Art-scène, Théâtre

Primera carta de San Pablo a los Corintios

Un dérèglement de tous les sens : c’est la douloureuse expérience de l’Amour mystique par Angelica Lidell.

Le spectacle « Primera carta de San Pablo a los Corintios », « Première épître de saint Paul aux Corinthiens », de et par Angelica Liddell, est le dernier volet d’une trilogie sur l’Amour, sur les émotions primitives de l’être en quête de Dieu (ou de l’Amour). Il clôt le « cycle des Résurrections » qui comprend « Tandy » et « You are my destiny ».

Dans « Primera carta… » on entend et on lit la Bible, mais aussi une lettre (lettre de Marta à Tomas) extraite du film « Les Communiants » d’Ingmar Bergman, et une création d’Angelica Liddell: « Lettre de la Reine du Calvaire au Grand Amant ». Angelica Liddell nous parle de l’Amour, ou plutôt de son impossible venue; elle compare sans cesse nos pauvres expériences de misérables vivants avec nos idéaux de fusion, de transcendance, d’auto-guérison et d’auto-transformation par l’Amour. Cela donne une étrange fête avec d’obscures apparitions.

Premier tableau: La scène comme un majestueux canapé rouge. Des rideaux rouges tombent des cintres, tombent en volutes, s’amassant côté cour et côté jardin, dessinant des vagues de velours sur toute la surface de la grande scène de l’Odéon. En fond de scène, une majestueuse odalisque veille et invite d’abord au désir. Une jeune femme au regard magnétique, dont les cheveux bouclés volent sur un coussin blanc. Sa main gauche couvre pudiquement son pubis, le pied droit enfoui sous le mollet blanc de la jambe opposée, un petit chien dormant en boule à ses pieds. Elle ne rougit pas de sa nudité, et affirme une jeunesse sereine, une disponibilité offerte. Silence. Sur scène, une jeune fille muette est surprise par l’irruption d’un homme nu, grand, fort, aux cheveux longs, la peau entièrement dorée. L’homme se sert du vin dans une coupe qu’il vide; le linge qui essuie la trace de ses lèvres, la jeune fille le gardera jusqu’à la scène finale.

Au 2ème tableau, Angelica fume en déambulant sur le tapis de velours rouge. Les volutes de fumée cachent bientôt entièrement l’odalisque. La sensualité s’obscurcit et le désir devient mortifère. On écoute la lettre de Marta à Tomas, de Bergman.

Au tableau 3, Angelica fume encore, ses longs cheveux noirs coulent de part et d’autre de sa poitrine. Elle dit la « lettre de la Reine du Calvaire. » Une lettre d’amour à un homme qui n’est que le substitut de Dieu, une étape vers Dieu. Une lettre de manque, d’inassouvissement, de désespoir. Où des questions telles que « Est-ce-que la haine est une forme d’amour? » émergent. Quelque rires émergent aussi, du public.

L’amour, juste expression du cœur ou débordement du cœur et dérèglement de tous les sens? De cœur il est beaucoup question, de corps aussi : corps dépouillé, fantasme de corps dépecé, humilié… Faire souffrir pour être puni, pour être racheté et sauvé: devenir le jouet de Dieu… si Dieu existe! Angelica ne dit pas l’Amour, elle hurle: « A quoi bon être calme? » et elle crie: « Je t’aime!!! ».

On ne dévoilera pas les images finales (soumission, sacrifice, vanité de la vie terrestre rappelée par des corps souffrants), visions inédites, nature morte de vierges nues, de sang et de crâne d’animaux.
Oui, les émotions « primitives » sont en effet fascinantes, et il est bon que la poésie dépasse les codes et autres conventions. Le talent d’Angelica Liddell est indéniable, en tant qu’auteur et en tant que comédienne (organique / volcanique).

Mais quelque chose ne fonctionne pas dans cet opus. C’est peut-être la disproportion entre les moyens énormes (des décors notamment) et la pauvreté de ce qui se donne à voir sur le plateau (Angelica fume et déambule, le silence est assourdissant, il ne se passe rien…)?

Mardi, soir de première, le public de l’Odéon est sorti mitigé: dubitatif, surpris, déçu, en colère parfois; les interprètes ont reçu de maigres applaudissements et un seul rappel…

« Primera carta de San Pablo a los Corintios », un spectacle de Angelica Liddell, du 10 au 15 novembre au Théâtre de l’Odéon, avec le festival d’Automne à Paris.

Durée 1h25.
A 20h00 du mardi au samedi, à 15h00 le dimanche.
Déconseillé au moins de 16 ans.
Réservations au 01 44 85 40 40.

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