Chanson française

Musiques de chambre / SYRANO / (Les doigts dans l’zen/ L’Autre Distribution – 2006)

syrano

 

Se servant des masques de l’enfance et du théâtre, Syrano chante en demi-teinte un monde à la dérive.

 

 

La pochette dessinée par Syrano lui-même représente des musiciens costumés en Pierrot, Arlequin, M. Loyal ou en poupée mais ne vous y trompez pas, l’orchestre est bien rôdé, les textes taillés au couteau et le timbre assuré. Syrano, c’est un accordéon joué par « Papa », un violon joué par « Béné-la-poupée », des chœurs et des boucles lancés par « Cherzo-M. Loyal », une guitare « Alesk, l’arlequin », un violoncelle « Thècle », une autre poupée, et une voix : « Syrano ».

Le groupe a remporté de nombreux tremplins depuis l’année 2005. L’ascension est là. Tant mieux pour les textes qui ne se cachent derrière aucun masque. Syrano vient du rap et du feu collectif Exkalibur alors on ne s’étonnera pas de la verve et de cette volonté de dénoncer les inégalités sociales. Sous des formes très diverses, Syrano lance ses textes sur des dictions rappées, slamées, frappées, clamées pour mieux crier les injustices et atteindre la liberté.

L’Ecolier ne veut pas grandir, veut garder sa candeur et prendre des gamelles à vélo, sauter à pieds joints dans les flaques et le doute. Alors quand l’album s’ouvre sur les orgues de Barbarie sur un air entraînant, la barbarie sonne différemment. A écouter d’un peu plus près, on côtoie de drôles de fantômes, des poètes auxquels on a tranché les mains, des petites excisées, des enfants affamés, des ouvriers broyés, des fanatiques et des guerriers de toutes formes. La danse macabre ne fait que commencer puisque tout est devenu spectacle ici-bas.

Syrano nous appelle à la danse mais pour mieux dépasser ces images incessantes qui nous harcèlent à travers les tubes cathodiques. Ces drames que tout le monde observe sans bouger. Les vieux ont chaud durant l’été 2003 et les saules pleurent le temps qui passe. Les colombes laissent la place aux corbeaux blancs qui s’occupent des enfants des favelas engagés dans les milices, des enfants qui vont au charbon, de ces esclaves des temps modernes, et pendant ce temps, la Terre reste ronde, dans le meilleur des mondes.

Alors, avec la Rue Kétanou, Syrano nous emmène dans le rêve. Les cailloux sont oniriques et voilà un prisonnier qui en ramasse pour faire pousser des murs de liberté, persuadé que les seuls prisons et ghettos sont dans les têtes des gens. Enfermés dans nos bulles pour mieux nous protéger nous passons à côté du monde. Cette bulle d’oxygène stérile synonyme de prison pour les enfants bulle, est un enfermement qui va jusqu’à ronger certaines filles comme Ficelle, cette anorexique dont le cœur est au régime et qui ne rêve que de disparaître. « Bouffe la vie fillette ! » crie Syrano.

Syrano chante l’amour avec Monsieur Neige mais l’écriture étonne par sa noirceur. Oyez la Complainte de l’épouvantail, « disciple crucifié couronné d’épines », pour vous en convaincre. « Deux millénaires à voir pourrir mes restes, je vous aime mais ne m’en voulez pas si je vous déteste. » Et si l’homme ermite préfère s’isoler dans la poudre blanche pour éclater les barreaux de son corps, ce n’est que pour tenter de trouver de la beauté dans la vie, malgré le froid, malgré les brûlures.

La musique enfantine qui tinte aux oreilles et le rythme cadencé de l’ensemble à l’accordéon apaise la colère de l’écriture. Mais Syrano se place avec cet album du côté des opprimés, croyant dur comme fer à la poésie des mots comme vecteur de messages. Tous ces personnages nous poussent à conquérir le monde, à traverser les frontières et à agir. Des musiques de chambre pour sortir du huis clos sclérosant et paranoïaque occidental. Une comédie musicale acide sur la fracture du monde pour prendre conscience en fanfare du bonheur.

http://syrano.bleucitron.net/

http://www.myspace.com/syranosurlenet

 

Sébastien Mounié

© Etat-critique.com – 02/03/2007

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