempête
Du mardi au samedi 20h, dimanche 16h ,
Cartoucherie, Route du champ de Manoeuvre – 75012 – Paris