« Peindre, c’est agir » – c’est le titre donné à l’introduction de cette exposition qui se focalise sur l’engagement politique de David : engagement révolutionnaire, particulièrement durant la Terreur (1792-1794), auprès des Jacobins et de Robespierre, qui lui vaudra deux séjours en prison, puis auprès de son nouveau héros, le général Bonaparte devenu empereur.
Cette vaste et riche exposition – on n’en attendait pas moins pour présenter un tel monument de l’histoire de l’art, « régénérateur de la peinture » et chef de file du style néoclassique – s’articule en trois grandes parties :
– les débuts difficiles puis l’ascension de l’artiste à partir de 1774, quand, enfin lauréat du Grand Prix de l’Académie royale de peinture et de sculpture à l’âge de 26 ans, après trois échecs, il part poursuivre son apprentissage à Rome avec son maître Joseph-Marie Vien ;
– la période révolutionnaire, de 1789 à 1794, durant laquelle il cumule les fonctions de député, membre du Comité de sûreté générale (police politique) et du Comité d’instruction publique (organisation des fêtes révolutionnaires), mais tombe en disgrâce avec Robespierre et effectue deux séjours en prison ;
– enfin son retour sur la scène publique après son amnistie, son admiration pour Napoléon, auquel il restera fidèle en 1815, et son exil à Bruxelles jusqu’à son décès, en 1825 – il y a deux cents ans.
Les nombreux panneaux qui rythment le parcours et les cartels des œuvres sont parfaitement clairs et apportent toute l’information souhaitée, sans noyer non plus le visiteur. Le Louvre conserve le plus important ensemble d’œuvres de David et la plupart des toiles exposées viennent du musée même. Parmi ses grandes toiles, cependant, seuls Le Serment des Horaces (1785) et Les Sabines (1799) ont été descendues pour l’exposition. Le visiteur est invité à aller voir Léonidas aux Thermopyles (1814) et Le Sacre de Napoléon Ier (1806-1807), qu’il aurait été trop long de détailler dans ce contexte, à leur place habituelle, aile Denon.
Le propos vise à donner une image du peintre fidèle à son tempérament passionné et idéaliste – jusqu’à la cruauté, sous la Terreur, puisqu’il ne fit rien pour éviter la guillotine à plusieurs de ses amis, tels le poète André Chénier ou le chimiste Antoine Lavoisier – que sa recherche de l’épure et de l’austérité classique ont pu faire oublier. S’il fut académicien à trente-trois ans, ce fut pour mieux contester l’institution. Ironie de l’histoire, lui qui réclama l’ouverture du Salon à tous les artistes et fit supprimer les académies en 1793, passe aujourd’hui pour un peintre académique !
On le voit dans les premières salles chercher sa voie, entre le goût rococo (peinture claire et animée) d’un Boucher ou d’un Fragonard et le classicisme (style plus austère, idéal de beauté antique) de Nicolas Poussin. Son séjour à Rome, la découverte des antiquités romaines puis celle de l’œuvre du Caravage, sont décisifs dans son cheminement vers le néoclassicisme, qui aboutit en 1785 au Serment des Horaces, véritable manifeste qui triomphe au Salon.
L’exposition montre surtout l’évolution de la réflexion de David sur l’héroïsme et les sacrifices exigés au nom d’un idéal, à travers les thèmes tirés de l’Antiquité et de la mythologie qu’il choisit : La Douleur d’Andromaque (1783), Le Serment des Horaces, (1785), La Mort de Socrate (1787) et, enfin, Les Licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils(1789), prémonitoire des sacrifices qu’il exigea lui-même de ses concitoyens au nom de la République. Sur l’esquisse préparatoire (conservée à Stockholm) apparaissent même sur des piques les têtes coupées des deux fils, macabre détail supprimé dans le tableau final. Au début de la troisième section, Les Sabines (1799) marque la conclusion de cette réflexion par un appel à la réconciliation nationale : l’idéal républicain a causé assez de victimes ; cette fois, la douleur des femmes doit être entendue par les guerriers.
La même année que Les Licteurs, il est aussi capable de produire pour le jeune frère de Louis XVI, le frivole comte d’Artois (futur Charles X), une charmante scène galante, qui n’en est pas moins d’inspiration mythologique : Les Amours de Pâris et d’Hélène. Ce tableau et la réplique qu’il en fit pour une riche aristocrate polonaise, avec d’infimes variations de couleurs, sont exposés côte à côte. David applique sa technique virtuose à ce sujet d’une grande douceur, soignant particulièrement les drapés aux coloris raffinés, en particulier dans la version initiale où le rose aux joues des amants répond à celui de la tunique d’Hélène.
Alors que les murs des première et troisième parties sont peints de couleurs claires, ceux de la partie centrale – spécifiquement les années « noires » 1792 à 1794 – sont en noir, percés de claires-voies et de lucarnes, évoquant une prison.
Une alcôve sert d’écrin au tableau considéré, dans le cadre de cette exposition, comme le grand chef-d’œuvre de l’artiste : La Mort de Marat (1793, conservé à Bruxelles). A droite et à gauche de l’œuvre originale lui font face ses deux copies d’atelier (l’une au Louvre, l’autre à Versailles). Dans cet hommage destiné à élever son ami assassiné au statut de martyr de la Révolution, David pratique avec brio l’art de l’épure – le sujet n’occupant que la moitié inférieure de la toile et se détachant sur un fond neutre presque noir –, et celui du clair-obscur caravagesque. Il s’inspire d’ailleurs de la Déposition du Christ (vers 1600) de Caravage pour créer une icône presque christique.
A l’entrée et à la sortie de cette patrie centrale, les deux autoportraits du peintre, celui de 1791 (conservé à Florence), alors qu’il prépare le Serment du Jeu de Paume, et celui de 1794 (au Louvre), exécuté pendant son incarcération au palais du Luxembourg, brossés l’un et l’autre avec vivacité, expriment, à travers sa mise un peu désordonnée et son regard fiévreux, la même fougue, le même désir d’action.
Après son amnistie, David reprend son activité de portraitiste, notamment de sa famille et belle-famille : il avait peint ses beaux-parents, le couple Pécoul dans les années 1780 ; il représente son épouse, Charlotte, et ses deux filles jumelles en 1812-1813, portraits exceptionnellement réunis, venus de Washington, San Francisco et Winterhour (Suisse). Le portrait sans concession de Charlotte Pécoul, qui, ne supportant pas le jacobinisme de David, divorça en 1793, mais le réépousa en 1796, est particulièrement expressif, avec ses petits yeux bleus brillant d’intelligence.
Fervent admirateur de Napoléon, dès 1797, il s’efforce de suivre son épopée et en livre de superbes portraits (dont le mythique Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, 1800, conservé à la Malmaison), concurrencé cependant par des peintres plus jeunes tels que son élève, Antoine Jean Gros.
La fin de l’exposition évoque son exil – volontaire, après le pardon accordé par Louis XVIII – à Bruxelles et ses relations ambivalentes avec l’un des plus doués de ses élèves, Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867). Ce dernier, formé au style néoclassique, va peu à peu s’en éloigner pour rechercher, depuis Rome, où il a découvert les œuvres de Raphaël et Léonard de Vinci, un Beau idéal, détaché de toute ambition politique. David livre encore quelques très beaux portraits, mais le monde sans héroïsme qui advient après la chute de Napoléon pèse sur son inspiration.
Au puissant Jupiter et Thétis envoyé par Ingres au Salon en 1812 (conservé à Aix-en-Provence), dont le style archaïque et les déformations expressives sont tout à fait novateurs, David répond , douze ans plus tard – sans doute avec ironie –, par un Mars désarmé par Vénus et les Grâces (1824, à Bruxelles), terriblement kitsch.
jusqu’au 26 janvier 2026




