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Les vivants, les morts et les marins, Pia Klemp, 10/18

Pia Klemp est capitaine de navire. Pas n’importe quel navire: un bateau de sauvetage qui vient au secours de migrants partis de Libye sur des rafiots d’infortune pour tenter de rejoindre une Europe qui les rejette, voire qui facilite leur naufrage.

La quatrième de couverture nous vante « un roman engagé, à la langue éblouissante et acérée, dans lequel elle raconte tout ». Une langue éblouissante? Jugez plutôt :

« Notre mission est la rébellion enflammée qui monte du cadavre pourri d’une société jadis promesse de justice. Notre engagement est un dernier sursaut d’humanité de ce zombie qui a trahi ses valeurs et s’est trahi lui-même. Les graisses fermentées de sa décomposition deviennent l’huile jetée sur notre feu. La déchéance nous fait avancer, que nous le voulions ou non. »

Pour ma part, je vois dans ce livre une collection fort mal écrite de diatribes digne d’une adolescente parlant davantage de son absence de pénis et de sa rébellion que du principal, c’est-à-dire de ceux à qui elle vient en aide. Elle qui n’aime (presque) personne, préfère ne pas voir en eux des êtres humains, d’autant qu’ils ne sont probablement même pas végans.

 » Je me demande de temps en temps si ma misanthropie est vraiment compatible avec le travail humanitaire. » (p.23)

Qu’on ne s’y trompe pas : je critique ici un objet littéraire et une autrice, pas le travail en mer de la capitaine Pia Klemp à qui je tire mon chapeau (chapeau d’homme blanc favorisé, c’est dire si je suis mal placé pour critiquer).

Pour rendre son personnage de rebelle plus crédible, et choquer le bourgeois, Pia Klemp surjoue la misanthropie, la grossièreté et la vulgarité. Je pense pour ma part qu’elle est, de ce point de vue, une sacrée poseuse.

« La nuit dernière, j’ai poursuivi pendant une heure un bidon en plastique à la dérive. Quoi que ce soit, c’est à huit milles de nous. Ça me laisse amplement le temps de prendre un café et d’aller chier. » (p.62)

Lorsque l’autrice nous raconte ses soirées – arrosées et enfumées – passées en compagnie de ses potes végan-rebelles-punk-à-chien, on s’ennuie autant qu’eux. Très donneuse de leçons avec les autres, Pia Klemp n’est pas avare en contradictions avec elle-même. Fustigeant le couple, elle rêve du grand amour et nous saoule avec son histoire de fesses bien cucul ; anarchiste, elle ne tolère qu’un chef à bord: elle-même ; végan, elle aimerait posséder un chien et picole et fume tout ce qui lui passe sous la main (sans trop se poser de questions sur l’origine de ses drogues) etc, etc.

Il faut attendre la page 180 pour qu’elle évoque le vif du sujet et raconte, en quelques pages à peine, une effroyable scène de sauvetage qui prend aux tripes et vous retourne l’âme. C’est sans doute sa pudeur de bonhomme qui lui interdit de s’épancher davantage.

 » La tristesse est indéfinissable, elle vient de partout. La vérité honteuse, c’est que je pleure sur moi-même et sur personne d’autre. Il s se sont pitoyablement noyés sous mes yeux, et pourtant je ne pleure que sur moi. Pas pourtant – à cause de ça. Si je m’autorisais à les laisser m’atteindre, je ne pourrais plus être là pour eux. Je ne suis pas asse forte pour ça. Est-ce froid? Déprimant? Peu importe. Je suis un outil, je dois fonctionner. » (p.194)


240 pages / 7,50€
Traduction Céline Maurice
10/18


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