Art-scène, Théâtre

FOI AMOUR ESPÉRANCE, Odon von Horvath, Usine Hollander

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Un beau spectacle intelligent, fin et angoissant à voir de toute urgence.

Élisabeth, une jeune femme déterminée à quitter ses parents, souhaite s’émanciper par le travail. Son projet est noble: elle ne veut dépendre de personne. Mais la crise vient compliquer ses plans. Elle emprunte 150 marks à un employé de l’institut d’anatomie, qui le lui propose pensant qu’elle est fille d’un « inspecteur des finances » (sous-entendu, bien née et solvable). Découvrant qu’elle n’est que la fille d’un « inspecteur d’assurance », il accuse cette dernière d’abus de confiance.

Comme la jeune femme a déjà été condamnée à une amende pour travail illicite (VRP sans autorisation), elle écope de 2 semaines de prison ferme. Pour échapper au chômage et à la misère, elle accepte de se fiancer à un policier qui la quitte brusquement lorsque l’administration lui apprend les antécédents de la jeune femme, car cette mauvaise fréquentation serait préjudiciable à sa carrière. Et c’est parce qu’elle n’a « plus rien à bouffer » que la jeune femme se jette dans un canal. Cette histoire est basée sur des faits réels, relatés à l’auteur par un chroniqueur judiciaire.

Autour d’Élisabeth se débattent des peureux et des lâches. L’administration est une machine qui fabrique des exclus. En paysage sonore: bruits de bottes et discours de dirigeants braillards. L’atmosphère est délétère. Des coups de feu éclatent pour rien. Comme ce vendredi 13 novembre à Paris, également soir de première pour la Compagnie LA RUMEUR à l’Usine Hollander de Choisy-le-Roi. On sort saisi, pétrifié par l’intensité du drame. Et le réel rattrape la fiction. Les deux époques (1933-2015) se télescopent…

Odon von Horvath, l’auteur, est né en Autriche-Hongrie en 1901. Il est mort à Paris en 1938 dans un banal accident qui lui aura au moins évité de connaître la seconde guerre mondiale. Il a écrit pour le roman et le théâtre. Son œuvre « Jeunesse sans Dieu » allait être adaptée au cinéma. L’année où elle devait être créée, en 1933, sa pièce « AMOUR FOI ESPÉRANCE » fut interdite par le régime nazi. Il nous parle d’un État coupé de ses citoyens, qui construit des murs entre le pouvoir et le peuple et entre les citoyens. La crise (quasiment constante: 1929, 1974, 2008…) fait d’eux des concurrents dans un monde sans compassion. Chacun sauve sa peau, ou presque. Tout le monde est perdant.

Patrice Bigel et la Compagnie LA RUMEUR ont créé de très beaux tableaux à partir de la pièce de Horvath, dans leur lieu, l’usine Hollander (une ancienne tannerie) de Choisy-le-Roi. Juliette Parmantier campe une Elisabeth déterminée et touchante. Bettina Kühlke une belle-mère et une femme du juge épatante. Les hommes ne sont pas en reste. La scénographie est étonnante, éclatant l’espace de la représentation et multipliant les profondeurs de champ. Les lumières participent à une esthétique du cinéma de l’entre-deux-guerres, en noir et blanc, avec des jeux d’ombres, et l’apparition de silhouettes, comme des personnages-types, dont la voix semble émerger d’une foule anonyme. L’étrangeté des corps (entre deux sexes) et la musique (des chansons en Allemand – voix / violoncelle / piano – ponctuent et lient les scènes) évoquent le Cabaret berlinois.

C’est un travail minutieux au service d’une esthétique sophistiquée. Et pourtant ça respire, ça vit, ça n’est pas figé comme une image. Sans doute parce que les choix sont audacieux, inattendus et que la direction d’acteurs est formidable. Un spectacle beau et angoissant à la fois.

« FOI AMOUR ESPERANCE » de Odon von Horvath, par la Cie LA RUMEUR
A voir de toute urgence à l’Usine Hollander, 1 rue du Dr Roux à 94600 Choisy-le-Roi, à 10 minutes du RER C.
Du 13 novembre au 13 décembre.
Les vendredi et samedi à 20h30; le dimanche à 18h.
Réservations au 01 46 82 19 63.

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