Musique

Eurovision 2007

verka

 

Il m’a fallu plus d’une semaine pour digérer l’Eurovision 2007. C’était un samedi soir. Un samedi soir de chronique, un samedi soir de comiques. La Télé. Télé. Insignifiant comme nom. Une lettre. T. Et un adjectif mal prononcé. Laid. Seuls les gens du sud avec un accent en comprennent le sens profond… Vision fantasque d’une soirée qui navigue entre rêve suranné et ovni d’une galaxie Gutenberg méconnue. Drôle de figures. Entre Freaks de Tod Browning et les Schtroumpfs de Peyo. Leur étoile a dû imploser et ils sont venus peupler nos ondes en espérant qu’on les adopte.

Culture populaire du rien et de l’indicible. On essaie de se prêter au jeu. Comme au tirage de la loterie nationale. On invente rapidement le numéro de la boule avant qu’elle n’apparaisse à l’écran. On joue nous aussi jusqu’au moment où une voix pulpeuse nous ramène à la réalité du monde. Tu n’as rien. Tu n’as rien trouvé. Tu as perdu. Les boules n’étaient que des boules. On se console en disant qu’on a bien fait de ne pas avoir joué car on aurait perdu. La preuve. Epiphénomène d’une excitation. Les autres pleurent car ils ont trouvé tous les numéros ce soir-là mais n’ont pas joué. Ils peupleront pour certains la rubrique nécro du quotidien régional… Ce soir-là, ce sont les mômes qui sont contents. Ils sont encore dans le jeu. Pas d’argent dans la tête. Eux seuls comprennent qu’il faut le prendre comme un rien, comme un temps volé incompréhensible.

Ce soir-là, dans les familles de France, on prend une petite feuille et chacun face à son poste note désormais chaque groupe passant à la T-lé. Lequel vais-je adopter ? A qui vais-je faire honneur ce soir ? Qui va recevoir mon dévolu ? Que je me sens bien. Ces êtres enfermés dans cette petite boîte en deux dimensions. Je me sens roi, je me sens reine. Le spectateur est roi. Coup de bol, ce soir la Cour des Miracles a donné ce qu’elle a de meilleur. Il y a du Gwynplaine, de l’Homme qui rit, de l’Esméralda en toc, du troubadour de premier choix, du mégalo-paillette. Comment ont-ils fait pour les réunir ? Comment en est-on arrivé là ? Quelle chance pour moi. C’est inespéré.

Ca commence. Pas de voix pulpeuse. Deux voix masculines. Un certain Tex. Et « Le Perse ». Encore deux extra-terrestres. La soirée s’annonce belle. Je ne me trompe pas. Les calembours s’enchaînent avec une dextérité plus ancienne que celle du 18ème siècle. J’admire Tex.  Comment a-t-il fait pour réactualiser trois siècles de calembours tombés dans l’oubli ? Il y a trois siècles, pour des mots d’esprit aussi recherchés en prime time, il aurait fini au bout d’une corde. Ce soir il triomphe. Le chanvre n’existe plus. Pirouettes de mots, volutes phonétiques nauséabondes, tout passe. « Le Perse », gladiateur renommé approuve. Ca applaudit de plus belle. « Le Perse » est un joueur friand. Pour le plaisir. Pour la facilité. Le Perse, animal de télé, montre sa supériorité en traduisant les calembours puants de Tex. Ce soir, tout le monde est fier. Ca sent la préparation et le spectacle de grande qualité.

Les artistes défilent, formatés pour l’écran. Tous essaient d’imposer leur temps et leur espace en quelques minutes. Droit au but. La visite du zoo est splendide. La magie fait effet. On aime tous la lenteur de l’éléphant et la rapidité du singe réunies dans un même lieu. Au programme ce soir, je relève :

Bosnie-Herzégovine Maria ŠESTIÆ, Rijeka Bez Imena
Espagne D’NASH, I Love You Mi Vida
3. Belarus Koldun, Work Your Magic
Irlande DERVISH, They Can’t Stop The Spring
Finlande Hanna PAKARINEN, Leave Me Alone
6. Macédoine Karolina, Mojot Svet
7. Slovénie Alenka GOTAR, Cvet Z Juga
8. Hongrie Magdi RÚZSA, Unsubstantial Blues
Lituanie 4FUN, Love Or Leave
10 Grèce Sarbel, Yassou Maria
11. Géorgie Sopho, Visionary Dream
12 Suède THE ARK, The Worrying Kind
13 France LES FATALS PICARDS, L’amour À La Française
14. Lettonie BONAPARTI.LV, Questa Notte
15 Russie SEREBRO, Song #1
16 Allemagne Roger CICERO, Frauen Regier’n Die Welt
17. Serbie Marija ŠERIFOVIĆ, Molitva
18 Ukraine Verka SERDUCHKA, Dancing Lasha Tumbai
19 Royaume-Uni SCOOCH, Flying The Flag (For You)
20 Roumanie TODOMONDO, Liubi, Liubi, I Love You
21. Bulgarie Elitsa TODOROVA & Stoyan YANKOULOV,Water
22. Turquie Kenan DOĞULU, Shake It Up Shekerim
23 Arménie Hayko, Anytime You Need.
24. Moldavie Natalia BARBU, Fight

Je décerne des points et je paye par sms ou téléphone. C’est mon écot. 24 artistes venus pour représenter leur étoile et ce qui se fait dans leur contrée.

La contrée France est représentée par Les Fatals Picards. Un groupe d’artistes qui traverse de long en large la campagne française depuis des années. Bien connus pour leurs délires scéniques dans l’excès et le décalage. Les costumes ont été fabriqués par Jean-Paul Gaultier nous répète quatre fois « Le Perse ». Cela tombe bien, ce n’est pas un défilé de mode. Mais Jean-Paul est décalé. Le monde et ses 120 millions de téléspectateurs attendent les tri-o-lets, les blan-ches, noire, noire, blan-che, et du vivant. Le commentaire de « Le Perse » est réaliste, conformiste, décevant. Moi je veux de l’outrance ! Du rose sur les costumes pour l’ « Amour à la française « , jusque là rien de bien anormal. Un animal noir en peluche sur une épaule. Ah ! Enfin du toc ! Le zoo a lâché les fauves. Le feu va prendre et les bêtes s’effrayer. Ca va détaler pour sauver sa peau. Courir pour gagner sa pitance. Cheveux gominés et regard de merlan frit. Musique gnan gnan en autodérision avec un texte à la « It is not because you ah ah » du feu extra-terrestre Renaud. La bête court après la caméra, un peu effrayée mais c’est un feu de paille. L’immolation du plateau n’a pas lieu. Le ridicule prend moyennement. L’autodafé est un pétard mouillé. Où sont les Fatals ? Mangés par la machinerie. Les quatre coins de l’écran ont rationalisé l’étrangeté du vivant. Ils ne mentent pas assez pour écraser l’industrieuse télé. Ils nous ressemblent presque. On aurait dû envoyer Didier Wampas comme m’a dit Roland Caduf récemment. Le Wampas est un fauve imprévisible. De quoi se payer une bonne tranche de rire ! De quoi faire courir les caméramans et placer les commentateurs en mauvaise posture ! Du risque !

Avant, après. La parade avance inexorablement. Boule suivante, le 17. « Madame est Serbie » lance Tex. Le chanvre n’existe plus. Au 17ème siècle en Angleterre, on enroulait certains individus dans de la toile enduite de goudron. On dressait une potence sur la côte britannique, et on y laissait le gibet danser au vent. L’individu, relique du mauvais goût, décourageait les plus redoutables… Dieu merci, on a gagné en humanité. Sacré Tex. T’as de la chance. Marija Serifovic a une puissance vocale qui décoiffe. Derrière, ses chœurs ont des coupes de cheveux bétonnées. Du classique hors-norme, de la nougatine galactique. De gigantesques pièces montées fardées de cosmétique. Devant, Marija, ramassée sur elle-même se lance dans le mélodramatique. On y croit presque. Ca sent le mensonge. C’est bon.

Boule suivante, le 18. Le tirage est imprévisible. Toutes les boules arrivent dans l’ordre ce soir. Il n’y aura pas de gagnants, je le sens. Ce n’est pas possible, le jeu est truqué. Que font les huissiers ?

18. La comète. Celle qui ne passe que tous les 8 ou 10 ans. Verka SERDUCHKA. L’Ukraine. Une étoile jonchée sur la tête, combinaison en alu, de faux seins proéminents en ogive qui agressent l’oeil, présentée comme un travesti célèbre par « Le Perse », Verka s’éclate. Décidée à s’amuser plus qu’à porter la parole de sa nation, sur un rythme binaire, Verka danse. Dans l’excès et la démesure. Vous voulez du ridicule, je vais vous en donner. Vous voulez du visuel, du cul et du flashy ? Ca tombe bien, on a beaucoup travaillé pour arriver là. Le public danse debout à Helsinki. Verka a vu juste. Nous sommes au sommet. L’Eurovision est là.

J’éteins la T-lé.

En fin de soirée, j’apprends que les Fatals Picards sont presque dernier et que Verka est seulement deuxième. J’ai encore perdu, je pensais qu’elle arriverait première. Mais alors qui est le gagnant de cette mascarade 2007 ? Marija Serifovic, « Madame est Serbie » gagne pour la première fois l’Eurovision. Tex est content. Il a mérité amplement son salaire.

Le lendemain, j’apprends que Marija Serifovic aurait gagné avec un morceau plagié sur l’Albanie. Bienvenue dans la galaxie Gutenberg ! Ca, c’est du bon. L’apogée du non-sens.

sur Youtube : film

Le dernier couplet de sa chanson dit :
 » Mais je ne peux mentir à Dieu
pendant que je prie
et je mens si je dis
que je ne t’aime pas  »

Je suis rassuré, elle mérite amplement sa place. Tout le monde a menti. Même le temps m’a fait croire qu’il était avec moi ce soir.

 

Sébastien Mounié © Etat-critique.com – 22/05/2007

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