Théâtre

« LE BOURGEOIS GENTILHOMME » de Molière, mis en scène par Denis PODALYDES, au Théâtre des Bouffes du Nord

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On sort de ce spectacle réjoui par tant de beauté et d’intelligence, régénéré au contact d’un Molière tout neuf.

Puis l’on se demande: « Comment a -t-on pu représenter cette pièce si longtemps sans musique, ni chanteur, ni danseur? » C’est pourtant une comédie-ballet, soit la comédie musicale du XVIIème siècle?

Il aura fallu réunir de nombreux talents pour orchestrer cette fête des sens : Denis Podalydès à la mise en scène, Christophe Coin à la direction musicale, Eric Ruf à la scénographie, Stéphanie Daniel aux lumières, Christian Lacroix à la création des costumes, Kaori Ito à la chorégraphie, Véronique Soulier-Nguyen au maquillage et coiffures, notamment (on a envie de citer et de louer les mérites de tous les interprètes présents sur scène !).

Donc, comment faisait-on, avant cette mise en scène, pour monter le « Bourgeois » sans musique? La pièce s’ouvre justement sur le dialogue entre le Maître de Musique et le Maître de Danse, qui se disputent chacun la supériorité de son Art, mais pas seulement. Le débat porte sur la place de la culture dans la société, sur le travestissement supposé des artistes dès lors qu’ils sont soumis à la volonté et au goût des puissants (leurs mécènes). Oui, Monsieur Jourdain, notre Bourgeois, notre héros qui se veut « gentilhomme », se paie des leçons de danse, de musique, d’escrime et même de philosophie. On ne peut pas mépriser ce désir de savoir, cette soif de culture. C’est pourquoi M. Jourdain attire tout d’abord notre adhésion, et ses grands yeux ébahis, notre tendresse. Du coup, on en veut presque à sa femme de moquer ses leçons et de contrecarrer ses plans. C’est vrai que Monsieur Jourdain, en matière de culture générale, revient de loin, et Molière le fait littéralement débuter sous nos yeux. A la question de son prof de philo: « Que voulez-vous que je vous enseigne? La logique? (…) La morale? », il répond modestement: « Apprenez-moi l’orthographe ». Comme un service minimum, l’homme sage lui apprendra à distinguer les consonnes des voyelles et à articuler ces dernières. Et Monsieur Jourdain de s’extasier comme un enfant à prononcer des « a » et des « u »… C’est une des mille scènes qui ravive notre mémoire d’écolier (ou de spectateur) et l’on se dit: « Mais oui bien sûr! J’ai aimé cette scène, ce dialogue, je l’avais oublié… »

De même, comment faisait-on pour monter la grande scène de cérémonie initiatique (catharsis, chamanisme ou vaudou), à l’issue de laquelle notre héros est sacrée « Mamamouchi » ? Comment ne pas convoquer tous les arts pour créer ce grand envoûtement ? Dans la mise en scène de Denis Podalydès, sont convoqués aux côtés des comédiens, 3 danseuses, 3 chanteurs, et les solistes de l’ensemble « La révérence », jouant sur instruments anciens la musique de Lully.

Ce spectacle, donc, ne ravive pas seulement nos souvenirs d’écolier, il nous fait tout simplement jubiler… On pouffe de rire aux répliques des uns (délicieux Julien Campani en Dorante, aristocrate désargenté aux paroles pleines de fiel) et aux mimiques des autres (étonnante Emeline Bayart en Madame Jourdain!). Et l’on se régale de tant d’intelligence. Intelligence du texte: rebondissements dans l’action, vivacité des dialogues et impertinence des héros mais surtout des héroïnes (merveilleuse Manon Combes en Nicole, la servante, par exemple). Intelligence des interprètes, sous la direction de Denis Podalydès avec la collaboration artistique d’Emmanuel Bourdieu: le texte nous parvient clairement, comme rajeuni, tandis que le jeu physique et les partis-pris comiques sont drolatiques.

Bref c’est un « spectacle total » qui s’offre en ce moment aux Bouffes du Nord. Nous, spectateurs, sommes à l’image de Monsieur Jourdain: éblouis, nous retournons à l’état

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