Art-scène, Exposition

Exposition « Le Grand Dauphin (1661-1711), Fils de roi, père de roi et jamais roi » au Château de Versailles

A la mort de Louis XIV, en 1715, il ne reste pour lui succéder qu’un orphelin de cinq ans, son arrière-petit-fils, le futur Louis XV. Qu’est-il donc advenu des deux générations qui l’ont précédé ? Le Château de Versailles, qui avait consacré à Louis XV et à ses passions une très belle exposition il y a deux ans, revient sur le destin du fils unique de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche, père lui-même de trois garçons parmi lesquels le futur roi Philippe V d’Espagne. Comme son fils aîné, le « petit Dauphin », il mourut quelques années avant la fin du règne de Louis XIV et ne fut donc jamais roi.

Louis de France ne fut en fait appelé « grand » Dauphin qu’après sa mort, pour le différencier de son fils, devenu le nouveau Dauphin de 1711 à son propre décès, l’année suivante. De son vivant, il était appelé « Monseigneur ». Cependant, le titre de « Dauphin » était utilisé pour désigner l’héritier du trône de France depuis 1349, date à laquelle la région du Dauphiné (nom dont l’origine elle-même est obscure) fut rattachée au royaume de France. Le fils de Jean II le Bon, Charles V le Sage, fut le premier à porter ce titre.

L’animal héraldique est donc omniprésent dans l’exposition, sur la plupart des objets ayant appartenu au fils de Louis XIV ou l’ayant représenté : cadres des tableaux, socles des bustes, canons en modèles réduits, plateaux des commodes marquetées… Il y est figuré non pas de manière naturaliste, bien que les artistes français aient pu avoir l’occasion d’observer de véritables dauphins, mais selon des modèles antiques qui le font ressembler à un étrange poisson au museau épais, parfois proche d’un dragon.

L’exposition, foisonnante, sur un parcours qui ne compte pas moins de 14 salles, suit les trois grandes étapes de la vie de ce prince, perfidement résumées par le mémorialiste Saint-Simon (« fils de roi, père de roi et jamais roi ») :

–       l’évènement de sa naissance et son enfance, marquée par une éducation aussi soignée que sévère ;

–       son mariage, en 1680, avec Marie-Anne de Bavière et la naissance de leurs trois fils, dont le cadet succède au roi Charles II d’Espagne (fils de Philippe IV), mort sans descendance en 1700 ;

–       les passions de Monseigneur, de son mariage à sa mort, pour les œuvres d’art et objets précieux, dont il fut un éminent collectionneur, pour la chasse et pour son domaine privé de Meudon.

La première partie est particulièrement intéressante pour comprendre le contexte des premières années du règne personnel de Louis XIV, l’importance accordée à la naissance de son héritier légitime, seul survivant des six enfants qu’il eut avec la reine Marie-Thérèse, et la manière dont on élevait alors les enfants princiers.

Le fils de Louis XIV, bien qu’oublié après sa mort, a fait l’objet de très nombreux portraits dans son enfance. On le voit porter des vêtements féminins dans ses premières années puis, après son somptueux baptême, à l’âge de six ans et demi – âge auquel l’enfant a plus de chances de survivre – vêtu comme un roi en miniature.

La plupart des œuvres sont issues des collections de Versailles mais rarement exposées, comme cette curieuse réunion de la reine mère Anne d’Autriche, de Marie-Thérèse et du Dauphin (vers 1664), par Charles et Henri Beaubrun, qui évoque une sainte famille (sainte Anne, la Vierge Marie et l’Enfant).

Plusieurs portraits, cependant, proviennent de Madrid, où ils avaient été envoyés au grand-père maternel du Dauphin, le roi Philippe IV d’Espagne. Sont exceptionnellement réunis, notamment, le portrait de Marie-Thérèse et de son fils, vêtus d’un extraordinaire costume de fête « à la polonaise », celui du Dauphin à l’âge de deux ans, par les mêmes frères Beaubrun, et l’émouvante effigie de sa petite sœur Marie-Thérèse de France, morte à l’âge de cinq ans, par Jean Nocret. 

Ce n’est qu’à l’âge de sept ans qu’il est d’usage pour un garçon de « passer aux hommes », soit de quitter le giron des femmes pour être confié à des éducateurs masculins. Supervisée par son précepteur, le prédicateur Jacques Bénigne Bossuet, dont un très beau portrait par Pierre Mignard est prêté par Meaux, son éducation comprend de très nombreuses disciplines, destinées à le préparer à son métier de roi : histoire, géographie, héraldique, français, latin, mathématiques, physique, dessin, musique, cartographie, ou encore art militaire, sa matière préférée. Les devoirs de français du jeune prince écolier, corrigés par Bossuet, ou ses dessins à la plume, exécutés avec l’assistance de son maître, le graveur lorrain Israël Silvestre, nous le rendent plus proche.

Le plafond de la chambre du Dauphin aux Tuileries avait été orné par Jean-Baptiste de Champaigne de très belles scènes peintes sur fond doré, sur le thème de l’éducation d’Achille. Heureusement déposés à la Révolution, encadrés et conservés au Louvre, ces décors ont échappé à l’incendie du château en 1871. La peinture qui était placée au centre de l’alcôve, une allégorie de l’Aurore et la Nuit, est particulièrement poétique.

Parmi les plus belles œuvres présentées au cours de l’exposition se trouvent plusieurs bustes en marbre de Louis XIV, du Dauphin et de la Dauphine par Antoine Coysevox, sculpteur lyonnais qui participa à la décoration du château de Versailles et de ses jardins. Le plus remarquable est peut-être le profil gravé en bas-relief du jeune homme (vers 1676-1677), dont il parvient à rendre expressifs les traits pour le moins disgracieux.

La deuxième partie de l’exposition permet de réunir plusieurs portraits des trois fils du Dauphin et de son épouse, Marie-Anne de Bavière (nés en 1682, 1683 et 1686). L’un des plus beaux est celui que fit Hyacinthe Rigaud du duc de Bourgogne, leur fils aîné, en 1703 : représenté en chef des armées dans les Flandres (où il ne s’illustra pourtant pas), l’écharpe blanche et le cordon de l’ordre du Saint-Esprit se reflétant sur sa cuirasse, les cheveux au vent, il désigne le champ de bataille à l’arrière-plan. Cette mise en scène militaire rappelle le portrait que fit Rigaud du Grand Dauphin en vainqueur de Philippsbourg (une citadelle alsacienne occupée par les troupes impériales de Léopold Ier de Habsbourg, assiégée par l’armée française en 1688), la grande victoire qui l’avait couvert de gloire onze ans plus tôt.

Un portrait de la famille princière avec les enfants petits, en 1687, par Pierre Mignard, laisse deviner la mésentente du couple. On y voit le père de famille à l’écart du groupe, déjà empâté, vaguement ennuyé et rêvant d’autres plaisirs, la mère, triste, le regard absent, épuisée par de trop nombreuses grossesses, qui tient mollement la main potelée de son dernier-né, le fils aîné, impétueux, brandissant une lance, et le cadet, plus calme, occupé à caresser son petit chien.

La troisième partie aurait pu fournir le sujet d’une exposition à part entière tant elle est pléthorique : il s’agit de donner un aperçu des immenses collections d’œuvres d’art réunies par Monseigneur dans son dernier appartement à Versailles – trois pièces au rez-de-chaussée, au sud du corps central du château –, puis dans le domaine de Meudon que Louis XIV racheta pour lui à la veuve du marquis de Louvois (ancien secrétaire d’État à la Guerre puis surintendant des bâtiments du roi), en 1695.

Une salle donne un aperçu du mythique cabinet des Glaces de Monseigneur à Versailles, chef-d’œuvre de marqueterie – pour les murs, le parquet et les consoles – de l’ébéniste Charles Boulle, et quelques-unes des extraordinaires pièces d’orfèvrerie, gemmes, porcelaines et statuettes en bronze qui s’y trouvaient, aujourd’hui dispersées.

Un peu plus loin, un film offre une intéressante reconstitution en 3D du château de Meudon vers 1715, avec son « château-vieux » datant du XVIe siècle et le « château-neuf » que bâtit Jules Hardouin-Mansart pour le Dauphin entre 1706 et 1709. Plusieurs des plus beaux salons et cabinets de ces deux châteaux sont présentés, ainsi que la chapelle accolée au château-vieux, également édifiée par Hardouin-Mansart en même temps que celle de Versailles.

Les fabuleux jardins conçus par André Le Nôtre pour Louvois dans les années 1680, simultanément au chantier de Versailles (et à ceux des autres résidences royales) sont évoqués par des dessins d’Israël Silvestre et des eaux-fortes plus tardives de Jacques Rigaud.

En dépit des panneaux explicatifs, le visiteur est un peu perdu à travers ces vastes espaces et ne comprend qu’à la fin de la visite que, de toutes ces merveilles, il ne reste pas grand-chose : le château-vieux a été incendié en 1795 et le château-neuf, occupé par les Prussiens et bombardé depuis Paris en 1871.

Louis de France meurt en 1711, à 49 ans, de la variole, une maladie tellement contagieuse qu’il est inhumé sans cérémonie à Saint-Denis. Louis XIV le pleure mais la cour l’oublie bien vite, occupée à enterrer ses successeurs : le petit Dauphin, son épouse, puis leur fils aîné, moins d’un an plus tard. Une gravure au burin représente un projet de monument funéraire pour son tombeau, qui ne fut jamais réalisé.

jusqu’au 15 février 2026
au Château de Versailles,

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