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Une éducation, Tara Westover, JC Lattès

Comment trouver la force de briser les liens, comment échapper à ce qui s'apparente à une secte familiale ?
Comment trouver la force de briser les liens, comment échapper à ce qui s'apparente à une secte familiale ?

Tara Westover grandit dans une famille de Mormons, dans les années 1990 – 2000. Son père, complotiste et millénariste, refuse catégoriquement que ses enfants fréquentent l’école où leur serait dispensée une éducation socialiste non conforme à ses croyances. La fréquentation des médecins est également proscrite car il mieux vaut s’en remettre à Dieu – qui agit par l’intermédiaire de leur mère, herboriste-guérisseuse et sage-femme. C’est à peine si le patriarche consent à fréquenter le temple et les autres Mormons qui se comportent comme des Gentils.

« Je n’avais jamais appris comment m’adresser aux gens qui n’étaient pas comme nous – ceux qui fréquentaient l’école et consultaient le docteur. Qui ne préparaient pas, tous les jours, à la Fin du Monde. Worm Creek était plein de ces gens-là, des individus dont les propos semblaient venir d’une autre réalité. » (page 158)

Peu importe la religion, ce qui importe, c’est le côté dysfonctionnel de la famille Westover et, surtout, l’incroyable façon dont Tara a réussi à prendre le large.

Quelle formidable énergie meut Tara dès l’enfance? Comment elle qui ne sait rien – pas même sa véritable date de naissance (en témoigne cette scène incroyable où sa mère lui soutient qu’elle a vingt ans, alors qu’elle en a à peine seize !)- a pu développer l’envie de tout apprendre?

Tara Westover nous apporte ses réponses, toute en nuance et avec une telle rigueur intellectuelle qu’elle prévient le lecteur lorsque ses souvenirs diffèrent de ceux d’une autre témoin. Car Une éducation n’est pas un roman mais le récit fait par Tara Westover de son enfance et de son entrée dans l’âge adulte.

La vie auprès de son père est à la fois extraordinaire et insupportable. Ce type est un genre de génie autodidacte, capable de résoudre des équations complexes d’une façon toute personnelle. Il est dans le même temps un ferrailleur qui travaille comme un sagouin, mettant constamment son équipe (c’est-à-dire ses propres enfants) en danger. Et lorsque l’accident survient, il refuse qu’ils aillent à l’hôpital. Pire, il reproduit les mêmes erreurs, qui conduisent inévitablement aux mêmes effets catastrophiques.

Pour sauver sa peau (au sens littéral du terme!) il est donc vital de lui résister. Mais toute velléité de désobéissance déclenche les foudres du maître de maison, et cause chez Tara et ses frères et sœur d’intenses conflits de loyauté. Au fond d’elle-même, Tara reste la petite fille qui rechigne à désobéir à son père. Un père n’est-il pas censé être là pour la guider et la protéger?

Quel que soit l’amour qu’elle porte à ses parents, Tara est dotée d’un fort instinct de conservation et d’une ambition exceptionnelle: celle d’apprendre. Lorsqu’elle se tourne résolument vers le monde extérieur, sa famille fait bloc pour tenter de la convaincre qu’elle est une dévergondée, qu’elle est en train de se perdre. Son frère Shawn, particulièrement, exerce son emprise sur elle, soufflant à sa guise le chaud et le froid. Comment dans ces conditions trouver la force de briser les liens, comment échapper à ce qui s’apparente à une secte familiale ?

« Aussi loin que je m’en souvienne, j’étais convaincue que les membres de ma famille étaient les seuls vrais mormons que j’aie jamais connus, et cependant, pour une raison qui m’échappait, ici, dans cette université et dans cette chapelle, je ressentais pour la première fois l’immensité du fossé. A présent, je comprenais: je pouvais me ranger du côté de ma famille, ou du côté des Gentils, dans un camp ou dans l’autre, mais il n’y avait pas d’entre-deux. » (page 284)

Au delà du cas personnel de Tara Westover, ce livre traite bien évidemment de la question de la condition des femmes dans les sociétés traditionnelles. Dieu et le Diable sont utilisés pour les museler. Leurs talents ne sont pas reconnus ni valorisés ; ils ne leurs sont pas propres mais ils sont des dons de Dieu, ou des manifestations diaboliques lorsqu’ils pourraient les conduire à s’émanciper. Il leur est même interdit de s’habiller de façon pratique ou confortable (le père en est encore à considérer qu’une femme montrant ses chevilles est une tentatrice, une dévergondée !).

La mère de Tara est talentueuse mais résolument sous la coupe de son mari à qui elle obéit sans faillir. Les femmes doivent se soumettre à la volonté des hommes, fussent-ils complètement fous. En témoigne cette scène incroyable où Tara tente de prévenir la petite amie de son frère, Shawn, instable et violent ; celle-ci lui rétorque:
« Le diable lui impose plus encore de tentations qu’aux autres hommes (…) A cause de ses dons, parce qu’il est une menace pour Satan. C’est pour cela qu’il a des problèmes. A cause de sa droiture si vertueuse. (…) Il m’a avertie qu’il allait me faire du mal. (…) Je sais que c’est à cause de Satan. Mais parfois, j’ai peur de lui, de ce qu’il va faire, ça m’effraie. (…) C’est un homme d’une grande spiritualité » (page 394)

Un jour, l’un de ses professeurs fait à Tara Westover cette magnifique déclaration: « Quelle que soit celle que vous deviendrez, peu importe en quoi vous vous transformerez, vous serez toujours celle que vous étiez. C’était là, en vous, depuis toujours. (…) En vous. Vous êtes de l’or. » (page 422)

Et ce livre est une pépite !

576 pages / 8,70€
Date de parution: 14/10/2020
Livre de Poche (éditeur d’origine: JC Lattès)

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