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Un Pays Invisible, roman familial

invisiblePonctué de photos d’époque, le récit de Stéphan Wackwitz plonge dans le passé familial pour y trouver l’âme d’un pays, celui de Goethe autant que d’Hitler.

Tout commence lorsque le père de Stephan Wackwitz apprend qu’on a retrouvé un appareil photo lui appartenant et qu’il avait perdu à la fin des années 30, quand il était enfant et qu’il voyageait en bateau de retour d’Afrique en direction de l’Allemagne.

Cet appareil photo aura-t-il conservé des souvenirs lointains ? Cette possibilité de retrouver un passé enfoui dans la mémoire de quelques uns et l’oubli de beaucoup d’autres, amène Stephan Wackwitz à se souvenir de la personnalité d’Andreas Wackwitz, son grand-père, et le pousse à interroger les ambiguïtés d’une génération allemande, celle de son grand-père, c’est-à-dire, celle d’Adolf Hitler.

Ce qui est intéressant dans Un pays invisible, c’est que la relation père/fils est gommée au détriment de la relation grand-père/petit-fils. Stephan Wackwitz interroge les croyances, le comportement de son grand-père pour trouver un écho à son parcours, à son propre comportement. Il s’est bâti en réaction aux croyances, à la manière d’être de ce pasteur protestant qui se comportait en pater familias.

Ainsi, dans les années 1970, Stephan a failli s’engluer dans la protestation d’extrême-gauche violente. Il relie ce moment de son existence à celle d’Andreas, grand-père ratiocineur, qui avait entrepris de raconter sa vie sur des cahiers de papier-pelure afin que ses enfants et petits-enfants puissent bénéficier de son « expérience ».

Nous savons bien que par rapport à un élément majeur de la cellule familiale, nous nous bâtissons CONTRE cette personne, quitte, comme dirait Guitry, à être tout contre.

Composé de plusieurs chapitres denses, ce récit est une œuvre profonde sur le temps qui passe mais également sur les croyances révolues d’une époque passée. Wackwitz nous fait lire un récit d’un voyage en Amérique de son grand-père, où ce dernier, en toute bonne foi, se livre à des réflexions racistes et insoutenables concernant les noirs, tout simplement parce qu’à l’époque d’Andreas, il était coutumier de penser ainsi.

On ne saurait en quelques mots, rendre compte de la richesse et de la profondeur d’un tel livre. Disons que le voyage intérieur qu’entreprend le narrateur en marchant dans les pas de son grand-père, eh bien le lecteur entreprend un voyage similaire dans ses propres souvenirs.

Autre passage fort réussi : entre les années 1920 et 1930, Andreas et sa famille ont séjourné dans un village qui se trouvait à dix minutes d’Auschwitz et ils y ont été heureux. Or, rétrospectivement, Wackwitz considère que le bonheur près d’un tel endroit devrait être interdit.

On retrouve à la lecture de ce livre le plaisir de la grande littérature allemande : ça n’est ni facile, ni d’une gaité débridée mais on réfléchit et on s’émerveille à chaque page. Wackwitz fait partie de ces écrivains qui vous font la grâce de vous prêter un peu de leur profondeur.

318 pages – Laurence Teper

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