littérature française, Livres, Roman

Rodez-Mexico, Julien Villa, Éditions Rue de l’Échiquier

RODEZ-MEXICO est le premier roman du comédien et metteur en scène Julien Villa, qu’il portera à la scène au Théâtre de la Tempête à partir du 31 mars 2023, par un processus collectif d’écriture de plateau.

Avec sa pièce Philip K. ou la fille aux cheveux noirs, Julien Villa avait inauguré en 2019 une trilogie autour de la figure de Don Quichotte, qu’il poursuit ici. Ces Don Quichotte sont, selon ses mots, des « chevaliers du réel (…) arpentant chacun une époque, dans l’histoire de la société capitaliste ».

Dans RODEZ-MEXICO, on assiste à la transformation radicale d’un jardinier municipal, Marco Jublovski, au départ jeune type nonchalant et désabusé, en meneur d’une fronde populaire et résistant anti-capitaliste qui se fait appeler « le sous-commandant insurgé Marco de Rodez »…

Tout commence sur les Causses du Larzac, où Marco, au sortir d’une rave party, tombe sur la projection d’un documentaire qui lui présente le sous-commandant Marcos, insurgé et meneur de l’armée de libération du Chiapas ; ce dernier lui semble immédiatement son frère jumeau, son double.

Le sous-commandant Marcos, charismatique combattant masqué, éloquent philosophe, poète épris de l’idéal de justice et entré en clandestinité pour servir cet idéal, est une révélation pour Marco Jublovski. Marcos met Marco sur la piste des luttes zapatistes du Mexique mais l’entraîne aussi dans la lecture de Karl Marx, jusqu’à venir à bout du Capital. Jusqu’alors piètre lecteur, Marco s’enflamme et brûle tout son temps libre en diverses lectures politiques et critiques. Peu à peu, un changement intérieur s’opère. Marco, qui, à 30 ans, vit encore chez sa mère, s’interroge sur sa vie, son avenir, sur ses amis, leurs parcours, quand tombe une décision administrative, un ordre d’expulsion : Marco et sa mère ont un mois pour quitter leur pavillon rose saumon, le dernier de la zone industrielle et commerciale du Grand-Rodez, pour laisser place à une coulée verte bordée d’une piste cyclable, selon une célèbre formule prétendant qu’il n’y a pas d’alternative.

Mûri de ses lectures, de ses rencontres et de ses rêves, Marco opère alors sa mue et entre en résistance. Il occupe bientôt le pavillon menacé comme une ZAD et organise avec son collectif des événements sur le rond-point devant chez lui, pour faire connaître sa cause. Il est bientôt rallié par un journaliste déboussolé, des punks à chiens, des bibliothécaires, des hippies et de nombreux laissés pour compte. Et tandis que Marco devient véritablement Marcos, Rodez devient véritablement la jungle du Mexique.

D’après mon expérience, les heures passées à lire RODEZ-MEXICO sont un régal ! On sourit, on rit franchement : la scène de l’interview du journaliste de France-Bleue par la bande de Marco, sur un parking de supermarché en plein soleil, qui met les nerfs du journaliste à vif, est hilarante, comme la scène de la rencontre entre Marco et sa reine punkette Maria, avec ses dialogues décalés et poétiques… De plus, on y découvre ou redécouvre, selon sa culture politique, la lutte du sous-commandant Marcos, les écrits et convictions de Karl Marx, et d’autres analyses critiques du capitalisme ; la théorie de la valeur selon Marx est par exemple expliquée en détails par Marco à sa bande d’amis. Dans ce temps de lecture, on est aussi happé par la force d’un destin qui se réalise. Le suspense fonctionne totalement car le personnage de Marco est très attachant. Ses amis sont les nôtres ; sa nonchalance est la nôtre ; il suffirait d’un rien pour que sa révélation soit la nôtre, c’est-à-dire non pas pour qu’on le rejoigne sur son rond-point de Rodez, mais pour qu’on incarne la lutte que l’on doit incarner ici, que l’on devienne (nous lecteurs) une version plus lucide et plus courageuse de nous-mêmes.

Il s’agit donc d’un récit initiatique captivant, plein d’humour, où le collectif joue un rôle primordial.

Le récit est par ailleurs d’un genre nouveau qui emprunte au fantastique. L’auteur décrit son récit comme un « conte ». Or dans ce conte est à l’œuvre une sorte de magie très spéciale, celle du chamanisme, que Castaneda par exemple, décrit comme un pouvoir transformateur plutôt que comme un sage don de vision. Il y a deux réalités qui se chevauchent. Une réalité visible et une autre invisible. Dans cette réalité invisible se battent des esprits et ces esprits parfois cherchent à nous dire quelque chose et ont le pouvoir d’agir dans le monde visible. Comme si la révélation de Marco n’était pas qu’intérieure, intellectuelle et morale mais comme s’il avait été choisi, avait communié avec des défunts, chevaliers inspirants, dont l’esprit aurait survécu. C’est peut-être le sens de cette ligue des chevaliers que Julien Villa nous propose pour incarner nos rêves en ces temps troublés ?

J’ajoute que l’actualité du temps de ma lecture (oppositions en France au projet de réforme des retraites et exceptionnelle sècheresse hivernale) fait étrangement écho aux circonstances des aventures des héros de RODEZ-MEXICO : oppositions à l’étalement d’une zone péri-urbaine dans une campagne qui subit une exceptionnelle canicule hivernale…

En bref : un roman actuel, politique, au rythme enlevé et au ton plein d’auto – dérision : un bonheur de lecture !

RODEZ-MEXICO est à retrouver à partir du 31 mars 2023 au Théâtre de la Tempête, sous une forme nouvelle, une forme qui devrait nous surprendre, selon la promesse de l’auteur.

Paru en septembre 2022
aux Éditions Rue de l’Échiquier – Domaine Fiction

288 pages / 22€

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