Exposition

Splendeurs et misères. Images de la prostitution de 1850 à 1910 », musée d’Orsay

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« Splendeurs et misères » : le titre est tiré du roman de Balzac Splendeurs et misères des courtisanes, publié entre 1838 et 1847, soit juste avant la période traitée dans l’exposition du musée d’Orsay. La prostitution est un sujet forcément racoleur mais il est ici bien argumenté. En effet, la prostitution a été, particulièrement à Paris, un fait social de premier plan pendant le Second Empire (1852-1870) et la fin du XIXe siècle, objet de débats passionnés entre « abolitionnistes » et « règlementaristes », et un thème de prédilection pour les peintres. Concourant à la propagation de la syphilis qui faisait des ravages, il s’agissait aussi d’un problème très sérieux de santé publique, qui nourrit un imaginaire macabre chez certains artistes (comme Félicien Rops).

Comme le montrent bien les premières sections de l’exposition, le statut des prostituées était alors ambigu car la prostitution était présente dans toutes les classes sociales, des « pierreuses » misérables en passant par les petites employées et vendeuses accordant leurs faveurs pour compléter leur maigre salaire, jusqu’aux courtisanes de haut vol adulées et prêtes à toutes les excentricités, les « grandes horizontales ». Il était dès lors difficile de les distinguer des « honnêtes femmes » et l’ambiguïté persiste dans la peinture. Replacés dans leur contexte social, des portraits de femmes, des scènes de rue, de cafés ou d’opéra s’éclairent d’un sens nouveau.

A travers ce phénomène largement répandu à cette époque, c’est le regard des hommes sur les femmes qui est en jeu et, partant, la condition même des femmes.

L’exposition présente un grand nombre d’œuvres, essentiellement des peintures à l’huile dont la plupart, hormis dans les dernières sections qui évoquent la « modernité », datent des années 1870-1880. Toulouse-Lautrec, connu pour sa tendresse envers les prostituées, est l’un des principaux peintres représentés, avec plusieurs huiles et pastels sur cartons en provenance d’Albi ou des États-Unis. Sont aussi convoqués, entre autres, les peintres Jean Béraud, Edgar Degas, Edouard Manet, Gustave Courbet, Emile Bernard, Vincent Van Gogh, Henri Gervex, plus tard Félicien Rops et Edvard Munch et, à la fin (dans les sections concernant la « modernité ), Kies Van Dongen et Pablo Picasso.

Un effort particulier a été porté sur la mise en scène, confiée au scénographe Robert Carsen. Ce dernier explique (dans la vidéo de présentation, sur le site d’Orsay) comment il a reproduit sur les murs des nuances de rouge du XIXe siècle jusqu’à un rouge plus « moderne ». Un couloir tapissé de photos agrandies de rues de Paris où se trouvaient des maisons closes marque une transition entre les sections concernant l’espace public et celles traitant des maisons closes. C’est l’occasion d’entrer dans l’intimité de ces maisons, avec une pièce aménagée comme un salon d’accueil, puis des espaces plus exigus et deux pièces fermées par un rideau recelant les fameuses photos pornographiques – et même un film d’époque.

Ces documents sont peut-être inédits, mais on peut se demander s’il était vraiment nécessaire de leur consacrer deux pièces, sachant que cette exposition est la troisième en peu de temps à flirter avec le sujet du sexe (après « Le nu masculin » et « Sade »). Quelques photos auraient suffi à documenter le sujet sans pour autant prendre presque autant de place que des œuvres d’art, dont la place est plus légitime dans un musée de beaux-arts.

En revanche, voici quelques curiosités à ne pas manquer : les petits films comiques mettant en scène des prostituées se moquant de leurs clients, la série de photos montrant une lorette rêvant de devenir une riche courtisane, les jetons des maisons closes et les cartes de visite des prostituées, le mobilier des grandes cocottes et demi-mondaines (Valtesse de la Bigne, marquise de Païva…) dont un imposant lit en coquille et une invraisemblable chaise pour les plaisirs du futur roi d’Angleterre Edouard VII. Et aussi quelques chefs-d’œuvres venus de loin : notamment le portrait par Théodore Chassériau de sa très belle et très courtisée maîtresse, Alice Ozy (Baigneuse endormie près d’une source, 1850, musée Calvet, Avignon), ou Le bal de l’opéra par Henri Gervex (1886, galerie Jean-François Heim, Bâle).

En bref, une exposition thématique intelligemment menée et bien documentée, qui propose un nouvel angle de lecture pour regarder d’un œil neuf nombre de peintures d’Orsay et des peintures moins connues, et qui n’a nul besoin de photos pornographiques estampillées XIXe pour trouver son public.

Exposition « Splendeurs et misères. Images de la prostitution de 1850 à 1910 » au musée d’Orsay, du 22/09/15 au 17/01/16

Présentation détaillée sur le site du musée d’Orsay.

 

 

 

 

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