Art-scène, Théâtre

Rodez-Mexico, Julien Villa, La Tempête

Passage réussi à la scène pour le premier roman de Julien Villa. Avec sa belle énergie, la troupe talentueuse rassemblée par l’auteur transforme le récit sur papier en spectacle vivant : il soulève les bancs des spectateurs et nous embarque dans un conte initiatique, rythmé et burlesque. Une ode à l’utopie, comme une bouffée d’espoir dans un monde étroit.
Ce spectacle vivant si original semble élaborer un édifice éphémère : une cathédrale de mots, d’évocations, de souvenirs et de rêves.

Passage réussi à la scène pour le premier roman de Julien Villa. Avec sa belle énergie, la troupe talentueuse rassemblée par l’auteur transforme le récit sur papier en spectacle vivant : il soulève les bancs des spectateurs et nous embarque dans un conte initiatique, rythmé et burlesque. Une ode à l’utopie, comme une bouffée d’espoir dans un monde étroit.

On avait chroniqué ici Rodez-Mexico, premier roman de l’auteur, comédien et metteur en scène Julien Villa. Ces heures de lecture réjouissantes trouvent leur métamorphose et leur dépassement sur la scène du Théâtre de la Tempête.

Combien d’heures sont nécessaires pour lire 300 pages ? Une vingtaine d’heures peut-être. La troupe de comédiens et musiciens a taillé dans le vif du roman, sous la direction du metteur en scène. Ils ont joué avec les mots écrits, improvisé, marché, confronté… et opéré un tri entre les fils narratifs tissés par l’auteur. Le résultat est une épure, un trait d’esprit, une flèche qui nous atteint comme la leçon paradoxale d’un conte initiatique.

Pour rappel : tout commence sur les Causses du Larzac, où Marco, au sortir d’une rave party, tombe sur la projection d’un documentaire qui lui présente le sous-commandant Marcos, insurgé et meneur de l’armée de libération du Chiapas ; ce dernier lui semble immédiatement son frère jumeau, son double.

Mûri de ses lectures, de ses rencontres et de ses rêves, Marco opère sa mue et entre en résistance. Il occupe bientôt le pavillon menacé comme une ZAD et organise avec son collectif des événements sur le rond-point devant chez lui, pour faire connaître sa cause. Il est bientôt rallié par un journaliste déboussolé, des punks à chiens, des bibliothécaires, des hippies et de nombreux laissés pour compte. Et tandis que Marco devient véritablement Marcos, Rodez devient véritablement la jungle du Mexique… Si Rodez devient Mexico et Marco Marcos, c’est par une mue (qui prend du temps) mais aussi parce que le monde est fait (paraît-il) de cette matière bizarre que l’auteur appelle un réalisme magique (1). Comme si des réalités différentes (des présents parallèles par exemple) coexistaient sans qu’on puisse les apercevoir ensemble et communiquaient cependant. Comme deux faces d’une même médaille…

Au fil du récit, on est touché par la conversion de Marco. Il nous inspire. On est près de muer nous aussi c’est-à-dire qu’on est prêt à lutter, pour devenir une version plus lucide et plus courageuse de nous-mêmes.

Qu’apporte le spectacle vivant et collectif à l’œuvre de fiction, au roman ?

Le théâtre est quoi qu’on en dise un art pauvre, au sens où l’entendait Jerzy Grotowski (2). Donc l’un des défis ici consiste à montrer la traversée d’un miroir, sans recourir aux effets spéciaux.

Les moyens sont artisanaux. La construction est éphémère. Il faut souligner bien sûr l’importante contribution du plasticien Laurent Tixador, qui a conçu pour ce spectacle un décor modulable, dont les éléments (le rond-point, la façade du pavillon rose saumon…) sont fabriqués uniquement à partir de déchets, cousus, collés, prêts à être de nouveau recyclés. Le décor lui-même est le fruit d’un recyclage, ou plutôt des détournements de déchets qui pourraient avoir été sauvés des poubelles de la zone commerciale, précisément au cœur de l’action.

Un échafaudage complète la scénographie, permettant d’habiter l’espace sous trois dimensions.

Au théâtre, on donne à voir et à entendre, on raconte sans illustrer, on ne peut pas broder. Tout est signe et potentiellement symbole. Par exemple, au présent, la représentation donne à voir Marco qui enfile une cagoule et disparaît. Puis son ami Vincent, ses amis musiciens anarco-mariachis, le journaliste de France Bleue Aveyron, font de même et meurent symboliquement. Ils meurent au monde conventionnel et naissent nouveaux pour expérimenter et créer une réalité non conventionnelle ou en tout cas, moins conventionnelle. Ils créent une réalité, sinon dangereuse, du moins gênante pour les puissants : le maire, les grands patrons de la zone commerciale…

La performance musicale de Tristan Ikor et Clémence Jeanguillaume (3) insuffle une énergie phénoménale, leurs lignes harmoniques accouchant la naissance des héros. Enfin des projections nous permettent de découvrir le visage et les mots du sous-commandant Marcos. Ces images rendent hommage aux combattants qui luttent toujours au Mexique, et qui peuvent aussi nous inspirer, nous spectateurs.

Le talent et l’exubérance des comédiens empruntent à la farce et au bouffon (justesse et générosité de Damien Mongin, Noémie Zurletti, Vincent Arot, Renaud Triffaut et Laurent Barbot), tandis que la musique et le symbolisme poétique des communiqués du sous-commandant Marcos empruntent à la poésie pure. En ce sens, la représentation avance sur un fil entre burlesque et épopée lyrique. Or ces clowns révèlent une poésie collective qui, personnellement, m’a beaucoup impressionnée.

Ce spectacle vivant si original semble élaborer un édifice éphémère : une cathédrale de mots, d’évocations, de souvenirs et de rêves. Comme si une autre image (une image mentale, une construction imaginaire) se superposait à la matière visible du plateau. Et entre les deux images (deux réalités) qui oscillent, se met à vibrer une sensation, que les spectateurs rassemblés et attentifs peuvent partager. Comment nommer cette sensation ? Autant dire : « le vent se lève ».

En tout cas, pour moi ce partage est une expérience poignante. L’utopie incarnée (en même temps dans la réalité fragile de la ZAD et dans l’hologramme du sous-commandant Marcos) réveille en nous un vrombissement, une transmission a lieu, un rappel : quelque chose de chéri, comme un cadeau secret que nos anciens ont conservé pour nous. Pour moi, je sens que cette promesse chuchotée a quelque chose à voir avec la paix et avec la fraternité.

N’hésitez pas : rejoignez les guérilleros de Rodez-Mexico. Derrière la farce : la poésie. Appelez-la « élan », « appel », « contestation » ou « liberté » : le rappel d’une autre réalité, indispensable.  

Jusqu’au 23 avril 2023
salle Copi, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie du bois de Vincennes
D’après le roman de Julien Villa, paru en septembre 2022 aux Éditions Rue de l’Échiquier
Une écriture de plateau par les comédiens et musiciens : Vincent Arot, Laurent Barbot, Tristan Ikor, Clémence Jeanguillaume, Damien Mongin, Renaud Triffault, Noémie Zurletti
Scénographie : Tixador

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