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Connemara, Nicolas Mathieu, Actes Sud


Hélène est une quadragénaire du Grand Est. Douée pour les études, elle a fait une grande école de commerce, est montée à Paris pour tenter de réussir dans le consulting. De retour sur ses terres natales, après un burn-out, Hélène repense à (voire revit) ses quinze ans avec une nostalgie douce-amère.

Prenant le prétexte de la relation entre ses deux personnages principaux, Hélène et Christophe (l’ancienne star du lycée qui, lui, est resté au pays) Nicolas Mathieu entrecroise le présent et la jeunesse d’Hélène ; il alterne ainsi chapitre après chapitre les années 2017 et 1993.

Comme dans son précédent roman (Leurs enfants après eux, lauréat du Prix Goncourt 2018), Nicolas Mathieu raconte la France d’en-bas, ou plus précisément de la France du côté (de Nancy). Il reprend le thème de la vie des « vrais » gens et celui de l’adolescence dans les années 1990.

Nicolas Mathieu a un succès fou parce que ses histoires parlent à beaucoup de lecteurs, ces quadra provinciaux ayant grandi en périphérique d’une ville moyenne (la « France pavillonnaire »). Qu’ils soient restés dans leur province ou qu’ils l’aient quittée pour une métropole, ils sont aujourd’hui revenus de tout après avoir soit assisté impuissants au déclin de leur campagne soit sacrifié leur jeunesse à saisir des tableurs Excel ou à remplir des slides PowerPoint.

Nicolas Mathieu s’attache à démontrer que la vie passe vite. Hier encore tu avais quinze ans, des rêves (raisonnables) plein la tête, te voici aujourd’hui arrivé à la quarantaine sans avoir vu passer ni la vingtaine ni la trentaine, et demain il te faudra vieillir puis mourir. Vous l’aurez compris, Nicolas Mathieu a la nostalgie pas vraiment joyeuse ; il ne fait pas dans l’optimisme mais plutôt dans la désillusion, sans aller pour autant jusqu’à l’aigreur. Il raconte avec compatissance mais sans complaisance la vie de la génération X (cette génération mal définie, coincée entre les Baby boomers et les Millenials) : une adolescence aux allures grunges, une jeunesse professionnelle pleine d’optimisme, un présent assez merdique et un avenir pas vraiment riant.

Moi qui ai sensiblement l’âge de l’auteur, j’ai apprécié les multiples références à l’époque de mes quinze ans autant que le constat lucide sur notre société actuelle. L’écrivain maîtrise très bien son sujet, décrit avec acuité la morosité et l’ennui de la jeunesse et réussit même les scènes de sexe (sujet casse-gueule s’il en est).

J’ai aimé lire ce livre dont j’ai dévoré les 400 pages quasiment d’une traite. Oui mais voilà, lorsque je l’ai refermé, un je-ne-sais-quoi me turlupinait.

C’est qu’en arrière-plan, on devine tout le « métier » de Nicolas Mathieu, ses trucs d’écrivain. Ainsi, il choisit avec soin les noms de ses personnages. Il choisit aussi soigneusement son vocabulaire, qu’il soit opérationnel (EBITDA, k€, slides etc.) ou qu’il s’agisse d’un langage plus châtié (« pusillanime », « commensal », « l’orbe massif du crâne », « ses deux séides convinrent qu’il était temps de se replier sur le buffet », « zélotes », « enguirlander », « panoptique », « méphistophélique » etc.) ; ce n’est pas désagréable mais, comment dire, ça veut trop « faire » écrivain. La construction narrative est, quant à elle, presque trop parfaite techniquement pour que l’histoire nous émeuve en profondeur.

Connemara est presque trop bien écrit !




Nicolas Mathieu
EAN : 9782330159702
400 pages, 22€
Actes Sud (02/02/2022)

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