Art-scène, Théâtre

Angels in America, Tony Kushner, Aurélie Van Den Daele, l’Union Limoges

Pour cette première rencontre entre le public du Théâtre de l’Union et le travail de sa nouvelle directrice, le théâtre s’est transformé en une fête : bonbons, préservatifs, affiches colorées, arc en ciel, musique, hotdog et public en nombre.

A vrai dire, je n’avais jamais entendu parler de cette pièce pourtant lauréate d’un Prix Pullitzer et montée à la Comédie Française par Arnaud Desplechin. Voilà qui en dit long sur ma culture fragmentée, sur la façon dont je suis passée à côté des années sida pourtant au cœur de mon adolescence. Je dois donc bien admettre que, trop préoccupée à me hisser toujours plus haut, je ne voyais pas combien j’étais sclérosée dans une classe de dominants taisant son nom, aveugle à ses propres privilèges. Pourquoi raconter tout cela ? Et bien, parce qu’à mon sens, c’est ce dont parle Angels in America : ce que la liberté nous fait ou pas, ce que nous percevons des oppressions que nous subissons, ce que nous occultons de celles que nous exerçons, tout cela englobant notre inscription dans les institutions, notre rapport à la sexualité, à la norme, aux minorités, au mensonge, au pouvoir, etc.

Je suis passée par différents sentiments. Tout d’abord, la joie de la découverte, celle de sentir le théâtre vivant, de voir de jeunes spectateurs heureux d’être là, de découvrir le plateau et les comédiens jouant en nous attendant, nous, public.

Et puis, la première scène où le jeu se fait avec un accent forcé m’a coupée du texte me faisant craindre le pire et, passé ce moment de doute, le plongeon dans l’histoire. Les histoires des uns et des autres qui s’entremêlent, se croisent dans des espaces qui s’ouvrent et se ferment dans une belle mise en lumière.

La scénographie avec son grand plateau relativement dépouillé dans lequel s’inscrit une boite transparente est particulièrement heureuse. Cet espace dans l’espace, voilà exactement ce dont il retourne tout au long de la pièce : l’endroit de nos angoisses, de nos visions, l’ailleurs dans le présent, l’espace de la mort omniprésente et séparée, ce qui est là et que nous ne pouvons pas voir.

Certains acteurs m’ont particulièrement séduite -et pas que moi- d’autres ont des rôles plus ingrats et j’ai éprouvé quelque difficulté à faire la part entre la répugnance qu’inspire le personnage et un jeu moins envolé.

Et puis, à la fin de la première partie, un ami a posé cette question « Je me demande quelle est l’utilité de ce genre spectacle ? ». Voilà qui venait caresser un léger sentiment de déception. Autant de doutes balayés en découvrant la deuxième partie, en vivant l’évolution des personnages, chacun aux prises avec son devenir qu’il soit confronté à la mort, survivant ou sorti du placard. Il m’est apparu absolument nécessaire de faire vivre ce texte, de montrer encore et encore combien vivre au pays des libertés est une rude épreuve. La standing ovation témoignant que nous étions nombreux à partager cette nécessité.

PS: pour prolonger, je vous recommande La série documentaire du 14 décembre 2021 sur France Culture (Quand la création raconte le sida 2/4 : Corps souffrants, corps combattant) où Aurélie Van den Daele raconte l’accueil de son projet.

PPS: « J’avais beau exploser de désir, la honte me faisait haïr tout ce qui aurait pu me rappeler ce que j’étais. J’avais peur de moi. Un soir le lycée nous avait emmenés voir une pièce de théâtre à la Maison de la culture. La pièce s’appelait Angels in America. Je n’en avais jamais entendu parler. »
Edouard Louis, « Changer : méthode »

du 16 au 18 décembre 2021
Théâtre de l’Union, Limoges

Mise en scène Aurélie Van Den Daele –  Dramaturgie de la traduction Ophélie Cuvinot-Germain – Assistanat à la mise en scène Mara Bijeljac – Lumières/vidéo- Son-Scénographie Collectif INVIVO Julien Dubuc – Grégoire Durrande – Chloé Dumas – Costumes Laetitia Letourneau – Avec Antoine Caubet,  Emilie Cazenave, Gregory Fernandes, Julie Le Lagadec, Alexandre Lenours, Sidney Ali Mehelleb, Pascal Neyron, Marie Quiquempois

https://www.franceculture.fr/emissions/series/quand-la-creation-raconte-le-sida
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