Art-scène, Théâtre

Trahisons, Harold Pinter, Comédie Française

Le classique trio amoureux du théâtre bourgeois (le mari, la femme, l’amant) est ici décortiqué et raconté à rebours.

Dans la première scène, Emma et Jerry se revoient deux ans après leur rupture. Jerry est l’ami de jeunesse de Robert, le mari d’Emma. En quelques tableaux situés de plus en plus loin dans le passé, on ausculte le sentiment amoureux (et amical) au cours de conversations brillantes et de remises en question permanentes.

La première période d’écriture de Harold PINTER (Prix Nobel de Littérature en 2005) est appelée le « théâtre de la menace ». Cette expression prend tout son sens sur la scène du Vieux Colombier 1, grâce au formidable trio de comédiens, sociétaires de la Comédie Française (Denis Podalydès interprète Robert, Laurent Stocker, Jerry et Léonie Simaga, Emma). En effet, les longs silences qui ponctuent les échanges sont habités et denses. C’est dans le silence que se prépare la réaction de chacun, et l’on peut voir, non seulement sa réaction finale (que retiendra l’histoire) mais aussi les tentations que son corps ressent et que sa pensée examine avant de trancher. Denis Podalydès notamment passe de la camaraderie à la distance désabusée puis à la colère sourde; il a parfois le regard dur du tyran familial ou du potentiel meurtrier de l’amant de sa femme. La scène des aveux notamment marquera les esprits. En bref, les comédiens incarnent savamment « la dimension troublante, le tremblé au coeur de la relation »2.

Qui est le plus cruel? Le plus souffrant? Le plus trahi?

Pas de machiavélisme ici, seulement un sentiment de lâcheté ordinaire et consciente, dont on se demande si l’on en est exempt…

1  Le Théâtre du Vieux Colombier (Métro Saint-Sulpice) est l’une des trois salles de la Comédie Française, avec la salle Richelieu (place Colette) et le studio théâtre (sous la pyramide du Louvre).  
2 Propos du metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia rapportés dans le programme du théâtre.

Jusqu’au 26 octobre 2014
à la Comédie Française

texte Harold Pinter, traduit par Éric Kahane-Garcia

mise en scène Frédéric Bélier

 

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