Art-scène, Théâtre

Mon Lou, Guillaume Apollinaire, Christian Pageault, Lucernaire

 

En 1914, le grand poète Guillaume Apollinaire fait la connaissance à Nice d’une jeune aristocrate dont il tombe éperdument amoureux. Louise de Coligny-Châtillon le fait immédiatement rêver, suscite en lui des sentiments forts, des émois érotiques aussi, au fur et à mesure qu’il lui écrit et surtout après qu’il ait passé avec elle leurs seuls moments charnels. N’oublions pas que le poète est aussi l’auteur du sulfureux Les onze mille verges.

Louise est belle, jeune, tout à la fois frivole et mutine. Féministe avant l’heure, elle ose porter des pantalons (interdits pour les femmes à l’époque), fume, a les cheveux courts et multiplie les amants. Ce sont en grande partie leurs échanges, les lettres charmeuses, tendres puis inquiètes qui vont l’amener le poète à s’engager dans la « grande boucherie ». Louise, pour son amant, devient Lou. Devient tout. (« Mon unique amour et ma grande folie »). Les moments profondément sensuels qu’ils ont passé exacerbent l’imagination d’Apollinaire, qui oublie ensuite les rebuffades de sa maîtresse en rêvant d’elle dans les tranchées. Puis ils rompent, chacun entamant une nouvelle vie amoureuse tout en continuant à entretenir une correspondance. Ils ne se reverront qu’une fois, bien plus tard, à Paris. Retrouvailles froides et distantes.

La comédienne qui lit les superbes lettres du grand poète à son aimée le fait avec un talent époustouflant. Quelle justesse dans l’interprétation ! Elle les aime, ces textes, elle les aime, ces amoureux. C’est une véritable prouesse que de dire ces mots si beaux et qui n’ont pas vieilli. A l’heure des textos, ces lettres, l’une après l’autre, nous touchent et nous émeuvent. Qui n’a pas rêvé de recevoir de si beaux témoignages d’amour ?
La voix, la gestuelle, les regards et les silences de Moana Ferré nous entrainent avec délicatesse dans un univers où l’amour dépasse tout, transcende la douleur, la peur, où la guerre « est si jolie / Avec ses chants, ses longs loisirs ».
Les attentes entre deux batailles sont propices aux mots tendres que l’aviatrice, l’infirmière sur le front, Louise en un nom, reçoit et auxquels elle répond parfois. On a retrouvé six lettres d’elle envoyées à Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky. Aristocrate comme elle. Comte russe d’origine polonaise.
Moana Ferré nous fait pénétrer dans leur intimité sans impudeur. La mise en scène de Christian Pageault y contribue. Papiers disposés, jetés, lus, devenus cocottes ou figures, lettres froissées ou envolées, le premier tableau entraine d’emblée le spectateur dans cette histoire d’amour fou. Sur un écran défilent des paysages, on entend des airs de l’époque fredonnés, tels « Ma Tonkinoise ». Elle prend les phrases – tour à tour sensuelles et suppliantes- à bras-le-cœur. Elle passe un temps le relais à une voix d’homme. Puis, les yeux fermés, elle lit une lettre de l’amoureuse, de la tant aimée. La fin de la correspondance entre ces deux êtres si libres est proche. Moana rouvre les yeux et nous aussi. Magnifique moment de poésie.

 

Textes : Guillaume Apollinaire,
Mise en scène : Christian Pageault
Comédienne : Moana Ferré
Coréalisation : Le Lucernaire

Le Lucernaire, 38, rue Notre-Dame-Des-Champs, 75006 Paris.
Jusqu’au 23 juin, du mardi au samedi à 19H
Tél. : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr 

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