Art-scène, Théâtre

Le Maniement des larmes, Nicolas Lambert, Grand Parquet

larmes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre d’investigation? Documentaire scénique? Enquête politico-financière? Le dernier volet de la trilogie « Bleu, blanc, rouge » – le spectacle « LE MANIEMENT DES LARMES » – est à voir au Grand Parquet jusqu’au 20 décembre: à ne pas manquer !

 

Le sujet de Nicolas Lambert depuis 2003, c’est la démocratie française (son fonctionnement et ses dysfonctionnements, ses rouages…). On comprend bien aujourd’hui l’intérêt, l’urgence à interroger notre système démocratique et sa vivacité (et par là, sa capacité de résilience).

 

Nicolas Lambert ne vient ni du spectacle, ni du journalisme, c’est peut-être pour cette raison qu’il a su créer un genre hybride, trouver le point de jonction entre ces deux univers.

 

Nicolas Lambert est philosophe; il a fait ses armes au Théâtre Universitaire de Nanterre et s’est investi dans des projets radiophoniques, notamment avec Antoine Chao dans « Fréquences éphémères ». L’idée de départ de la trilogie « Bleu, blanc, rouge » était d’ailleurs destinée aux ondes. Et portée à la scène, son dernier volet rend un hommage assez appuyé à ce média si discret et si important.

 

Par quel bout attraper la démocratie? Vaste sujet. Il me semble que Nicolas Lambert l’attrape par ses paradoxes. On pourrait dire: « en visitant l’envers du décor », ou « par ses souterrains nauséabonds »… Nicolas Lambert dit modestement et avec humour, s’intéresser aux « spécialités de notre terroir »! Et qu’est-ce-qui fait la richesse de notre pays, son indépendance, sa grandeur supposée (à part les croissants, l’architecture et le camembert…) ?

 

Réponse:

 

1/ Le pétrole 

2/ L’uranium

3/ L’armement

 

D’où une enquête de terrain en 3 volets:

 

1/ Suivi du procès de l’affaire Elf * de janvier à mai 2001: les prévenus sont Alfred Sirven, Loïk Le Floch-Prigent et André Tarallo. Les caisses noires de la société servaient à garantir les intérêts de la société française en Afrique (« Elf fut et reste une pièce essentielle du dispositif néo-colonial mis en place par Paris, quelques années après les indépendances, afin de maintenir sa tutelle économique et politique sur les pays de son ancien pré carré formellement émancipés », Loïk Le Floch-Prigent dans un entretien au Figaro en 2001) mais aussi à s’assurer la complaisance des forces politiques en France, tous les partis politiques de droite et de gauche, et parfois même plusieurs courants au sein du même parti, ont profité des pots de vin versés par la société, finalement acquise par TOTAL en 2000. Le spectacle qui s’en suit « Elf, la pompe Afrique » est créé en 2004.

 

2/ Suivi en 2010 des 13 débats publics portant sur la construction d’un second EPR sur le site de Penly en Normandie. Les réunions publiques sont censées recueillir l’avis de la population et poursuivre une réflexion sur l’opportunité d’un projet (celui d’un second EPR en France par exemple) ou du choix d’un site (d’enfouissement par exemple). Elles sont obligatoires. Mais dans le cas de Penly, ironiquement, les débats ont lieu après l’annonce officielle du projet par le Président de la République en 2009. Débats publics ou mascarades ? Chercher l’erreur… « Avenir Radieux, une fission française » est créé en 2011.

 

3/ Synthèse du système français de fabrication et de vente d’armes, illustrée notamment par l’affaire du financement de la campagne d’Édouard Balladur en 1995 et de l’attentat de Karachi en 2002, qui a coûté la vie à 12 salariés des chantiers navals de Cherbourg (en représailles à la suspension du contrat de vente d’armes au Pakistan). Cette synthèse met en lumière les risques dangereusissimes que fait peser sur nous la politique de ventes d’armes menée par la Défense Nationale: la prolifération d’armes de plus en plus sophistiquées, y compris l’arme nucléaire. Politique menée en toute indépendance du Parlement, puisque, depuis 1939, « le ministère de la Défense fait lui-même la loi sur la fabrication, le commerce, le transport et l’exportation du matériel de guerre »… Un système anti-démocratique puisque le peuple, par l’intermédiaire du Parlement, en est écarté. Jusqu’à quand? Le spectacle « Le maniement des larmes » est créé en 2015.

 

Ce qu’il faut souligner, c’est que tout ce qui est dit dans ses livres et spectacles, est vrai. Il s’agit de retransmissions d’enregistrements ou de discours publics, de paroles de dirigeants d’entreprises, d’hommes et de femmes politiques ou de membres de leur famille. Tout est vrai, et c’est bien ce qui nous inquiète.

 

On notera dans les jeux de mots qui titrent les spectacles un certain goût pour l’humour noir. De l’humour, de la distance, il en faut pour supporter la vérité et dénoncer la perversion d’un système. Nicolas Lambert souligne avec intelligence l’ambiguïté des dirigeants, leurs doubles-langages, leurs retournements de veste, par un travail de réécriture (condensation de l’Histoire) et par une interprétation acrobatique. Le tout est absolument captivant, révélateur, utile et il faut l’avouer, inquiétant. C’est donc ça la démocratie? Non, pas seulement, mais c’est ça aussi.

 

Nicolas Lambert: un héros si discret, un talentueux détective et un admirable coureur de fonds.

 

A découvrir et à soutenir au Théâtre du Grand Parquet (métro Stalingrad) jusqu’au 20 décembre 2015:

les mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 19h; le dimanche à 15h.

Réservations au 01 40 05 01 50.

 

* De nombreux sites proposent un résumé de l’affaire, comme celui du magazine Challenges:

« Une des plus grosses affaires de corruption, une affaire politico-financière qui a éclaté en 1994 (…) Au total, 37 cadres et intermédiaires ont été traduits en justice, 30 déclarés coupables, les chefs d`accusation étant « abus de biens sociaux et crédits », « abus de pouvoir », « complicité d’abus de biens sociaux » et « usage de faux documents ». (…) L’entreprise pétrolière française publique Elf fut dévalisée de plus de 305 millions d’euros par ses cadres dirigeants, surtout durant le second septennat du Président socialiste François Mitterrand (1988-1995). » 

Previous ArticleNext Article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

? * Le temps imparti est dépassé. Merci de saisir de nouveau le CAPTCHA.