Art-scène, Théâtre

Tartuffe, Molière, Yves Beaunesne, Montansier

A l’ouverture de la salle, les comédiens sont déjà sur scène, donnant au spectateur l’impression d’entrer dans le vif de leur vie. Il n’y a pas de décor, les murs noirs de la scène du magnifique théâtre Montansier sont nus. En revanche, meubles et accessoires abondent et occupent tout l’espace scénique, en particulier un magnifique et imposant billard français.

Lorsqu’ils ne jouent pas, les comédiens ne rejoignent pas les coulisses mais restent en arrière-plan du plateau. Le scénographe utilise en effet l’intégralité de l’espace disponible, y compris la salle d’où surgira un personnage.

Étant placé dans les premiers rangs, j’ai malheureusement loupé une bonne partie du jeu en arrière de scène ; il n’en demeure pas moins que l’absence de tableaux de décor fait gagner la pièce en fluidité. Ainsi, l’histoire se déroule en continu, sans interruption pour changer de décor. Nous pouvons donc entrer sans frein dans l’intrigue, comme si nous faisions nous-mêmes partie de la famille, et ce d’autant plus que la pièce est transposée à une époque relativement récente (les années 1960).

Pas de costumes d’époque donc, mais de beaux et élégants vêtements de tweed, très gentleman-farmer. Seul Damis (le fils d’Orgon) fait exception et détonne volontairement avec son milieu social en portant les cheveux gras et une atroce chemise orange. Les lumières tout en clair-obscur renforcent le côté cosy de l’ensemble.

Cette opulence un rien baroque illustre parfaitement la richesse mâtinée de décadence d’Orgon (Jean-Michel Balthazar), le maître de maison, un homme riche et gras jusqu’à l’obésité, qui rêve d’ascèse. Son idéal se matérialise en la personne de Tartuffe, un dévot qu’il admire jusqu’à l’adoration, devenant totalement aveugle à la fausseté et à la rouerie de l’infâme hypocrite qui tente de séduire sa femme de son bienfaiteur.

« Pour être dévot, je n’en suis pas moins homme »

Les comédiens sont talentueux et parviennent à rendre fluide et naturelle leur déclamation d’un texte pourtant ancien et en vers. Les comédiens se donnent sans compter : ils se jettent par terre, se dénudent, se malmènent, se battent et ils chantent (fort bien !). D’une façon générale, le son est soigné ; les voix ne sont pas amplifiées (ça tombe bien, je déteste ça !) et les micros sont uniquement utilisés pour créer des ambiances.

L’ensemble de la distribution est talentueuse (J’ai juste regretté que Johanna Bonnet – alias Dorine – adopte parfois une gestuelle trop moderne, faisant des gestes de rappeur lorsqu’elle se lance dans une joute verbale). L’excellent Nicolas Avinée tient le rôle Tartuffe avec maestria ; avec son charme trouble et sa folie qui affleure juste ce qu’il faut, il transpire le cynisme de façon presque effrayante. Le fait que Tartuffe soit un imposteur n’étant une surprise pour personne dans la salle, le metteur en scène prend le parti, réussi à mon avis, de ne pas montrer comment l’imposteur manipule Orgon. Nicolas Avinée incarne ainsi un Tartuffe chétif et plaintif, au comble de la manipulation, qui hypnotise Orgon sans avoir l’air d’y toucher, presque de façon subliminale.

Scénographie, son, lumière, costumes, interprétation, tout est parfaitement maîtrisé dans ce Tartuffe digne de la Comédie Française. Le metteur en scène respecte la pièce de Molière, il la met à notre portée sans chercher un « truc » pour se l’accaparer et la dénaturer. C’est un très beau spectacle !

Jusqu’au 05 février 2022
Théâtre Montansier-Versailles
de 5 à 39€

de Molière, mise en scène Yves Beaunesne assisté de Pauline Buffet et Louise d’Ostuni

dramaturgie Marion Bernède, scénographie Damien Caille-Perret, lumières César Godefroy, musique Camille Rocailleux, costumes Jean-Daniel Vuillermoz, chef de chant Hugues Maréchal, chorégraphie des combats Emilie Guillaume, maquillages et coiffures Marie Messien

avec Nicolas Avinée, Noémie Gantier, Jean-Michel Balthazar, Vincent Minne, Johanna Bonnet, Léonard Berthet-Rivière, Victoria Lewuillon, Benjamin Gazzeri-Guillet, Maria-Leena Junker, Maximin Marchand et Hughes Maréchal (claviers)

production Compagnie Yves Beaunesne

coproduction Théâtre de Liège, les Théâtres de la ville de Luxembourg, CDN de Poitiers-Nouvelle Aquitaine, Théâtre Montansier-Versailles, Albi-Scène nationale, Théâtre de Nîmes, Théâtre Molière-Scène nationale archipel de Thau, L’Azimut-Antony-Châtenay-Malabry

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