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Transport

Premier roman sur un sujet terrible : le transport des juifs en wagons à bestiaux de la France jusqu’aux camps de concentration. Première oeuvre magnifique d’un grand écrivain précis, qui ose le mariage de Primo Levi, de René Char et du Cantique des Cantiques.

D’Yves Flank, l’auteur, on ne connait pas grand chose et c’est très bien car la singularité bouleversante de son oeuvre se suffit à elle-même. Petit-fils de personnes déportées et sans doute mortes en camp, on suppose qu’il est mû par cette question qui taraude encore aujourd’hui : comment et quoi écrire pour que la mémoire et le souvenir soient maintenus ?

La première partie se passe dans le wagon d’un train à bestiaux entre le départ et l’arrivée en camp. Les personnes qui sont dans ce train sont hétérogènes, de plusieurs pays, parlant le français, l’espagnol, le yiddish. Le premier état dans lequel se trouvent l’homme brun, la femme rousse, le petit garçon, est l’hébétude. Ils ont littéralement du mal à se rendre compte qu’ils se trouvent dans une situation qui les dépouille de leur humanité, les réduit à l’état de bête. Rester un individu, quelqu’un doté de désir et de souvenir alors qu’on n’est déjà plus qu’un corps sur le point de lâcher, telle est leur condition.

Cette première partie, vous devez la lire comme un plongeur en apnée, vous aurez du mal à reprendre votre souffle. Cette première partie en elle-même est un texte capital qui nous suffoque, nous force à ouvrir les yeux sur une situation insupportable.

Cela étant, ce voyage inhumain vers une destination inconnue, n’est pas qu’un rappel du passé. Aujourd’hui, des milliers d’hommes et de femmes accomplissent des « voyages » autour du globe en étant malmenés et repoussés comme ce et ceux qu’on ne veut pas voir.

La deuxième partie est un long lamento, un poème de la fin du monde où la femme rousse se raccroche à ses souvenirs amoureux et érotiques pour garder espoir. Le texte devient alors d’une beauté poétique intense, les mouvements amoureux sont décomposés comme autant de tableaux où le sexe est vie, plaisir et peine mêlés. On lit cette partie et les suivantes, avec au bord des cils les larmes qu’on ne versera pas mais qui sont quand même là.

Yves Flank a une écriture si évocatrice qu’il nous fait autant entrer dans la nature la plus charnelle qui soit que dans la recréation d’un certain Paris des années 1940. Il y a notamment un passage sur les cours des immeubles où se concentre la vie en commun, les chanteurs qui viennent pousser leur mélopée. Il y a aussi un personnage de concierge qui fait froid dans le dos.

Voilà un roman court, intense, concentré et qui ne vous laissera pas indemne. Parfois, découvrir une oeuvre est une expérience en soi. c’est le cas ici.

Yves Flank. 136 pages. Editions de l’Antilope.

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